Bel Armel, La Fleur, 2022 (©Justine Thévenin)
1er juillet 2022, De clip en clip # 19
Ça pleure puis ça fanfaronne…
Avec,
Alissa Wenz, Météo Bretonne (Paroles et musique Alissa Wenz, arrangements Romain Didier) albumJe, Tu, Elle à paraître en septembre 2022 réalisation Alissa Wenz & Emilie Noblet
Sarah Olivier, Déconstruction (Paroles Sarah Olivier et musique co-écrite avec Jérémy Lainé), album Vortex à paraître en septembre 2022, réalisation Sarah Olivier /Christian Mamoun
Petite Gueule /Manon Gilbert, Posé (Paroles Petite Gueule, musique Petite Gueule & Guillaume Stelly) extrait du premier EP Petite Gueule Présente, réalisation Nelson Rodrigo
Bel Armel, La Fleur (paroles Christelle Boizanté, musique co –écrite avec Morgan Bertelli), réalisation Justine Thévenin
« Averses, éclaircies, averses… » chante Alissa Wenz, mais il y a des jours où « Y a quelque chose d’inconsolable qui vient [nous]faire les yeux doux » comme ce 24 juin où la cour suprême des Etats –Unis, dominée par les conservateurs, a porté un coup fatal au droit à l’avortement, laissant aux cinquante Etats fédérés le choix de légiférer à leur guise en matière d’accès à l’IVG. La résistance s’organise et, partout dans le monde, les femmes tremblent. Alors cette nouvelle sélection de clips se devait de mettre en lumières des paroles de chanteuses, des paroles de femmes…
Nous avons choisi, quoi que nous redoutions, d’aller vers la lumière.
Alissa s’interroge sur cet état d’âme teintée d’une langueur monotone, celle qui s’empara, il y a bien longtemps déjà, de toute une jeunesse, du « Sturm und Drang » allemand au Romantisme français… Bien entendu, la chanson ne rivalise pas avec l’exigence poétique de ces références mais elle en a les marques incontestables. « Ce n’est même pas du chagrin… mal au monde, mal à l’homme… » poursuit la chanteuse… « C’est qu’une météo bretonne sur ma vie »… Ce clin d’œil tendre et amusé à la Bretagne où, dit-on, « il fait beau plusieurs fois par jour » rappelle que rien ne dure… Faut juste ne pas s’inquiéter, le beau temps reviendra… Inévitablement « ça pleure, puis ça fanfaronne… » Les images du clip, toutes de bleu gris – du ciel, de la mer – installent un lit de fer forgé sur la plage où une jeune femme, emmêlée dans ses cheveux, s’enroule dans sa couette… C’est amusant de se souvenir du récent clip de La Tempête de La Pietà tourné sur la plage de Sète, comme si un fil ténu venait relier les imaginaires, malgré eux. La caméra s’attarde sur l’œil, la bouche, la main froissant le drap avant que la belle endormie ne se lève et apparaisse successivement en buste, dans des tenues différentes, diversement chapeautée, selon la météo, offrant son visage au vent, au ciel, aux nuages qui filent, indifférents dans le ciel. Inutiles tous ces « pourquoi », ce « quelque chose d’inguérissable » qui finiront par s’en aller au vent. Alors il sera bon de danser sur la plage et de laisser la musique tendre et joyeuse conclure : « On a eu raison de ne pas se décourager »…
Les deux clips suivants échappent à la nature libre et sauvage pour nous transporter dans nos décors urbains, tout en nous en proposant une perception divergente.
Voyons d’abord Sarah Olivier dont nous avons gardé le souvenir en scène au Festival Bernard Dimey de 2017, le même soir que la regrettée Barbara Weldens, en conquête du grand H de l’homme ! Une soirée doublement explosive ! Nous retrouvons ici celle que nous avions ainsi décrite en parfaite rockeuse « dans sa plastique de rêve, sa jupe étroite, son blouson de cuir, ses cheveux blonds ramassés en chignon haut, façon années 40… »
Les images de ce titre Déconstruction nous proposent une réalisation savamment orchestrée, d’une esthétique appuyée, pour rendre compte du regard posé sur la ville. Le personnage féminin « au bord de la crise de nerf » apparaît tantôt dans un vieux peignoir japonais, traçant sur un mur de béton gris un trait de peinture rouge, tantôt vêtue d’un noir chic, talons hauts, ongles peints en bleu, au milieu des bouches d’aération sur les toits, en bordure du périphérique, ou en imperméable beige sur un escalator, dans un parking aux murs tagués… « Je regarde la ville / Elle est molle et grise /Les panneaux de circulation /Et la poussière qui glisse /Je regarde les gens /Ils portent des masques blancs /Les lignes de la rue /N’ont plus aucun sens » D’autres personnages apparaissent, notamment un homme qui danse, grimpée sur des talons de drag queen… Monde déliquescent, interlope autour duquel tourne la caméra… Le texte, lui, surfe sur des images inquiétantes, scandées par « Et j’ai le cœur lourd »… Faut-il croire à l’espérance quand la caméra survole en plongée un espace naturel où le personnage féminin est allongé, visage apaisé, gestes doux ? On peut en douter quand lui succèdent aussitôt les cris « Construction, Déconstruction » et les corps agités de mouvements douloureux… Le clip s’achève sur les toits, le personnage et sa silhouette sombre se détachant sur un ciel nocturne.
