Le nouveau numéro du bimensuel Francofans fait à ses abonnés un précieux cadeau : un disque, une compilation de onze titres qu’accompagne un dossier de six pages. Chemin des Dames, Adieu la vie, Adieu l’amour L’écoute de cet album nous a laissée profondément émue, bouleversée même. Comment ne pas se souvenir de notre propre grand-père, plutôt taiseux sur cette tragédie ? Voici ce qu’il nous reste de lui, de sa tragédie dans les tranchées de Champagne : sa croix de guerre et sa fine écriture au crayon sur son carnet de route. C’est un hommage, un bel hommage, à la hauteur de l’immensité du carnage rappelé par FrancoFans . On célèbrera dans quelques jours à Craonne la bataille du Chemin des Dames. Ironie de l’Histoire qui unit un si joli nom au massacre de tant d’innocents ! A cette occasion l’album sera distribué gratuitement. François Guernier, Emma Daumas, Yves Jamait et The Celtic Social Club seront sur scène. On doit ce disque et la participation des onze chanteurs en grande part à leur l’origine. Il faut savoir que naître dans ces régions du Nord et de l’Est – nous en sommes - marquent pour une vie entière nos sensibilités. La terre elle-même, les villes et les villages portent les stigmates de deux guerres. Les hommes et les femmes de ce pays n’en ont pas fini avec elles. Le rédacteur en chef de FrancoFans lui-même, Benjamin Valentie, est originaire de Laon, comme Balbino Medellin qui y vit aujourd’hui. Barcella lui, est de Reims, Yves Jamait de la Bourgogne toute proche, Toma Sidibé de la Picardie… On doit l’enregistrement de ces chansons à l’initiative et aux recherches de François Guernier qui habite à côté de Craonne. Ce qui frappe d’abord c’est que par deux fois seulement sur les onze titres s’expriment clairement la colère et la révolte. Par deux fois seulement les responsables sont désignés « Les bandits qui sont cause des guerres / N'en meurent jamais, on n'tue qu'les innocents ! » dit Montehus dans La butte rouge, désignant une butte de l’Argonne. Elle est interprétée par Balbino Medellin, qui dit : « Je n’avais pas à réfléchir, je suis né dans le jus de ce que raconte cette chanson … » On connait bien entendu aussi la conclusion de la célèbre Chanson de Craonne : « Ce s'ra votre tour, messieurs les gros, /De monter sur l'plateau, / Car si vous voulez la guerre, /Payez-la de votre peau ! » Sanséverino en fait d’ailleurs une interprétation surprenante, voire dérangeante. La voix, la guitare l’éloignent de la tragédie. Elle en deviendrait presque légère… On peut associer à ces deux titres, un troisième anonyme qu’a choisi l’afro-picard Toma Sidibé : A Hurtebise. L’interprétation métissée de sons africains chers au chanteur ajoute à l’ironie du texte, sachant que de nombreux tirailleurs sénégalais étaient engagés dans cette bataille : « La vie des tranchées a du bon / On y économise… » Dans le reste de l’album domine l’expression des sentiments, sensations d’un soldat comme s’il était seul au monde, perdu dans un enfer nocturne. Le choix d’Yves Jamait est caractéristique à ce titre. Il s’est porté sur Fusée de Robert Ibels : « Je suis seul et tout dort… La tranchée s’est drapée du linceul des ténèbres. Pas une étoile au ciel. Le vent hurle la mort… » Quand apparaît soudain une fusée dans le ciel qui « éclaire un instant les cadavres » et s’en vient ensuite