Détours de Chant – Sages comme des sauvages – 2022 (©Claude Fèvre)
04 Février & 5 février 2022 – Journal de bord du 21ème Festival Détours de Chant
Mes Détours de Chant, épilogue
Avec
Jeanne Rochette (compositions, piano, chant) François Puyalto (basse) Côme Huveline (batterie et guitare électrique)
Sages comme des Sauvages, Ava Carrere (percussions, basse, chant) Ismaël Colombani (cordes, chant) Emilie Alenda (basson, clavier, sati, chant) Osvaldo Hernandez (percussions afro-latines)
En première partie : Petite Gueule /Manon Gilbert (textes, piano, voix)
Le Chapeau Rouge, Théâtre des Mazades (Toulouse)
Mes Détours de Chant s’achève… J’ai promené mon carnet, mon stylo quinze fois … Est-ce beaucoup ? Est-ce peu quand on sait que la programmation comporte 59 concerts… ? A ce rythme il faudrait être quatre pour rendre compte de tout. Mais seriez-vous là pour lire ces longues chroniques qui, évidemment, ne répondent pas aux critères imposés par la vie trépidante et pressée d’un internaute ?
Voici donc que le soleil est revenu sur Toulouse en ce dimanche d’après festival. Il donne envie de croire en la montée de la sève, surtout quand on pense à ces derniers concerts.
Au soir du Jour 10, j’ai même fait une infidélité au festival… et de taille ! Je suis allée au Zénith voir Alain Souchon me susurrer à l’oreille – car c’est évident, c’était confidentiel, vous le devinez – son « âme fifties », un peu la mienne aussi. Et je me suis sentie toute « mélancolisée », admirative aussi… 78 ans bientôt et une silhouette de grand adolescent, un enthousiasme qui vous feraient croire que le vieillissement est une galéjade. Pourtant, de ma place, en haut dans les gradins, je l’ai vu tout petit, petit…
Jour 11- Jeanne Rochette, elle, dans cette jolie petite salle du Chapeau Rouge, je l’ai vue tout près. J’ai pu observer chacun de ses gestes, sa joie, ses sourires, son chant, sa danse, sa connivence avec les deux musiciens qui l’escortent. Cette petite silhouette, habillée de noir et d’un haut scintillant de vert, réserve bien des surprises. J’avais, à deux reprises au moins, déjà perçu son énergie, sa force évidente, son engagement en scène. En 2016 au Tremplin nommé alors La Chanson va ! aux côtés de Bonbon Vaudou, Clio – qui devait remporter le Grand Prix – Lou Casa, Carole Masseport… On n’oublie pas une soirée comme celle-là… Et puis l’année suivante, en finale du Prix Georges Moustaki… Aujourd’hui c’est auréolée d’un coup de cœur de l’Académie Charles Cros, qu’elle ouvre son concert. Quand elle chante, debout derrière son piano, « C’est comme un torrent qui se déchaîne… » je suis déjà à sa suite avec la volonté farouche de « Traquer le vague à l’âme… » Très vite, elle adopte au centre du plateau cette fois, une attitude très rock, soutenue par la batterie de Côme Huveline et l’incroyable basse de François Puyalto dont je guette aussi les interventions vocales. On y croit décidément avec ce trio « Tu vas la botter en touche… la malhonnête ! Tu vas faire peau neuve … » Je la suis aussi quand elle chantonne, façon Barbara, quand elle crée ainsi des atmosphères plus douces, plus mélancoliques. Et je souris à l’entendre chanter le sort d’une mouche prisonnière de la cuisine, puis, plus tard dans le concert, celui d’une sauterelle, moi qui, enfant, cultivais une prédilection pour le peuple de l’herbe. Vous l’aurez compris, il aurait été bien dommage de ne pas assister à ce concert même si je le dois à l’annulation de celui de Jérôme Pinel pour des raisons qu’il n’est plus nécessaire de rappeler ici…
Jour 12 – Retour au théâtre des Mazades où avait eu lieu le concert d’ouverture. La salle bien remplie ravit la présidente de l’association Détours de Chant qui salue ce soir en les nommant les bénévoles longuement applaudis et nous promet une vraie fête.