Le clip de Petite Gueule, Posé, lui aussi tourné en milieu urbain, au plein cœur de Montreuil cette fois, lui fait contrepoint. Celle que nous avons vue lors du dernier Festival Détours de Chant, dévoilant tous ses talents de musicienne, comédienne, déroulant son rap sensible, aussi tendre que rageur, déambule ici, enjouée, dans sa ville, celle de son enfance et de son adolescence. C’est une immersion dans ce qui fut ses terrains de jeux et d’amitiés, une invitation à la suivre avec cet échange familier « Allez, t’es où ? J’suis là, vas‑y, j’arrive … » La ville est ici totalement dépouillée de son caractère anxiogène et pour cause, c’est un retour à l’insouciance, à « un sentiment de plénitude »… Et pourtant le texte n’édulcore rien et surtout pas les lieux « Plus l’endroit était moche, plus on était heureux. » Alors la caméra en fait autant… Le clip débute sur le balcon d’un immeuble où Petite Gueule est de dos, casque sur les oreilles. Elle regarde la ville, en bas, tout autour… Appel sur son portable. Rendez-vous est pris… Escalier de l’immeuble, pour un autre ce sera au volant d’une voiture, un autre encore, sur son vélo… Petite Gueule avance, tenue de sport, pas dansant… On la suit, toujours joyeuse « Quand on a un sourire qui vient /Qu’on sait même pas pourquoi ». Viennent alors tous ceux que l’on retrouve ici et là, qui se sont « posés » ici ou là … Et ce sont des visages qui échangent, rient, des enfants, des vieux, des adolescents dans leur QG. Vient le moment de se poser des questions : « Qu’est ce qu’on a fait de la simplicité ? On la paye à quel prix la complicité ? » Arrive alors la note de réflexion – et humour !! – quand elle apparaît en maillot de bain et bouée canard sur la place Aimé Césaire à Mairie de Montreuil. Autour d’elle dansent des femmes en petite robe noir et des hommes en costume sombre et cravate « Comment on peut à ce point là s’éloigner de notre liberté ? » La voici dans l’eau d’un bassin, dans sa bouée, au milieu des immeubles : « Moi je propose l’insouciance prolongée… » C’est donc ça, le programme que montre encore une série de plans : « Une belle solitude à plusieurs… J’ai rien trouvé qui remplace. » Bel hommage à l’amitié dans la ville avec laquelle on a grandi !
On vous l’avait promis en commençant, nous allions vers la lumière. Nous finissons donc avec l’harmonie des couleurs et des formes de la plasticienne Justine Thévenin, transportés dans un tableau comme émergé de la tradition culturelle mexicaine où tout se mélange, fleurs, animaux fantasmagoriques, êtres humains… C’est un cadeau de Christelle Boizanté, autrement nommée Bel Armel depuis janvier 2018 où elle est apparue seule en scène derrière ses micros et sa « machine » bricolant les sons pour nous transporter dans son imaginaire. On se souvient de ce moment où elle joue longuement, danse radieuse avec le petit feu de Bengale qui rapidement s’éteint…« Comment tu veux être une fée, si tu n’as pas la baguette ? »
Ici, la voix répète d’abord la question « Est-ce que » comme un mantra, puis la chanson courte comme une comptine « Est-ce que la fleur était déjà dans l’arbre ? /Est-ce que l’enfant était déjà le fruit ? /Est-ce que le cœur était déjà au ventre ? /Est-ce que la mer était déjà dans les larmes ? » Le clip nous donne à voir les étapes du dessin, du coloriage, la fleur d’abord puis une libellule, à moins qu’il ne s’agisse de la grande bouche de je ne sais quel serpent, dragon ? L’image palpite comme un cœur vivant et découvre l’enfant d’où s’envole un cortège de petits cœurs roses vers un être aux seins épanouis, au sexe en forme d’arbre… Des couleurs vives, vivantes… Du bleu, du rouge, du jaune, du vert, purs, sans mélange. Oiseaux, reptiles, papillons, enfants tout roses… L’eau, le ciel, le soleil… La vie en somme… Bel Armel a donc trouvé sa baguette de fée :
« As-tu besoin de comprendre ?
Tu vis, tu aimes, tu danses
Tu joues dans les vagues »