Frédéric Bobin Les larmes d’or– 2018 (©David Desreumaux)

Fré­dé­ric Bobin, Les larmes d’or – 2018 (© David Desreumaux)

15 jan­vier 2018 – Sor­tie du troi­sième album de Fré­dé­ric Bobin

Les larmes d’or – Textes de Phi­lippe Bobin. Musique et arran­ge­ments de Fré­dé­ric Bobin 

Avec
Fré­dé­ric Bobin (voix, gui­tare acous­tique, gui­tare élec­trique, pia­no, gui­tare slide, chœurs), Mikael Coin­te­pas (basse élec­trique, contre­basse, bat­te­rie, per­cus­sions, weis­sen­born), Hélène Piris (vio­lon­celle, chœurs), Vincent Dupuis (har­mo­ni­ca), Kent (voix sur Tant qu’il y aura des hommes avec l’aimable auto­ri­sa­tion de Thoobett/At(h)ome)


Du blanc, du noir.

Une pochette d’album et un livret sobres, élé­gants. On recon­naît là aus­si la touche très per­son­nelle du pho­to­graphe David Des­reu­maux.

Du blanc, du noir. Comme les deux pôles de nos vies écar­te­lées entre ombre et lumière.

Au rec­to l’homme est debout, sil­houette élan­cée, tenue soi­gnée sans rien d’ostentatoire. Barbe nais­sante, mains dans les poches, regard franc plan­té dans les nôtres. Cet homme-là res­semble fort à celui que nous connais­sons dans la vie.

Au fil des pages du livret, on le découvre assis de dos sur un tabou­ret de scène que l’on voit plus loin accom­pa­gné des chaus­sures et de la veste négli­gem­ment dépo­sée. Il pose ensuite appuyé sur le cof­fret de sa gui­tare, tête bais­sée, puis aux côtés de Kent, sou­riant, bras croi­sés. On le voit aus­si les doigts mêlés comme en prière – une atti­tude que nous lui recon­nais­sons – tête bais­sée encore, enfin en plan rap­pro­ché, en légère contre –plon­gée, regard tour­né vers le loin­tain, avant que la der­nière page ne le pré­sente assis sur le tabou­ret – de face cette fois – en contre­point du début.

C’est un peu comme un court métrage si l’on veut bien s’y attar­der. Car l’artiste a besoin d’isolement, de réflexion, de reve­nir à lui-même, avant de reve­nir faire face au public et de lui offrir ses chan­sons, comme autant d’étapes de sa vie intérieure.

Or cette vie per­son­nelle n’aurait aucune chance de faire des chan­sons si elle ne nous concer­nait pas tous. C’est là le talent de Phi­lippe, auteur des textes, et de Fré­dé­ric son frère. Nous don­ner à entendre un peu de nous. Nous tendre un miroir, sans conces­sion, mais jamais sans espoir.

Du noir. Du blanc.

La musique de cet album est réso­lu­ment tein­tée des atmo­sphères venues du grand Ouest amé­ri­cain, de ces bal­lades que Fré­dé­ric Bobin affec­tionne tel­le­ment. Les gui­tares, qu’elles soient acous­tique, élec­trique, « slide » ou « weis­sen­born » concourent à nous émou­voir, à nous inter­pel­ler aus­si avec ce petit quelque chose d’un ailleurs spa­tial et tem­po­rel. L’harmonica y a sa large part bien sûr, et le vio­lon­celle s’accorde aux remous de l’âme, nous le savons bien. La basse est là, comme cœur qui bat, et la bat­te­rie s’en vient scan­der les moments d’intensité.

Fré­dé­ric dévoile en scène, depuis des mois, quelques unes de ces chan­sons réunies dans cet album. Elles trouvent main­te­nant leur expres­sion abou­tie, magni­fiée, même si la lec­ture seule des textes révèle ce qui nous est offert : l’homme qui chante est au mitan d’une vie.

« Le soir tombe et je n’ai pas chan­gé le monde ». Le constat est là : Il aurait tant vou­lu « arro­ser les terres brû­lantes /​Accé­lé­rer les valses lentes… » Par­fois en effet la vie en soi défile en Super 8, « comme un drôle de film » dont on revoit clai­re­ment chaque épi­sode. On serait même ten­té d’avoir des regrets en ouvrant « la boîte à sou­ve­nirs jamais refer­mée » sur­tout quand on y retrouve quelques amours enfuis.

On fait des haltes qui ras­surent, en reve­nant « boire à la source une goutte d’eau », ou bien qui déchirent – c’est selon – du côté du « temps per­du », des « illu­sions fanées ». Dans la mai­son de grand-père un papillon tourne peut-être encore autour de la théière… Allez savoir… Et « la fian­cée » du bal qui danse de son pas léger pour­rait-elle – une fois, une seule fois – échap­per à la malé­dic­tion de la bohé­mienne ? Le poète a tous les pou­voirs nous le savons… Ah ! S’il pou­vait « inver­ser le sens des pen­dules » !

Peut-il seule­ment faire que Sind­bad échappe à son des­tin de « voya­geur fati­gué, éter­nel nomade », pous­sé hors de chez lui par des hordes san­gui­naires ? Peut-il peindre « un vol de colombe dans ce ciel de béton » de « Jim­my patrouille de nuit » ? Ces deux per­son­nages, aban­don­nés, seuls, sont venus rejoindre Jo de Géor­gie et Tatia­na sur le périh ‘ dans l’imaginaire des frères Bobin.

Arri­vé là, devant ce bilan, se lais­se­ra-t- on aller à la déses­pé­rance ? Au noir ? Tout au long de l’album la réponse nous est tra­cée. Certes Les amours inter­mit­tentes, comme des para­dis arti­fi­ciels, offrent leurs « escales exquises » leurs « ver­tus envoû­tantes ». Mais c’est sur­tout la créa­tion, la poé­sie, la musique, qui sont les liens ténus mais têtus entre les hommes. Par­fois c’est La musique bles­sée qui s’élève, celles des oppri­més, des vain­cus, nos frères « Si tu l’entends /​O mon frère/​Dans le silence de la mer/​Sou­lève-toi /​O mon frère /​Même si tu cries dans le désert ».

L’essentiel est dans le lien entre les êtres humains. Or, qui mieux que l’artiste peut le tisser ?

« Mais pour un seul poète /​Qui vole vers l’azur /​Mais pour un seul pro­phète /​Qui fait trem­bler les murs… Tant qu’il y aura des hommes on pour­ra espé­rer ».

La pre­mière chan­son, Le soir tombe, son bilan mélan­co­lique s’achève ain­si « J’ai lais­sé au bord du sentier/​Quelques poèmes inache­vés /​Si tu viens les cueillir demain /​Je veille­rai jusqu’au matin ». Super 8 dit à peu près la même chose : J’aurai tout de même /​Semé quelques graines /​Dans le bleu des villes /​Des mots et des notes /​Qui cognent à la porte /​Des cœurs en exil. Des mots et des notes pour tout bagage, des Larmes d’or

Nous y voi­ci à la chan­son épo­nyme de l’album, Les larmes d’or. Nous y voi­ci à cet alchi­miste, belle image de l’artiste sans qui la vie serait si triste et qui donne sens au par­cours de Fré­dé­ric Bobin sans aucun doute possible.

« C’est un homme
Qui trans­forme
Ses cha­grins
En doux refrains
Ses mala­dies
En mélo­dies
Ses nuits de neige
En bel arpège
C’est un homme
Qui trans­forme »