Voies/voix de femmes, Léopoldine HH, Faby Périer (©Claude Fèvre)

Voies/​voix de femmes, Léo­pol­dine HH, Faby Périer (©Claude Fèvre)

Jan­vier – Mars 2021, paru­tions d’albums

Voies/​voix de femmes 2

Avec

Léo­pol­dine HH, Là, lumière par­ti­cu­lière – Léo­pol­dine HH (Chant, cla­vier, uku­lé­lé, har­pou­bette, flûte tra­ver­sière) Gil­das Milin (Texte et musique), Maxime Ker­za­net /​Michel Gilet (gui­tare, chant, pro­gram­ma­tion, cla­vier), Char­ly Mar­ty /​Char­ly (chant, basse, gui­tare, cla­vier, uku­lé­lé) Fla­vien Van Lan­duyt (gui­tare, bat­te­rie, pia­no, programmation)…

Faby Per­ier, Entre Ciel et TerreFaby Per­ier (textes, chant), Bap­tiste Bra­man, Arnaud Dem­bo (musique) Tho­mas Cogny (musique, arran­ge­ments et réa­li­sa­tion, gui­tares et cla­viers), Tho­mas Labarbe (basse), Frantxoa Erre­çar­ret (bat­te­rie, percussions)


Voi­ci donc ras­sem­blés des albums por­tés par des voix de femmes, comme s’il était per­ti­nent de par­ler d’une chan­son fémi­nine. L’idée même pour­rait faire bon­dir, comme si l’écriture pou­vait avoir un sexe… Très vite d’ailleurs, on s’empresse d’ajouter que toutes sont accom­pa­gnées, voire ins­pi­rées, par des hommes. Mais n’oublions pas pour autant que dans l’histoire de la Chan­son, chan­ter des mots de femme, écrits par une femme, n’allaient pas de soi. On se sou­vient des inter­views de Bar­ba­ra qui le sou­ligne dans son propre par­cours, met­tant au pas­sage en exergue le rôle majeur d’Anne Syl­vestre au siècle pas­sé. On a depuis tou­jours mis le nom des femmes sous le bois­seau, en His­toire, en Art. Il n’est pas vain de ten­ter de tem­pé­rer cette injustice.

Après Lila Tama­zit trio et son hom­mage à Colette Magny, après Le sen­ti­ment bleu d’Eske­li­na, c’est au tour du feu de la pochette de Léo­pol­dine HH escor­tée de ses deux musi­ciens de scène. Jaune, rouge, orange, les cou­leurs sont flam­boyantes comme le titre Là, lumière par­ti­cu­lière, comme les musiques nous en laissent la trace, comme autant de recherches, de per­for­mances ins­tru­men­tales et vocales où se jouent toutes les esthé­tiques. Inter­ro­gée par Laurent Gou­marre, par­ti­cu­liè­re­ment enthou­siaste (« album sublime » !) sur France Inter (Côté club du 25 jan­vier 2021), Léo­pol­dine HH nous guide, rieuse, éner­gique, dans son pro­jet. « Faire dan­ser le feu avec des textes littéraires ! »

Là, lumière par­ti­cu­lière, nous révèle-t-elle, c’est celle que lui laisse le comé­dien, met­teur en scène de son ado­les­cence, auteur des textes de l’album, Gil­das Milin : « Ce petit rayon, ce fais­ceau écla­tant qui vient per­fo­rer la gri­saille ambiante ». Quand elle revient sur son expé­rience de can­di­date de La Nou­velle Star, sur la chaîne D8, c’est pour en sou­li­gner la vio­lence mais aus­si la richesse des ren­contres… Un appren­tis­sage dont elle est fière d’être sor­tie. « Pas du tout envie d’être un pantin ! »

C’est déci­dé­ment ce qu’elle aime, par-des­sus tout, les ren­contres. On en trouve l’expression dans les deux pages inté­rieures de la pochette où elle les égrène lon­gue­ment… Elle aime insis­ter sur le « socle » sur lequel elle s’est construite et qui lui vient de ses parents, du caba­ret fran­co-alle­mand dans lequel ils s’exprimaient. Il l’a gui­dée vers son per­son­nage en scène avec cette tresse alle­mande qui lui sert de nez de clown et lui auto­rise tout…

