Mon histoire pressée – Jeune Public - Le Bijou –– 2022 (©Claude Fèvre)
15 Février & 18 février 2022 – Programmation jeune public au Bijou
Laissez-moi rêver que j’ai dix ans
Avec
Les Trash Croûtes, Libres – dans le cadre de l’appel à projet Salles Mômes de la SACEM Distribution du spectacle : Nono La Diva /Noémie Maton, LaRousssie /Julie Castel Jordy, Kélèm /Clem Thomas, Mme Morane /Aude Bouttard, J‑Love La Technicienne /Julie Maingonnat – Mise en scène : Valérie Castel Jordy
Compagnie La Porte Ouverte, Mon histoire pressée, Sarah Cousy, Benoît Hennequin, Joachim Sangee – d’après Bernard Friot, Histoires pressée, éditions Milan
Le Bijou (Toulouse)
Cet après-midi là au Bijou, en voyant arriver la cohorte d’enfants qui s’apprêtent à assister au spectacle du quartet féminin des Trash Croûtes, impossible de ne pas songer à son enfance. Quelqu’un pourrait alors murmurer à notre oreille la chanson d’Alain Souchon « J’ai dix ans /Je vis dans des sphères /Où les grands /N’ont rien à faire… » Voilà l’enjeu d’un spectacle destiné au jeune public… Faire croire aux enfants que l’on ne s’adresse qu’à eux et convaincre les grands qu’ils ont encore le droit de dessiner leurs rêves de gosses… Alors rêvons, même si nous savons qu’il y a belle lurette que nos dix ans se sont fait la belle.
Ce spectacle là commence en fanfare, en paillettes, en dé-mesure. Les chanteuses ont des tenues à faire envie à toutes les petites filles, les gambettes se montrent comme au music-hall, ça scintille de partout… Il y a même une chanteuse qui fait des claquettes ! On commence par nous raconter une histoire, celle des vinyles, des cassettes, des enregistrements sur la radio – l’histoire des parents, quoi … Et d’emblée la musique, le clavier que l’une de starlettes porte sur le ventre, le ukulélé, la grosse contrebasse remplacée parfois par la basse électrique, des petites percussions notamment le métallophone, les chorégraphies aussi – très kitsch – vous emportent, vous transportent dans les sonorités des grands standards de la variété internationale. Sur ce point, il est certain que ce sont les accompagnateurs et accompagnatrices qui jubilent en entendant les adaptations en français de ces airs qui les ont fait danser… Imaginez un peu des paroles adaptées sur Don’t stop me now de Queen, Can’t take my eyes off you de Gloria Gaynor ou Respect d’Aretha Franklin… Rappelons que c’est la marque de fabrique des Trash Croûtes. Les enfants, eux, captent, c’est certain, d’abord l’énergie et la joie qui s’en dégagent mais pas seulement car le spectacle est ambitieux. Il se nomme Libres. Alors pas étonnant que l’adaptation de Free de Stevie Wonder soit au cœur du spectacle… Peu à peu se dessine en effet clairement un message : être libre c’est savoir dire non, surtout si on tombe sur un Screub (adaptation de No Scrubs du groupe de filles TLC) c’est être assuré que ce non sera entendu, respecté, c’est avoir le droit d’être un garçon manqué ou une fille réussie… Le leitmotiv ? « Je suis comme je suis … Je me dévoile » comme dans l’adaptation de la chanson I’m coming out de Diana Ross… Dans ce monde tout est possible, prendre son envol, échapper, oublier ce qui entrave et surtout savoir aimer, ce qui exige beaucoup de nous. En scène ça se chamaille, mais ça se réconcilie aussi et ça sait se dire « Je t’aime », sans se prendre trop au sérieux bien sûr… Les enfants se souviendront sans doute de la petite plume rouge que la technicienne descendue sur scène pose sur son cœur avant de la cacher sous sa combinaison.
Quelques jours plus tard retour au Bijou qui, notons-le, programme pour la première fois pour le jeune public. Cette fois nous assistons à l’adaptation de quelques Histoires pressées de Bernard Friot. La quatrième de couverture du livre paru aux éditions Milan nous dit : « Histoires à terminer, à raccommoder, à détruire en mille morceaux. » Alors on aura compris que la compagnie La Porte Ouverte qui s’est emparée de quelques unes avait toute liberté, pouvait s’en donner à cœur joie.
Les spectateurs d’aujourd’hui n’ont pas encore dix ans, ils savent juste lire mais ce spectacle, comme le précédent, s’adresse à tout public, à une condition : ne pas avoir remisé son âme d’enfant, à savoir, sa capacité à rêver, à faire de ce monde un prétexte à créer, inventer, transformer… Ils sont trois comédiens dans un décor minimaliste, très ingénieux qui se transforme au gré des scènes pour les besoins du récit… Un seul d’entre eux reste de bout en bout le même personnage, celui d’un petit garçon malicieux, nommé Benoît qui ressemble à beaucoup de petits garçons, avec son papa et sa maman, sa grand-mère, sa grande sœur, son professeur… Précisons tout de suite qu’ils ne sont que deux pour assurer autour de Benoît tous ces rôles et bien d’autres à venir !… Alors voilà, disons tout de suite que ce spectacle est aussi une magnifique initiation à l’illusion théâtrale.
Benoît, dix ans, n’aime pas se lever le matin, n’aime pas les repas de famille, fait des cauchemars, des grosses bêtises, s’en va puni dans sa chambre ou près de la machine à laver, et même tombe amoureux sans vraiment le comprendre… Mais surtout il rêve, s’invente un monde sans limites, et les deux autres comédiens vont ainsi rejoindre sa fabrique à rêves, jouer toutes sortes de personnages, même Toto le perroquet de sa grand-mère. Quelle réussite la manipulation des playmobils que les deux autres acteurs interprètent… l’histoire du roi, de la princesse et du dragon, pas vraiment comme on s’y attendrait !… le cauchemar sous le lit, cette bête ignoble qui déploie ses tentacules, le yaourt qui atterrit dans le décolleté de la tante Isabelle, le vol sur la planète Mars – magnifique traversée intergalactique ! – et surtout la chanson du tambour de la machine à laver et même la danse du linge… Tout cela est mené avec brio par des comédiens qui, outre la lecture de Bernard Friot, ont puisé sans aucun doute dans les émotions de leur enfance, dans cette jubilation à jouer « On dirait que je serais, que tu serais… » et nous, avouons, nous y étions dans l’imagination du petit Benoît.
Un spectacle qui rend hommage au théâtre et à l’enfance. A voir en famille. Absolument.
« Laissez-moi rêver que j’ai dix ans
Si tu m’crois pas hé
T’ar ta gueule à la récré…
Alain Souchon