Eric Guilleton – Pierre Barouh (© Norbert Gabriel)
du 28 juillet au 2 août 2018 – Barjac m’en Chante
La Chanson, quelle histoire !
Avec
Pauline Dupuy /Contrebrassens, Marie-Paule Belle, Marie d’Epizon, Parlez-moi d’amour, de Colette à Aragon – Christian Laborde, L’homme aux semelles de swing – Bernard Vasseur, Aragon et la chanson – Eric Guilleton chante Pierre Barouh – Sarclo chante Dylan
Expositions salle du Château : Nougaro, le parcours d’un cœur battant – Pascale Angelosanto, photographe, Derrière le micro – Jardin des papotages : 80 ans de Chanson française, du microphone au MP3, conception, rédaction, Jacques Vassal
Espace Jean Ferrat (cour du château), Salles du château, Salle Trintignant, Chapiteau du Pradet, Le jardin des papotages – Barjac (Gard)
Barjac m’en Chante 2018 offrait tellement de propositions qu’il était quasi impossible de tout embrasser, de tout voir… Que l’on veuille bien par avance nous pardonner s’il n’est pas fait mention de tout, de toutes et de tous…
Pour autant, abandonnant la rédaction quotidienne au fil des jours, il nous a été possible de beaucoup en voir. L’offre était trop belle, il fallait absolument ne pas manquer certains moments, certains lieux.
Le festival très ouvert sur la jeune création dans les concerts au chapiteau du Pradet, a par ailleurs accordé une large place à l’Histoire de la Chanson, proposant ainsi de savoureux moments de découvertes, redécouvertes…
Sans doute est-ce au « jardin des papotages, un peu en retrait des grouillantes allées », dit le programme, que l’on pouvait regarder avec le plus de distance ce fabuleux parcours de la chanson dans les années écoulées, à cheval entre deux siècles. C’est à Jacques Vassal que l’on en doit la conception et la rédaction, à l’ombre tutélaire des archives de la revue Chorus et de ses deux combattants, Fred et Mauricette Hidalgo. En dix sept panneaux très illustrés, comme autant d’étapes décisives, on cheminait à la rencontre de cette Chanson, de ses figures, de ses stars et de ses styles, toiles de fond de nos vies et de celles de nos parents et grands-parents.
C’est ensuite que l’on pouvait s’arrêter à quelques figures incontournables. On citera d’abord Brassens qui demeure l’incontestable maître à écrire des chansons en français si l’on en juge par la place qu’il occupe encore dans le parcours des plus jeunes auteurs. Alors, on peut considérer que Barjac m’en Chante 2018 a offert cette année, dans la cour du château, une occasion divine – oui, osons l’adjectif ! – de se délecter de son écriture avec l’interprétation tout en grâce et sensualité de Pauline Dupuy. Et puisqu’il est question des concerts en soirée, de la majestueuse cour du château, on citera Marie-Paule Belle. Très alerte et bien de notre temps, elle représente pourtant déjà une part de l’histoire, tant ses succès ont marqué une époque, celle des années 70 avec leur gaîté, leur dynamisme et leurs combats d’après 68.
C’est avec l’exposition sur Claude Nougaro que l’on pouvait poursuivre ce cheminement. Une vie, le « parcours de ce cœur battant » qui s’ouvre à l’Autre, une œuvre qui s’articule autour de la Poésie, son maître mot, autour des rencontres et qui ne cesse de rappeler la nécessaire tolérance, la main qu’il faut tendre… Et bien entendu, pour que soit totalement accompli ce coup de chapeau il fallait aller voir et écouter Christian Laborde. Le poète, bateleur, ami de l’artiste déboule en scène avec fougue, s’emparant de l’espace scénique comme d’un ring. Impossible de ne pas revoir Claude lui-même, dans les mouvements, dans l’accent rocailleux, dans le rythme imposé aux mots, dans cette Plume d’ange qui nous escortait dans ces années 70 justement. Un régal cette façon de nous faire revivre l’homme et l’artiste !
Et puisqu’il est question d’amitié, parlons tout de suite d’un autre grand nom de l’Histoire de la chanson, de Pierre Barouh que son ami Eric Guilleton est venu nous évoquer avec tellement de tendresse. Son geste vers le ciel, ses mots « Saravah, Pierre, Saravah » disent à peu près tout. Avec cette heure passée à écouter Eric égrenant ses souvenirs, évoquant l’homme généreux, sensible, écartelé entre rêve et réalité, chantant ses plus grands succès, A bicyclette, Des ronds dans l’eau… évoquant l’écriture commune de chansons, c’est tout un pan de l’Histoire de la chanson, du cinéma qui s’éveille, se réveille en nous. Et c’est si bon…
La Chanson française, on le sait, garde un lien étroit avec la littérature, avec les poètes. C’est Marie d’Epizon qui nous l’a délicieusement rappelé avec l’élégance que nous avons précédemment soulignée. Bien entendu on ne pouvait choisir meilleur thème que l’Amour, ses arcanes, ses routes et ses déroutes, pour mettre en évidence les sources d’inspiration similaires.
Mais la Chanson s’inspire aussi d’ailleurs, d’autres pays, d’autres langues, d’autres musiques. Dans l’Histoire récente, c’est évidemment de l’autre côté de l’Atlantique qu’elle est allée puiser avec abondance. Et cette influence là n’est pas près de s’essouffler… Barjac 2018 a invité Sarclo chantant Dylan, celui qui a bercé tant et tant de chanteurs français. Il révolutionne à sa façon notre écoute puisqu’il s’est attelé à traduire, adapter les textes de Dylan. Le trop grand succès de ce concert ne nous a pas permis d’y assister, alors accordons la parole à Pierre Delorme – lui-même reprend Dylan avec son ami Frédéric Bobin – Il s’exprime en ces termes sur son blog Crapauds & Rossignols : « Adapter les chansons de Dylan est un travail qui n’est jamais terminé, on peut modifier, changer un mot, une note ici ou là, pour approcher toujours un peu plus de justesse. Sarcloret a ouvert un immense chantier, c’est à ça que j’ai pensé en le voyant à l’ouvrage au milieu de ses guitares. Il bataille, comme on voit un peintre ou un sculpteur batailler dans son atelier. C’est le même genre d’athlète. » Ce à quoi Sacloret répond : « J’envoie volontiers mes essais de traductions à qui n’en veut sur simple demande à sarclo.sarcloret@gmail.com, les chante qui veut, je ne fais que passer…. »
L’Histoire s’écrit chaque jour qui passe, et la Chanson n’échappe pas à cette loi. C’est pourquoi nous terminerons en évoquant l’exposition photographique – mais pas seulement – de Pascale Angelosanto. Elle est allée à la rencontre de ceux qu’elle emprisonne dans ses clichés, les a longuement interrogés, un peu comme dans un portrait chinois, pour en faire des panneaux où apparaissent quelques réponses qui offrent un passionnant aperçu de leurs univers. On apprend ainsi que les poètes préférés de Marion Cousineau sont… des chanteurs ! (Allain Leprest- Anne Sylvestre). Le héros préféré de Pascal Mary, c’est le petit Momo dans La vie devant soi. Le premier souvenir marquant du parcours d’artiste de Laurent Berger c’est le jour où il entendit son père siffler sa chanson Plume. Les mots favoris de Mehdi Krüger sont ceux qu’utilisent les techniciens en scène, « Un concert c’est un bateau dans la tempête ». La phrase préférée de Lise Martin c’est celle de Nietzsche – ce sera notre conclusion :
« Il faut avoir encore du chaos en soi pour pouvoir mettre au monde une étoile qui danse »…