Les chan­sons de ce deuxième album ne cessent d’interroger sur le sen­ti­ment d’être au monde, « un pay­sage sombre et lumi­neux étran­ge­ment »… un « poème en mou­ve­ment per­pé­tuel » dit-elle. Et pour­tant sachez que l’écoute de ce disque pour­rait vous don­ner l’illusion d’être embar­qués sur une piste de danse, comme avec le titre Ce que tu cherches et son côté « fièvre du same­di soir », ou Psy­cho­tro­pique, ou bien encore Non, réso­lu­ment rock. Que dire aus­si de Bon­soir le pho­ton, comme si le débit par­fois nébu­leux d’Edouard Baer s’était invi­té… ? On s’arrête aus­si aux mots de la conver­sa­tion ordi­naire, décou­sue, adres­sés à l’amoureux, un aveu trou­blant dont le débit évo­que­rait celui de Bar­ba­ra : « Je meurs d’émotion, oui, c’est ça, c’est ça, c’est exac­te­ment ça… Monte en moi une petite tâche claire tou­jours plus légère… »

Inévi­ta­ble­ment, quand on connaît les concerts déli­rants de Léo­pol­dine HH, on s’interroge sur ce que nous fera vivre l’interprétation de ces nou­velles chan­sons. A coup sûr, une fois encore, elle allu­me­ra le feu et les mots du titre Res­pire pren­dront toute leur saveur : « Res­pire le grand air /​Mets toi à l’aise à l’air /​Res­pire /​Même pas trop fort /​Et admire /​Sans plus d’effort /​Comme on res­pire encore »… Une invi­ta­tion à se sen­tir vivant, sim­ple­ment ça, être vivant !

Aux mots du pré­cé­dent para­graphe, avant d’aborder le qua­trième album, le cœur inévi­ta­ble­ment se serre. Le regard fier de Faby Per­rier, joli­ment des­si­née sur la pochette blanche par Héloïse Fer­lay, nous rap­pelle les com­bats d’une guer­rière contre ce fléau qu’est le can­cer et qui a fini par gagner la par­tie, avant même que l’album ne sorte. Une équipe de femmes, celles qu’elle appe­lait ses « ancres », sœur, filles, amie se battent à leur tour pour que cet album se dif­fuse loin, longtemps.

Faby Per­ier laisse donc un der­nier album, sa voix incroya­ble­ment claire, jeune, sur des musiques réso­lu­ment pop. Le titre tel­le­ment élo­quent, Entre ciel et terre, rap­pelle le prix de la vie pour laquelle elle se bat­tait à grands coups de « Fuck Can­cer » dont elle ter­mi­nait ses mes­sages, à chaque séance de chi­mio­thé­ra­pie : « Le rêve qui s’invite, la vie qui se retient… » Faby Per­ier, auteure, écrit à l’encre de ses dou­leurs, de ses espoirs, de l’enfance qu’on lui a volée, et sur­tout de sa pro­fonde huma­ni­té, atten­tive aux souf­frances des autres. La pre­mière chan­son est celle qu’elle nous envoie de la rive où elle est main­te­nant à l’abri, déli­vrée de ce « corps deve­nu pri­son ». Mots trou­blants, pré­mo­ni­toires, du refrain : « Comme un oiseau lyre /​Par­tir seul sur les cimes /​Comme un oiseau libre /​Un der­nier envol. » Des cimes, elle s’attarde sur le sort de « L’enfant lune, l’enfant bulle, l’autiste » celui qui se « joue du vent, de l’air », sur « les yeux vitriol » de la petite Afghane, Zana, sur une enfant cruel­le­ment har­ce­lée dans « Tout n’est pas si magique ». On l’aura com­pris, c’est à l’enfance que Faby Per­ier est res­tée à tout jamais liée, cette enfance dont on l’a pri­vée. Et c’est encore vers elle qu’elle revient quand elle écrit Tu n’as pas mon ADN pour ce frère d’infortune, venue de si loin, et si proche pour­tant par « la dou­leur du pas­sé ». Quand elle écrit sa révolte contre notre monde obs­cène, elle tend, sans même le savoir, la main à Colette Magny. Elle égra­tigne les cathos, les intel­los, les éco­los, les bobos, les com­mer­ciaux – ceux qui vou­draient s’en prendre à son « rêve de gosse » – les mythos, en évi­tant de se prendre pour une don­neuse de leçons : « On marche sur la tête /​On se prend pour des chefs /​ça vire au cau­che­mar /​On marche à l’envers /​Le monde tourne mal … » Quant à sa chan­son écrite sur ce temps d’épidémie, Bas les masques, il serait bien de ne pas l’oublier quand sera venu le temps d’une antho­lo­gie. Elle s’y montre d’une clair­voyance exem­plaire : « La peur isole /​Nous fis­sure » et s’accroche à l’espérance : « Quand le masque tombe /​L’homme se révèle /​Il n’est pas un héros /​Il est juste un homme… ».

Faby Per­ier, face aux épreuves, le masque est tom­bé. Tu t’es mon­trée sans armure, héroïne de l’ombre :

« Il fau­dra que l’on s’en sou­vienne. »