Concèze, Alice Bénar- Au creux de l’A (© Claude Fèvre)

Concèze, Alice Bénar- Au creux de l’A  (© Claude Fèvre)

16 août 2016 – Concèze, Femmes sur tous les tons

avec Alice Bénar /​Au creux de l’A, Créa­tion – Alice Bénar (voix, textes, musique) Eli­sa Tre­bou­ville (ban­jo, cava­quin­ho, voix) Sara Vale­ro (vio­lon­celle) – Clau­dine Bohi, lec­ture – Gene­viève Moris­sette accom­pa­gnée par Emi­lie Marsh, gui­tare élec­trique – Rose, chant, gui­tare, gui­tare élec­trique, pia­no, cla­vier – Ensemble DécOUVRIR

Salle du Foyer rural – Concèze (Corrèze)

Cette qua­trième soi­rée à Concèze, c’est une soi­rée à vous faire aimer la vie, ses vibra­tions, ses pal­pi­ta­tions, ses frô­le­ments. Ses mur­mures et ses cris… sur la peau, dans la peau et le creux de soi… Alors, on ne s’étonnera pas que ce soit un temps fémi­nin. Il sera décli­né sur tous les tons.

La soi­rée s’ouvre sur un trio tout neuf de trois jeunes femmes toutes en grâce. Les cou­leurs, les étoffes qui les habillent viennent nous trans­por­ter dans un uni­vers qui japo­nise ten­dre­ment. Le chant d’Alice Bénar s’élève. Ce que nous enten­dons est au-delà du chant… Elle super­pose les mots en boucles savam­ment orches­trés. Il manque quelques réglages encore pour que l’on puisse en sai­sir tout le sens mais on devine d’emblée qu’il s’agit d’un appel, d’une invi­ta­tion. Suf­fit de se lais­ser prendre par les sons qui s’appellent, s’interpellent : voix, vio­lon­celle, ban­jo ou cava­quin­ho. Dans cette recherche sonore, expé­ri­men­tale pour­rait-on même dire, on retien­dra la beau­té. La fra­gi­li­té de cette créa­tion toute en nuances, en ins­tants sus­pen­dus, brefs comme la seconde qui passe, comme les haï­kus des sai­sons que le trio nous des­sinent : la fin de l’été, le prin­temps… « A quoi dois-je croire, moi qui suis aveugle à la beau­té des arbres, au son de leurs feuilles… » Et Alice de nous offrir alors le lan­gage des feuilles. Moment superbe ! Elle évoque aus­si les peurs enfan­tines, celle de l’orage « J’ai peur qu’il m’ouvre de long en large », le cha­grin de l’absence « Dur le manque de tes mains »…. Les images laissent leur empreinte, comme celle de cette dou­lou­reuse Sta­tue de terre et sa quête de liber­té … « Enfin cou­rir en robe légère / deve­nir l’amie des fou­gères, /​Lais­ser le ciment pour les bancs… » Incon­tes­ta­ble­ment le charme de ce trio opère. Inso­lite et poé­tique, on aura à cœur de le suivre de près. Pro­chain ren­dez-vous au Bijou à Tou­louse le 21 sep­tembre, à la Menui­se­rie en novembre.

La lec­ture de Clau­dine Bohi pro­lon­ge­ra cette sen­sa­tion de péné­trer dans l’intimité des émo­tions fémi­nines. On suit cette poé­sie, por­tés que nous sommes par une voix claire, ryth­mée, ponc­tuée de sou­rires fra­ter­nels. Sim­pli­ci­té. Authen­ti­ci­té d’une écri­ture qui pénètre au cœur même des sen­sa­tions. Elle nous trans­porte dans une gare, Voi­ture 5, Quai 21… « Cœur pêle-mêle dans ses valises »… Et dans sa pen­sée qui déam­bule libre­ment : « Elle va par­tout où c’est pos­sible dans sa tête ». Nous nous lais­sons faire, et c’est si bon. La lec­ture dira un ins­tant amou­reux, un « ins­tant exta­tique » certes mais la dou­leur aus­si jus­qu’à cette envie d’arrêter la terre, de pous­ser ce cri d’Alfred Jar­ry : « Je veux des­cendre ! » Clau­dine Bohi a aus­si posé ses mots sur des pho­to­gra­phies, dit alors clai­re­ment sa soif de par­ta­ger toutes les formes pos­sibles d’expression artis­tique, d’abattre toute fron­tière. Nous la remer­cions de cette parole dont sa pré­sence même et celles d’autres poètes, tra­duit dans ce fes­ti­val l’évidence.

Quand Gene­viève Moris­sette arrive en scène – on devrait écrire qu’elle « déboule » ! C’est toute l’énergie de vivre qui nous arrive en pleine face à l’image de sa che­ve­lure rousse, de sa petite veste rouge, de ses jambes qui s’agitent sans cesse quand elle joue du pia­no, de sa voix de « chan­teuse popu­laire » – dit avec l’accent qué­bé­cois ! – de ses cris, de ses rires et de ses bou­tades. Une tor­nade cette femme-là. Femme de révolte, de conquête pour s’arracher à la gangue de la femme sou­mise. Femme de crise de nerfs. Avec l’ensemble DécOuvrir, elle exulte lit­té­ra­le­ment. Elle « gueule » sa vie, la « shoote », lâche son cri… pour se sen­tir vivre, pour échap­per à ce qui l’amène chez son psy. On n’échappe pas à sa fran­chise sur scène, tout comme dans la vie. On se laisse volon­tiers atten­drir, émou­voir quand elle nous chante son amour pour notre langue, pour la France, pour Paris meur­tri un soir de novembre.

La soi­rée s’achève avec Rose, avec sa voix éraillée au bord de la cas­sure, avec ses deux musi­ciens qui, avec elle, forme un trio effi­cace : Tho­mas à la gui­tare élec­trique, Mathieu au pia­no et au cla­vier. Un trio pop-rock qui chante les incon­tour­nables méandres de l’amour à deux. Je t’aime, je te quitte… « Je prends mes cliques /​J’ai pris trop de claques ». Rose s’attarde aus­si à ses inco­hé­rences de femme : « Je suis moi et son contraire ». Elle se dépense à l’envi pour que le public par­ti­cipe, chante avec elle, tape dans les mains et disons-le, ça marche ! Sur­tout quand elle reprend son « tube » La liste… Tant il est vrai que nous aimons tous retrou­ver ces chan­sons qui ont été le décor sonore de nos vies… Une fois encore l’ensemble DécOU­VRIR vien­dra mettre sa note sen­sible. Cla­ri­nette et cordes subliment les chan­sons, toutes les chan­sons. C’est alors que l’on en découvre une, De ma fenêtre, assez dif­fé­rente des autres, où Rose énu­mère tout ce qu’elle voit de sa fenêtre, quand plane le doute … « De ma f’nêtre Je vois mes idéaux / traî­ner avec les idées d’en bas /​De belles his­toires qui n’avancent pas/ Qui pren­dront le der­nier métro. » Belle chan­son qui donne envie d’en entendre d’autres de cette facture.

Rose met­tra beau­coup de temps à quit­ter la scène, vien­dra chan­ter auprès du public qui la réclame… La soi­rée s’achève sur cette com­mu­nion entre l’artiste et son public qui donne tout son sel au spec­tacle vivant que nous aimons.