Lise martin & Valentin Vander – Vladimir Vissotsky - Cave Poésie -  2019 (©Claude Fèvre )

Lise mar­tin & Valen­tin Van­der – Vla­di­mir Vis­sots­ky – 2019 (©Claude Fèvre )

1er février 2019, – Lise Mar­tin & Valen­tin Van­der, Chan­sons de Vla­di­mir Vis­sots­ky (autre­ment ortho­gra­phié Wys­sots­ki) adap­tées en français

Presque un cri… 

Avec

Lise Mar­tin (uku­lé­lé, chant) Valen­tin Van­der (gui­tare, chant)

Adap­ta­tion : Lise Mar­tin, Valen­tin Vander

Tra­duc­tion : Anne-Péné­lope Dussault 


La Cave Poé­sie (Tou­louse)

Vla­di­mir Vis­sots­ky était le comé­dien phare du théâtre de la Tagan­ka à Mos­cou, inou­bliable inter­prète d’Hamlet, grand acteur de ciné­ma. Mais il était aus­si poète, chan­teur, inter­dit de publi­ca­tion de son vivant, auteur de concerts clan­des­tins dont les enre­gis­tre­ments pas­saient de main en main. Porte-parole offi­cieux des peuples d’URSS, témoin remar­quable de son époque, cet amou­reux farouche de la véri­té a mis sa sen­si­bi­li­té d’écorché-vif au ser­vice de la vie, l’aimant en dépit de son carac­tère tra­gique.
« Quit­ter la Rus­sie ? Pour­quoi ? Je tra­vaille avec les mots, j’ai besoin de mes racines, je suis un poète. Sans la Rus­sie, je ne suis rien, sans mon peuple pour lequel j’écris je n’existe pas, sans ce public qui m’adore je ne peux vivre, sans leur amour pour l’acteur que je suis, j’étouffe. Mais sans liber­té je meurs ».

Vla­di­mir Vis­sots­ky (1938 – 1980)

Avant que ne s’ouvre le Prin­temps des Poètes, dédié cette année à La Beau­té, un duo émi­nem­ment emprunt de poé­sie et de beau­té, a inves­ti la Cave Poé­sie à Tou­louse. Lise Mar­tin et Valen­tin Van­der, délais­sant la petite scène du lieu, se sont ins­tal­lés dans une alcôve, dans cet espace jadis dédié à la che­mi­née, tapis­sée de briques rouges. Une petite table, un verre, une bou­gie, deux chaises… C’est sans sono­ri­sa­tion, en toute sim­pli­ci­té, authen­ti­ci­té, au plus près des spec­ta­teurs, par­mi eux sou­vent, dans une dra­ma­tur­gie pré­cise, qu’ils offrent cette ren­contre avec l’artiste russe Vla­di­mir Vis­sots­ky dont ils ont adap­té les chansons.

Nous savons, nous fran­çais, si peu de choses de cet homme, acteur recon­nu, dis­pa­ru très tôt. Les plus anciens par­mi nous savent qu’il fut le mari de Mari­na Vla­dy… Cette union lui per­mit de sor­tir de l’URSS, de se rendre en France, aux USA, au Mexique… On apprend qu’il enre­gis­tra même des chan­sons par­tiel­le­ment en fran­çais, adap­tées par Maxime Le Fores­tier, mais dont il est vain de recher­cher le CD, jamais édi­té. Lui qui fut aux prises avec la cen­sure dans son pays, lui qui chan­ta clan­des­ti­ne­ment, fut pour­tant accom­pa­gné par une foule immense, près d’un mil­lion d’admirateurs, lors de sa dis­pa­ri­tion ! Peut-on trou­ver meilleure illus­tra­tion de la force incoer­cible des chansons ?

Quels que soient les détails de sa bio­gra­phie, c’est assez pour avoir le désir de l’approcher, d’écouter ses mots, de se poser la ques­tion de son immense suc­cès de chan­teur mal­gré l’oppression… La réponse est sûre­ment dans ce concert, une bulle de lyrisme, de souffle de vie qui se bat, se débat, dans cette vie si peu amène.

