5 mai 2016 – Le bistrot d’Alphonse
textes de Bernard Dimey, mis en scène par Patrice Guillaumet, interprétés par la compagnie le Petit théâtre d’Ernest, avec Patrice Guillaumet, Anne-Marie Boussange – Diaquin, Calogero Di Maïda, Gilles Grateau et Claude Lecarme
Médiathèque Bernard Dimey à Nogent (Haute-Marne)
À Nogent, l’ombre de l’auteur Bernard Dimey s’invite au festival. Une exposition retrace son magnifique parcours dans l’univers de la Chanson, un portrait, figure tutélaire en noir et blanc trône dans la belle salle de spectacle. Dans la mémoire de festivaliers fidèles, le poète sème encore ses mots d’homme sensible, tendre et généreux… Il n’est pas seulement le nom accolé à d’autres noms plus célèbres que le sien. D’ailleurs il est de bon ton de chanter une chanson de Dimey quand on est invité dans la programmation. C’est signe de respect élémentaire.
L’équipe organisatrice a, depuis toujours, le souci de mieux le faire connaître car l’œuvre est immense. Cette année il a invité deux spectacles pour cette transmission, et le public attend ce moment-là avec impatience, curiosité et exigence. Jouer, chanter, dire du Dimey à Nogent, ce n’est pas rien !
Le petit théâtre d’Ernest dans « la cave à Bernard »
Dans la petite salle voûtée d’une soixantaine de places de la médiathèque, le festival a programmé dans l’après-midi un spectacle théâtral, joliment et simplement baptisé Le bistrot d’Alphonse. C’est une commande à des amis qui se sont prêtés volontiers au jeu. Le défi donne prétexte à dire les textes dans un dialogue qui ne manque pas de pittoresque. Du Dimey, rien que du Dimey ! Savoureux, il va sans dire.
Le décor est attendu – ce serait même irritant – le bar et ses incontournables guéridons, les verres de rouge ou de blanc, le calva… Bien entendu on sait que le poète champenois est aussi plus sûrement le poète montmartrois. Celui qui a côtoyé le monde interlope de la Butte ; celui qui a écrit « Ivrogne et pourquoi pas », un texte qui colle désespérément à son œuvre. On ne sait trop pourquoi on aurait envie de l’arracher à ce décor…
On concède donc d’abord à ce qui devient une tradition, à des personnages typés : autour d’Alphonse le patron tendrement attentif à chacun de ses clients, le vieux, simplement nommé Pépère, qui regarde sa vie, celle des autres avec sa philosophie d’homme à qui on ne la fait plus, et qui ne quitte pas sa chaise, attitrée sans doute, comme l’huître son rocher, le « jeune » veuf, Nanar, un peu moins écorché que les autres, surtout fier de son goût pour la bouteille, partagé entre inquiétude et admiration pour sa sœur Mimi, pour son cul surtout, une fille de joie « les miches en or, le cœur en papier »… Et surtout, surtout il y a Bébert… C’est par ce personnage et la connivence de Mimi, la tendre putain, que tout bascule.
Bébert est affalé sur sa table avant même que commence le spectacle. Au fil du texte il émerge de son état d’égaré dans les paradis artificiels… On découvre son rêve quand, silhouette dessinée par Folon, il écarte les bras, emporté par les notes aériennes des accordéons de Motion Trio qui s’élèvent – joli choix, vraiment ! – Le texte superbe de Je vais m’envoler vous serre le cœur. Et c’est à ce moment-là qu’entre Mimi, son alter ego en rêves, avec qui il entretient un lien douloureux, subtil. Le spectacle bascule alors vers des espaces nouveaux, ceux de la poésie… avec Les trains, tout ce qu’ils inspirent aux protagonistes de ce huis clos. D’ailleurs Bébert répète inlassablement : « J’aime pas les trains »…
Avec Mimi, il aimerait échapper à cette vie dans laquelle il s’enlise : Mimi, fais-moi plaisir, même si t’aimes pas l” musette /Appelle ça du folklore et tu l” regretteras pas /Allons‑y samedi soir car ma petite guinguette /Si on attendait trop, j’ai peur… qu’on la retrouve pas. Alphonse alors évoque les Auvergnats, « voyageurs superbes », leur épopée d’exilés à la capitale avant que Bébert, lui, ne s’échappe dans l’évocation d’un passé déchiré, comme l’est sans doute son être profond… fille ou garçon ? Qui saura ?… Et ça, ce n’est pas forcément facile à vivre ! « J’ai vampé l’colonel et j’l’ai tout compromis ! /Il m’écrivait des lettres où qu’i m’parlait d’mes fesses /On a dû le déplacer, d’ailleurs, pis moi aussi… » On l’appelait Zizi…
Au bout du compte, pour vivre, survivre chacun se construit ses châteaux en Espagne. Mais où sont-ils vraiment ?
Le spectacle se referme sur Pépère, assis sous le réverbère méditant sur sa mort à venir, comme la nôtre : « Ma mort ne sera pas un drame… je n’étais pas un pharaon… J’aimerais tant voir Syracuse… ».
On se sent plein de larmes. Et c’est beau et bon.