Eryk.e, Album Seize (© Esther Decluzet)
Mars 2016 – Album Seize
avec Eryk Eisenberg (piano, claviers, harmonica – Musiques, textes sauf Morte saison, Jeune face, Les lieux : Jean-Louis Bergheaud /Murat), Gaëlle Cotte (choeurs), Denis Clavaizolle (claviers, piano), Guillaume Bongiraud (violoncelle), Julien Quinet (trompette), Clément Peyronnet (contrebasse), Stéphane Mikaelian (batterie)
Morne saison /Pas même un épi d’amour tremble /Plus un soupçon de pousses tendres /Qui dorment aux creux de mes sillons chantait Georges Chelon, du temps de nos jeunes années. L’album d’Eryk.e est de ceux qui nous prennent par la manche et nous entraînent dans notre grenier de souvenirs enchanteurs. D’autres voix, d’autres textes s’extirpent de nos malles remplies de textes doux et nostalgiques. Bien entendu, un artiste n’arrive pas au monde de la chanson, pauvre et nu. Il s’est nourri lui aussi et quand on ajoute à ces influences premières la chance de rencontrer Jean-Louis Bergheaud, Murat…Alors on se prend à croire au meilleur.
Et c’est vrai, cet album est un bien joli cadeau dans cet automne naissant, saison idéale pour l’écouter. L’objet et sa pochette avec son camaïeu de vert et d’ambre, ce profil d’homme mûr aux yeux très bleus, ce regard qui s’égare dans cette forêt en filigrane – La forêt m’abrite /Dans sa barbe serrée – cette nature qui s’en vient sur sa peau, tout ce visuel nous entraîne déjà dans l’immensité d’un monde intérieur.
On aime ces atmosphères là qui autorisent une immersion en zone définitivement poétique. Laissons-nous guider d’abord par le premier titre sur un texte de Murat, Morte saison, où planent des interrogations toute simples, comme le sont les notes de piano et le sifflet du chanteur, « Que fais-tu mon cœur ? » comme s’interroge le Gaspard Hauser de Verlaine « Suis-je né trop tôt ou trop tard ? /Qu’est-ce que je fais en ce monde ? » . On est presque étonnée que viennent ensuite une caisse claire, une guitare électrique pour plonger dans Mes nuits. C’est là qu’émerge la figure majeure de la sirène, image de l’amour, de l’appel entêtant du désir – elle revient, superbe et au pluriel dans Bleu – accompagnée des psalmodies de Gaëlle Cotte. L’auteur aime sans doute ces rivages mythologiques, ces noms évadés de vieilles histoires, comme ce Simon de Cyrène, personnage qui porta la croix de Jésus montant au calvaire… On note le dépouillement des deux autres textes de Murat, qui s’en va caressant l’image de La jeune face, celle de l’enfance, du passé qui « Un jour s’en va » et laisse l’homme à ses questions sans réponses : « Qu’est ce qu’être heureux ? ». Puis il déambule dans des rues de Paris, Les lieux, où l’absence se fait plus cruelle, « Sans toi tous les lieux sont à désespérer »… Voix de Gaëlle et violoncelle y créent une évasion onirique en réponse à un piano très romantique. Dans Ma terre, c’est au tour de la trompette de ponctuer l’évocation à peine suggérée de la sauvagerie, de la folie des hommes qui la souillent, tout comme dans le titre éponyme Seize où au mois de mai « une tranchée vorace » s’est refermée sur « Le joli temps d’aimer ». La figure de Guillaume Apollinaire n’est pas si loin… Comme celle d’Aragon dans Le Bouquet, non pas de fleurs mais de pleurs … « Il s’en est fallu de peu… de presque rien » … Chanson où dominent l’étrangeté, le trouble, le frisson qui se prolongent dans Les Maisons closes où le temps enfui et la mort laissent leur empreinte indélébile. Image évanescente de fleurs fanées « qui cherchaient le soleil ». L’harmonica prolonge cette « langueur monotone ».
L’album s’achève sur Epanadiplose – Eryk.e, vous l’aurez compris aime le mot précieux et rare. Il s’agit de la reprise d’une scène initiale ou d’un motif initial à la fin d’une intrigue.
Superbe correspondance entre la peinture et l’écriture pour enfin nous rassurer. L’Art pourrait bien être la réponse à la question du début de l’album « Que fais-tu ma vie /Vie /Que fais-tu ? »
« Pose la lumière /Et fais jaillir de l’eau /Éclaire la terre /Du bout de ton pinceau »…