Arrive – je devrais écrire « déboule » – Manon Gilbert dite Petite Gueule dans son tutu blanc et corset noir de ballerine, les cheveux en queue de cheval, la banane sur le ventre, le sourire bien accroché… Et hop, elle déroule son flot de mots parfaitement articulés… Le message est clair « ça m’énerve que l’on ne me comprenne pas ». C’est comme si elle ouvrait soudainement la boîte de Pandore de ses pensées, de ses émotions et son rap effleure inévitablement les nôtres, sans doute encore davantage, celles de la jeunesse présente en grand nombre. Le public la suit, c’est évident, chante avec elle. Elle évoque son histoire, celle de son projet dont vous trouverez trace sur sa chaîne YouTube : ses rendez-vous pendant le confinement où elle s’est mise à lire, à dire des textes au point de se prendre au jeu. Dans cette première partie, il y a de la colère, certes, de la rage parfois, une urgence mais aussi beaucoup d’humour et de la tendresse, particulièrement quand elle se met au piano… Comment ne pas être touchée quand elle chante « le jour de mon enterrement », comment ne pas sourire quand elle nous joue le concerto pour un triangle et nous offre une fin magnifique ? Et là vous découvrez définitivement que la rappeuse a plus d’un tour dans son sac, « une créativité qui s’exprime à tous les étages ». Musicienne, comédienne, on ne saurait la réduire au 9 – 3, à sa ville de Montreuil qu’elle évoque souvent. Et les programmateurs du festival ne s’y sont pas trompés !
Et voici donc le final… Un feu d’artifices, de sons, de lumières, d’énergies sur scène et dans la salle. Michèle Rivayrol, présidente de Détours de chant avait promis… Ainsi fut fait, au-delà peut-être de l’espérance du festival. Une jeunesse affamée de danses et de musiques a déferlé très vite devant la scène, sur les marches, à la troisième chanson. Je n’ai pas quitté des yeux un petit garçon, qui devant sa place, a dansé toute la soirée, une plume dans ses cheveux inspirée sans nul doute par l’univers d’Ava et Ismaël. Car c’est ainsi qu’ils nous étaient déjà apparus, grimés, le visage peint… Il y a quelque chose du carnaval, subversif et joyeux, dans leur concert. Cette fois c’est tout un décor qui brille, rutile sur la scène : percussions à cour, portant des instruments à cordes au centre surmonté d’un panneau où apparaissent les lettres lumineuses de Sages comme des Sauvages, basson à cour… Ismaël est costumé comme un prince africain de comédie, le batteur arbore le kilt écossais et les deux musiciennes portent des tenues scintillantes.
Depuis 2015, depuis leur concert au café Plùm, en clôture du 2ème festival Comme ça nous Chante, le duo Ava – Ismaël m’emporte précisément dans son monde chamarré, où se croisent et s’assemblent quantité de références musicales. Leur deuxième album, Luxe Misère, confirme le choix de faire la part belle aux voix, en français, en anglais, en créole, cette langue de celui qu’ils nomment leur ami, le poète Alain Peters, en grec qui a bercé l’enfance d’Ava, aux cordes avec lesquelles Ismaël jongle allègrement (cavaquinho brésilien, cap-verdien bouzouqui grec, guitare…) aux rythmes glanés sur leur route… Comme si leurs voyages ne leur suffisaient pas, voici qu’ils ont invité à leurs côtés le basson – une langue profonde à lui seul – et les percussions afro-latines ajoutées au « défi » d’Ava, ce tambour du nord de la Grèce posé sur ses genoux.
Le quatuor alors vous soulève de votre fauteuil, vous emporte. Et cette phrase écrite en 2015 est plus vrai que jamais « leur aire de jeux n’a pas de frontières et c’est ainsi que se vit et se crée en couches successives, le palimpseste de leur répertoire. » Quant aux textes des chansons ils méritent le détour, il serait dommage de s’arrêter aux rythmes entraînants, comme l’indique le titre de l’album Luxe misère… Qu’ils évoquent nos combats intérieurs « Faut pas ouvrir les tiroirs, tu savais, tu savais, alors pourquoi tu l’as fait ? » ou les grands défis de notre humanité… Ils confient leur engagement auprès de ceux qui tentent de se réfugier chez nous en évoquant les huit mois que deux soudanais ont passé chez eux… Alors, pour conclure, peut-être pourrait-on conserver ces mots :
« La couleur de notre peau est notre avenir… »