B. comme Fontaine, un quartet vertigineux (© Hervé Suhubiette)

Marc Del­mas– La super­fi­cie du ciel 2019 (© Droits Réservés)

3 Mars 2019, 3ème album de Marc Del­mas – sor­tie offi­cielle le 29 mars 2019

La super­fi­cie du ciel

Avec

Marc Del­mas (gui­tare, chant) Julie Ladë­rach (vio­lon­celle) Chris­tophe Jodet (basse), Ber­trand Noël (bat­te­rie)


Cet album pour­rait être un rêve, une halte, « une trêve pour une heure alan­guie … » C’est aus­si ce que sug­gère le visuel, entre rose et gris. Pho­to d’une navi­ga­tion sau­vée de l’oubli ? Du ciel, de l’eau, la terre au loin… Refus, c’est sûr, d’une réa­li­té trop crue.

Écou­ter ces chan­sons de Marc Del­mas, au clos de la chambre, bien à l’abri des rumeurs, des tumultes sans trêve autour. Nous « plon­ger [à leur] bain de jou­vence ». C’est en effet un pri­vi­lège que de pou­voir accé­der à cette sen­sa­tion d’arrachement à tout ce qui blesse, comme seuls savent le faire les enfants dans leurs jeux. C’est pour­quoi, sans doute, il accorde une chan­son à Nos gar­çons, invi­tant à les admi­rer, « beaux, dorés aux rayons de juillet »… capables de « défier l’océan… même fati­gués, conti­nuer à tuer le temps ».

L’artiste aime les mots, s’en délecte et laisse pla­ner leur pou­voir d’enchantement, d’irréalité dès le choix des titres : Jou­vence, Adret, Les roses tré­mières, Fifre­lin… Mots mys­té­rieux, comme Wat­ta­na, pri­mate cap­tif, orang-outang de la ména­ge­rie du Jar­din des Plantes, ouvrant sur un ques­tion­ne­ment : « Qui regarde qui ? /​observe qui ? /​Comme pour ces dames à Amsterdam ». 

La pre­mière chan­son, La super­fi­cie du ciel, titre épo­nyme, trace la voie /​les voix. Elles appellent à rejoindre « les fous… mate­lots d’un bateau ivre », ces voix que rien, pas même « D’ex­pertes entrai­neuses, /​des rings sur­peu­plés, /​des cris d’é­crans sur­vol­tés /​des voiles d’o­paques fumées, /​L’a­go­ra bien­tôt satu­rée, » ne pour­ront empê­cher de « [s’élancer] pour tou­cher la super­fi­cie du ciel ». L’une de ces voix est celle du « joueur aux quatre vents » dans Fifre­lin. Sa ritour­nelle d’ « impro­viste ménes­trel » est « envoû­tante hyp­no­tique, péné­trante »… Pas moyen d’y résister…

Peut-on ima­gi­ner cre­do plus puissant ?

Telles Les roses tré­mières, ces fleurs capables de per­cer le béton, qui « dégrisent les pas­sants », le poète fait naître des nuées d’enfants, coûte que coûte. Le texte signé de la main de Caro­line Lemi­gnard, – femme clown croi­sée en d’autres temps, d’autres lieux – s’attarde à cet état de créa­tion, cette « éclair­cie, accal­mie, eupho­rie » où « tis­ser des poèmes de tes états d’âme bleus »…

La musique qui enve­loppe les mots est légère, presqu’évanescente par­fois. La gui­tare élec­trique caresse plus qu’elle ne sou­ligne, accen­tue… La bat­te­rie effleure… Nous sommes à rebours des scan­sions mar­te­lées, obsé­dantes, de cer­taines créa­tions qua­li­fiées d’urbaines. Marc Del­mas ose l’imperceptible, la « nuance » chère à Ver­laine, « des beaux yeux der­rière des voiles » ou « Le grand jour trem­blant de midi » même si c’est vers Bau­de­laire qu’il se tourne pour lui emprun­ter La mort des amants. Trans­fi­gu­ra­tion mys­tique de la mort en union amou­reuse par­faite, en départ pour une autre vie, « sous des cieux plus beaux ». Car, on le devine, c’est l’amour qui reste en fili­grane la source d’espérance. La chan­son titrée On s’est volés, avec son déli­cieux jeu pho­nique « On sait voler », est un hymne à l’amour sub­til « Tu as souf­flé sur mes ves­tiges /​Je t’ai ravie au vent mau­vais ». Est-ce encore l’amour qu’évoque la chan­son courte finale, signée Guillaume Lecucq ? Celle que Yan­nick Del­neste, jour­na­liste au quo­ti­dien Sud-Ouest, fidèle témoin des pro­jets de Marc Del­mas, qua­li­fie de « koan » zen… Inci­ta­tion à la médi­ta­tion ? Très sûre­ment déli­cate clau­sule de cette échap­pée belle vers le ciel.

« Elle est comme un poème écrit sur une plage

qui n’au­ra de lec­teurs que les vagues de la mer

elle res­semble aux prières des frêles équipages

aux mes­sages échap­pés de bou­teilles de verre

Elle est le bruit d’une main »