mourir doucement. Le plus souvent en effet, les autres soldats sont évoqués comme des morts. Le texte de Paul Verlet, titré Après, qu’interprète Franck Vandecasteele sur une musique de François Guernier est à ce titre d’une force inouïe. Il évoque la « jouissance unique, égoïste de vivre » quand on revient vivant du front : « Pleurer d’amour / Danser comme un homme ivre / Embrasser les copains qui passent. » Ben Ricour, lui, a mis en musique un texte humble et superbe de François Baron gravé sur une stèle, sur le Chemin des Dames. L’auteur imagine son retour qu’il veut empreint de silence : « Lorsque je reviendrai…je m’assiérai dans l’ombre où le buis est plus noir…Ne me demandez pas de récits de bataille… Taisez-nous, tout est bien… Comme il sera calme et pieux le paysage ». Un harmonica souligne l’émotion d’un retour qui, hélas, n’adviendra pas. La nature est tantôt martyrisée, sacrifiée, hostile aussi, tantôt symbole de la paix, du passé révolus. Elle est partout présente. Elle est tragiquement belle cette « fleur du chemin des Dames quelque fois par là, par ci » qui revient dans le texte de Jean Arbousset, Envoi du Front interprété par la voix douce et délicate de Choé Lacan sur un arrangement dépouillé. A rebours Emma Daumas enveloppe Cantonnement de Novembre de Pierre de Lestang dans un lamento, une orchestration complexe pour dire la mort qui rôde, guette : « Le vent sanglote et se lamente… Se tait le doux roucoulement des pigeons bleus cachés dans l’ombre… Plus de cloche, plus de chant… » Comment ces jeunes hommes ont-ils pu endurer de telles épreuves ? La réponse est claire, il leur a fallu de l’amour auquel il s’accroche comme à la chaleur d’une main. Celui d’une mère, celui d’une fiancée. Cet amour s’exprime dans leur correspondance, « dans le soir triste où traine du chagrin ». C’était là leur seul lien avec la vie, celle d’avant… Christian Olivier, accompagné par Thibaut Garcia et la complainte de sa guitare, a choisi une déclaration d’amour de Paul Verlet à sa mère, aux mères des soldats dont « l’image vivra dans leur tombe ». Il évoque la vie heureuse avec la lecture, l’armoire aux confitures, le chat tout noir dans la verdure… et surtout les baisers, les caresses maternelles. Dans ces alexandrins solennels, c’est un cœur d’enfant qui se livre et qui termine avec ces mots : « Je t’adore en silence avec de grosses larmes. » Ces mères sont là, présentes dans ce texte, comme des Vierges de Piété… Enfin Barcella et François Guernier sont les auteurs de deux chansons. Ils se sont inspirés de la forme épistolaire. François Guernier imagine des lettres quotidiennes dans l’hiver 2016 où s’expriment les souffrances d’« écorchés », les larmes, le froid. Barcella alterne les lettres de deux amoureux, Ernest et Louisette, petite valse nostalgique du piano, où le vouvoiement un peu désuet donne une touche sépia à cette correspondance. Elle s’achève par la lettre d’un autre soldat annonçant la mort d’Ernest. L’amour n’est donc pas plus fort que la haine ? Pourtant Ernest et Louisette voulaient y croire. Très fort. « Le monde perd la tête par la haine». Nous ne le savons que trop… Reste l’espérance, coûte que coûte, même face au pire : « Je donne à mon espoir tout l’avenir qui tremble comme une petite lueur au loin dans la forêt. »(lettre à Lou, Guillaume Apollinaire)

