Concèze, Hervé Vilard (© Antony Quittot)

Concèze, Her­vé Vilard  (©Anto­ny Quittot)

17 août 2016 – Concèze, Hervé Vilard et nous

avec Colette Nys- Mazure, poète – Emi­lie Marsh en trio – Buri­dane, gui­tare, voix –  Her­vé Vilard chant, Alain Anto­nel­li, pia­no et la par­ti­ci­pa­tion d’Etienne Cham­pol­lion et de l’Ensemble DécOUVRIR.

Salle du Foyer rural – Concèze (Corrèze)

Comme c’est curieux cette foule qui attend… Comme c’est curieux ces spec­ta­teurs deux fois plus nom­breux que les soi­rées pré­cé­dentes. Curieux ? Emou­vant plu­tôt quand on se remet en mémoire le prix immense de la Chan­son popu­laire. Pour Her­vé Vilard, ce soir on se presse, on s’empresse. On veut revoir le doux gar­çon qui chan­tait Capri c’est fini… Celui dont les bles­sures d’enfant, bal­lot­té de famille d’accueil en famille d’accueil, avait ému la France entière. Il dit encore aujourd’hui « Je sor­tais d’un orphe­li­nat, d’un monde obs­cur… » On aime aus­si dans ces récits presque légen­daires, s’apercevoir que la vie peut repri­ser les pires accrocs. Rien, jamais, n’est joué d’avance… C’est de l’espoir pour tous, ces vies-là…Pour peu que quelques mains se tendent et que l’on sache s’en saisir.

Pour le petit René – son pré­nom, dans la « vraie vie » – ces mains ten­dues étaient celles d’un prêtre, celui qui le recueillit à La Celette dans le Cher. Le pres­by­tère devint bien plus tard sa mai­son où il vécut pen­dant vingt ans…à laquelle il consacre son futur livre : Du lierre dans les arbres. C’était aus­si celles de Daniel Cor­dier, secré­taire de Jean Mou­lin mais aus­si peintre, gale­riste. Très tôt Her­vé Vilard fré­quen­ta donc un monde auquel per­sonne dans les médias qui par­laient de lui ne son­geait à l’associer. Encore aujourd’hui ce sont les mêmes Paris Match, Voi­ci, France Dimanche… qui lui consacrent des pages. C’est têtu une réputation !

Aujourd’hui c’est à cet uni­vers sen­sible qui l’a nour­ri qu’il rend hom­mage et qui nous vaut de le voir dans ce fes­ti­val. Un uni­vers où figurent les ami­tiés d’Allain Leprest qui écrit pour lui Le café lit­té­raire, de Mar­gue­rite Duras dont il reprend l’émouvante India Song ! Quand il com­mence son spec­tacle en chan­tant au milieu du public L’âme des poètes de Charles Tre­net le mes­sage est clai­re­ment don­né. Le temps pour nous de véri­fier que la voix est là, qu’il arbore le même sou­rire qu’autrefois sur nos maga­zines, la même gen­tillesse… la même coupe de che­veux, même s’ils ont viré au gris en même temps que les nôtres. Il le dit et le répète, il ne tar­de­ra pas à rac­cro­cher. Il ne veut pas finir en chan­teur pour « femmes finis­santes ». Il concède bien enten­du à chan­ter Capri c’est fini – notons d’ailleurs que son inter­pré­ta­tion a gagné beau­coup en pro­fon­deur. On lui réclame ce soir encore dès le début de son réci­tal ! Il com­mente avec cette apos­trophe amu­sée ! « Voi­là, ça c’est fait ! » Mais il dira aus­si « C’est magique ! » en enten­dant le public chan­ter un autre de ses grands suc­cès, Nous, d’un seul cœur : Pour­quoi, pour­quoi, pour­quoi, pour­quoi /​Pour­quoi ce grand vide quand je pense à nous … Il s’incline visi­ble­ment ému : « Le chan­teur popu­laire vous dit mer­ci ». Her­vé Vilard et nous, dit avec jus­tesse le titre de son der­nier album consa­cré aux auteurs qu’il aime. Un disque accom­pa­gné du DVD de ce spec­tacle don­né à Paris au Théâtre La Bruyère en jan­vier 2015, accom­pa­gné par trois musi­ciens de jazz.

En atten­dant le moment de se reti­rer –l’an pro­chain a‑t-il annon­cé ici ou là – il nous offre une déli­cate, sub­tile tra­ver­sée dans la poé­sie et la chan­son où l’on retrouve les plus pres­ti­gieux de nos sou­ve­nirs : Melo­co­ton de Colette Magny, Le condam­né à mort de Jean Genet, Soi­rée de Princes de Jean-Claude Pas­cal qu’il offre en point d’orgue. Il consi­dère que c’est pour lui la plus grande chan­son qui fût jamais, celle qui lui cor­res­pond le mieux. Par­fois, il prend la peine en effet de les annon­cer en quelques mots bien sen­tis qui honorent l’« âme légère » du dis­pa­ru… Par exemple il dénonce un injuste sort fait à Guy Béart avant de chan­ter Poste res­tante. Il énu­mère « le fou, le doux, l’élégant mais le malin » celui qui sut s’inspirer de toutes les influences pour annon­cer Ces petits riens de Serge Gains­bourg. Pour chan­ter L’écharpe de Mau­rice Fanon ces mots seront « C’est de la dentelle…C’est de la joie ». Pour finir, il serait injuste d’oublier le poème d’Edmond Ros­tand, Le divan, qu’il dit sans l’accompagnement du pia­no, d’un trait, sans un regard sur ses notes… Moment qui a dû ravir le public d’un fes­ti­val où se mêlent amou­reu­se­ment poèmes et chansons.

Avant le réci­tal d’Hervé Vilard nous avions enten­du la lec­ture de Colette Nys- Mazure, accom­pa­gnée à l’accordéon par Etienne Cham­pol­lion. Cette poé­tesse énonce avec force son acte de foi dans l’écriture, « une arme désar­mée, une arme de paix » dit-elle, capable de repous­ser la mort, comme elle le fit dans son enfance d’orpheline.

Cette parole ins­pi­rée a ouvert la voie à deux jeunes femmes, une brune Emi­lie Marsh – oui, cette édi­tion était la sienne ! Si vous avez tout sui­vi – et la blonde Buri­dane. L’une et l’autre illus­trent en chan­sons la parole enfin déli­vrée des femmes. Bien enten­du cette conquête n’est exempte ni de doutes, ni de souf­frances mais on compte sur elles pour ne rien lâcher !

Il suf­fi­ra peut-être de conclure avec les mots d’Emilie Marsh, refu­sant de s’éloigner d’ici – ce pays, cette époque, cette vie ?- « C’est ma vie sau­vage car ici je sais pour­quoi j’enrage ».