Dès la pre­mière chan­son au souffle épique, quand s’élève d’abord la voix forte, enga­gée de Valen­tin, rapi­de­ment rejointe par celle de Lise, dont on connaît le grain si sin­gu­lier, on devine que la parole du poète sera tout, sauf léni­fiante… Dans la beau­té et la pro­tec­tion du lieu, il ne sera pas ques­tion d’oublier à quelle des­ti­née notre huma­ni­té est sou­mise depuis la nuit des temps, depuis ces temps enfuis qui nous laissent mythes et légendes, comme celle de la ville de Troie. Et cette parole qui frappe dure­ment, défi­ni­ti­ve­ment… « Les vision­naires, les ins­pi­rés ont en remer­cie­ment fini sur le bûcher…. Face à eux, face à Cas­sandre, « la foule inculte… »

L’écriture de ce poète, ce chan­teur russe, a l’indéniable capa­ci­té d’exprimer puis­sam­ment la tra­gé­die… Celle de la guerre, de la des­truc­tion. On entend le bruit des bottes, le « fra­cas des armesun bruit sourd [qui] fait vibrer notre terre » et fait fuir les cigognes. On par­tage avec lui cette lettre d’abandon reçue dans la tran­chée, « Ton papier me tue d’une balle en plein cœur »… On voit l’image sai­sis­sante de ce sol­dat « debout face au feu… et le vent [qui] balaie les restes d’un papier bleu… ». On lève la tête vers le ciel, vers « une pluie d’étoiles » qui cèlent les des­tins. On res­sent l’immensité du vide de l’absence quand la nature immuable, l’eau, les forêts, seuls demeurent… Quand La fin du bal a son­né bien avant l’heure pour l’évadé qui jamais n’atteindra son but, pour le fruit tom­bé sans avoir pu mûrir. « C’est les oiseaux, jamais les balles, qu’on arrête en plein vol. »

Le poète chante, au mépris des « griffes acé­rées », en dépit de la « colère », des « cou­teaux » il est aus­si mes­sa­ger du Beau, du Doux… Il en appelle à notre capa­ci­té à « construire… faire un pont de [nos] far­deaux au-des­sus de la rivière ». Il en appelle à la recon­nais­sance pour la vie « Tu peux dire mer­ci, tu es encore vivant… ». A se sai­sir de l’amour « Je res­pire, ça veut dire que j’aime, et j’aime, ça veut dire que je res­pire »… Mal­gré les ter­ri­fiants moments de doute, dans le sillage de Gas­pard Hau­ser de Ver­laine, ces moments soli­taires où Rien ne va plus… « Pauvre de moi, mon outre est pleine à cra­quer… ». Mal­gré les ren­contres inop­por­tunes de ces vieilles hideuses, Mal­chance, Impos­ture, il chante la renais­sance, la déli­vrance, le prix de l’amitié et de l’amour, ce sen­ti­ment capable de nous faire croire que l’ont peut bâtir « un palais de cris­tal », que « tout l’or du monde fleu­ri­ra sur [nos] terres »…

On l’a com­pris, le poète sait le prix de la vie et la menace de la mort. En fin de concert, juste avant le rap­pel, Les che­vaux indo­ciles en offrent une puis­sante méta­phore. Bou­le­ver­sante sup­plique adres­sée aux che­vaux qui « n’obéissent qu’à leur caprice », pour qu’ils ralen­tissent un peu, le temps qu’ils boivent un ins­tant… Le temps de finir son chant, au bord du vide. Qui sait ce qu’il advient de nous ? La chan­son de rap­pel, Les Navires, ceux qui « font escale puis reprennent la mer » ouvrent un espace d’espérance … « Je revien­drai aus­si… Les rêves plein la tête et d’amis entou­ré… »

Sur­tout, sur­tout « je chan­te­rai encore une fois ».