Le nou­veau numé­ro du bimen­suel Fran­co­fans fait à ses abon­nés un pré­cieux cadeau : un disque, une com­pi­la­tion de onze titres qu’accompagne un dos­sier de six pages.
Che­min des Dames, Adieu la vie, Adieu l’amour
L’écoute de cet album nous a lais­sée pro­fon­dé­ment émue, bou­le­ver­sée même. Com­ment ne pas se sou­ve­nir de notre propre grand-père, plu­tôt tai­seux sur cette tra­gé­die ? Voi­ci ce qu’il nous reste de lui, de sa tra­gé­die dans les tran­chées de Cham­pagne : sa croix de guerre et sa fine écri­ture au crayon sur son car­net de route.
C’est un hom­mage, un bel hom­mage, à la hau­teur de l’immensité du car­nage rap­pe­lé par Fran­co­Fans . On célè­bre­ra dans quelques jours à Craonne la bataille du Che­min des Dames. Iro­nie de l’Histoire qui unit un si joli nom au mas­sacre de tant d’innocents !
A cette occa­sion l’album sera dis­tri­bué gra­tui­te­ment. Fran­çois Guer­nier, Emma Dau­mas, Yves Jamait et The Cel­tic Social Club seront sur scène. 

On doit ce disque et la par­ti­ci­pa­tion des onze chan­teurs en grande part à leur l’origine. Il faut savoir que naître dans ces régions du Nord et de l’Est – nous en sommes – marquent pour une vie entière nos sen­si­bi­li­tés. La terre elle-même, les villes et les vil­lages portent les stig­mates de deux guerres. Les hommes et les femmes de ce pays n’en ont pas fini avec elles.
Le rédac­teur en chef de Fran­co­Fans lui-même, Ben­ja­min Valen­tie, est ori­gi­naire de Laon, comme Bal­bi­no Medel­lin qui y vit aujourd’hui. Bar­cel­la lui, est de Reims, Yves Jamait de la Bour­gogne toute proche, Toma Sidi­bé de la Picar­die… On doit l’enregistrement de ces chan­sons à l’initiative et aux recherches de Fran­çois Guer­nier qui habite à côté de Craonne. 

Ce qui frappe d’abord c’est que par deux fois seule­ment sur les onze titres s’expriment clai­re­ment la colère et la révolte. Par deux fois seule­ment les res­pon­sables sont dési­gnés « Les ban­dits qui sont cause des guerres /​N’en meurent jamais, on n’tue qu’les inno­cents ! » dit Mon­te­hus dans La butte rouge, dési­gnant une butte de l’Argonne. Elle est inter­pré­tée par Bal­bi­no Medel­lin, qui dit : « Je n’avais pas à réflé­chir, je suis né dans le jus de ce que raconte cette chan­son … » On connait bien enten­du aus­si la conclu­sion de la célèbre Chan­son de Craonne : « Ce s’ra votre tour, mes­sieurs les gros, /​De mon­ter sur l’pla­teau, /​Car si vous vou­lez la guerre, /Payez-la de votre peau ! » San­sé­ve­ri­no en fait d’ailleurs une inter­pré­ta­tion sur­pre­nante, voire déran­geante. La voix, la gui­tare l’éloignent de la tra­gé­die. Elle en devien­drait presque légère…
On peut asso­cier à ces deux titres, un troi­sième ano­nyme qu’a choi­si l’afro-picard Toma Sidi­bé : A Hur­te­bise. L’interprétation métis­sée de sons afri­cains chers au chan­teur ajoute à l’ironie du texte, sachant que de nom­breux tirailleurs séné­ga­lais étaient enga­gés dans cette bataille : « La vie des tran­chées a du bon /​On y économise… »
Dans le reste de l’album domine l’expression des sen­ti­ments, sen­sa­tions d’un sol­dat comme s’il était seul au monde, per­du dans un enfer noc­turne. Le choix d’Yves Jamait est carac­té­ris­tique à ce titre. Il s’est por­té sur Fusée de Robert Ibels : « Je suis seul et tout dort… La tran­chée s’est dra­pée du lin­ceul des ténèbres. Pas une étoile au ciel. Le vent hurle la mort… » Quand appa­raît sou­dain une fusée dans le ciel qui « éclaire un ins­tant les cadavres » et s’en vient ensuite mou­rir dou­ce­ment. Le plus sou­vent en effet, les autres sol­dats sont évo­qués comme des morts. Le texte de Paul Ver­let, titré Après, qu’interprète Franck Van­de­cas­teele sur une musique de Fran­çois Guer­nier est à ce titre d’une force inouïe. Il évoque la « jouis­sance unique, égoïste de vivre » quand on revient vivant du front : « Pleu­rer d’amour /​Dan­ser comme un homme ivre /​Embras­ser les copains qui passent. »
Ben Ricour, lui, a mis en musique un texte humble et superbe de Fran­çois Baron gra­vé sur une stèle, sur le Che­min des Dames. L’auteur ima­gine son retour qu’il veut empreint de silence : « Lorsque je reviendrai…je m’assiérai dans l’ombre où le buis est plus noir…Ne me deman­dez pas de récits de bataille… Tai­sez-nous, tout est bien… Comme il sera calme et pieux le pay­sage ». Un har­mo­ni­ca sou­ligne l’émotion d’un retour qui, hélas, n’adviendra pas.

La nature est tan­tôt mar­ty­ri­sée, sacri­fiée, hos­tile aus­si, tan­tôt sym­bole de la paix, du pas­sé révo­lus. Elle est par­tout pré­sente. Elle est tra­gi­que­ment belle cette « fleur du che­min des Dames quelque fois par là, par ci » qui revient dans le texte de Jean Arbous­set, Envoi du Front inter­pré­té par la voix douce et déli­cate de Choé Lacan sur un arran­ge­ment dépouillé. A rebours Emma Dau­mas enve­loppe Can­ton­ne­ment de Novembre de Pierre de Les­tang dans un lamen­to, une orches­tra­tion com­plexe pour dire la mort qui rôde, guette : « Le vent san­glote et se lamente… Se tait le doux rou­cou­le­ment des pigeons bleus cachés dans l’ombre… Plus de cloche, plus de chant… »

Com­ment ces jeunes hommes ont-ils pu endu­rer de telles épreuves ? La réponse est claire, il leur a fal­lu de l’amour auquel il s’accroche comme à la cha­leur d’une main. Celui d’une mère, celui d’une fian­cée. Cet amour s’exprime dans leur cor­res­pon­dance, « dans le soir triste où traine du cha­grin ». C’était là leur seul lien avec la vie, celle d’avant… Chris­tian Oli­vier, accom­pa­gné par Thi­baut Gar­cia et la com­plainte de sa gui­tare, a choi­si une décla­ra­tion d’amour de Paul Ver­let à sa mère, aux mères des sol­dats dont « l’image vivra dans leur tombe ». Il évoque la vie heu­reuse avec la lec­ture, l’armoire aux confi­tures, le chat tout noir dans la ver­dure… et sur­tout les bai­sers, les caresses mater­nelles. Dans ces alexan­drins solen­nels, c’est un cœur d’enfant qui se livre et qui ter­mine avec ces mots : « Je t’adore en silence avec de grosses larmes. » Ces mères sont là, pré­sentes dans ce texte, comme des Vierges de Piété… 

Enfin Bar­cel­la et Fran­çois Guer­nier sont les auteurs de deux chan­sons. Ils se sont ins­pi­rés de la forme épis­to­laire. Fran­çois Guer­nier ima­gine des lettres quo­ti­diennes dans l’hiver 2016 où s’expriment les souf­frances d’« écor­chés », les larmes, le froid. Bar­cel­la alterne les lettres de deux amou­reux, Ernest et Loui­sette, petite valse nos­tal­gique du pia­no, où le vou­voie­ment un peu désuet donne une touche sépia à cette cor­res­pon­dance. Elle s’achève par la lettre d’un autre sol­dat annon­çant la mort d’Ernest.

L’amour n’est donc pas plus fort que la haine ? Pour­tant Ernest et Loui­sette vou­laient y croire. Très fort.
« Le monde perd la tête par la haine ». Nous ne le savons que trop… Reste l’espérance, coûte que coûte, même face au pire : 

« Je donne à mon espoir tout l’avenir qui tremble comme une petite lueur au loin dans la forêt. »(lettre à Lou, Guillaume Apollinaire)