1er Festival Grain de Sel – Jérémie Bossone en trio (© Claude Fèvre)

1er Fes­ti­val Grain de Sel – Jéré­mie Bos­sone en trio (© Claude Fèvre)

14 mai 2017 – 1er fes­ti­val Grain de Sel

« Talents », 2e partie

Avec, par ordre de passage :

Écart /​Éric Car­tier avec Chris­tophe Isse­lée (gui­tare, dobro) et Alexis Kowalc­zews­ki (cla­ri­nette, cla­ri­nette basse, bat­te­rie) – Eryk.e /​Eryk. Eisen­berg (chant, cla­vier) avec Alexandre Per­on­ny (vio­lon­celle), Gaëlle Cotte (chœurs), Fré­dé­ric Lezard (gui­tare) – Clio /​Clio Tour­neux (chant), Paul Roman (gui­tare), Étienne Cham­pol­lion (cla­viers) – Jéré­mie Bos­sone /​Kapuche accom­pa­gné par Ben­ja­min Bos­sone (bat­te­rie, cla­viers, machines) et Brice « Willis » Guillon (gui­tare)


Scène Des­ca­zeaux – Cas­tel­sar­ra­sin (Tarn & Garonne)

Éric Car­tier – le pre­mier en scène de ce deuxième volet des « Talents » – et son pro­jet Écart nous offrent à eux seuls l’occasion de faire un pas de côté. On s’empresse d’ajouter que nous aimons beau­coup ces sur­prises… Esca­pades, échap­pées, vaga­bon­dages… Comme autant d’occasions de rap­pe­ler que les mots sont des petits êtres libres que l’on n’enferme pas /​plus dans des car­cans, des cadres pré­éta­blis, que l’on peut assem­bler de mille et une façons ! Et tant pis pour ceux qui seraient ten­tés de res­treindre leur aire de jeu. Ces années folles qui par­fois nous déroutent, nous désen­chantent, sont enthou­sias­mantes à ce titre. Plus que jamais les sons s’invitent et se glissent créant des atmo­sphères, des ambiances à l’infini. On s’attache aux ins­tru­ments acous­tiques, aux cordes, aux ins­tru­ments à vent, aux per­cus­sions, aux ins­tru­ments ampli­fiés, aux sons nés des nou­velles tech­no­lo­gies, peu importe… le champ des pos­sibles ren­contres don­ne­rait une idée de l’infini. En chan­son, le niveau atteint par les musi­ciens a de plus en plus sou­vent de quoi nous éton­ner et nous char­mer. Cet après-midi avec cette pro­gram­ma­tion éton­nante de force ver­bale, d’énergie et de beau­té musi­cales nous le démontre.

Éric Car­tier, nous l’avions décou­vert dans l’une des fameuses soi­rées du Bijou, Lève ton vers. C’est une joie de l’entendre à nou­veau ici avec cet accom­pa­gne­ment musi­cal qui nous a lais­sés tous éba­his. C’est un artiste qui n’écrit pas pour ne rien dire, qui n’écrit pas pour tour­ner en rond dans ses délires. Le monde est venu à lui, avec ses injus­tices, ses souf­frances et les mots sont scan­dés dans une dic­tion claire et cap­ti­vante qu’ailleurs on nomme, Spo­ken word, ins­pi­rée des tra­di­tions jazz, soul et blues… Il dit le départ, l’exil, « C’est dur… C’est ailleurs qui devient un nou­vel ici… » L’insupportable vio­lence faite aux enfants… C’est un enfant de huit ans qui parle… « J’ai huit tas de char­bon à dépla­cer /​Je n’y arri­ve­rai pas »… Il nous peint aus­si à grands traits, « la tris­tesse en mer »…ou « la pous­sière de sable au coin du cœur »… Sou­li­gnons aus­si, outre le talent des musi­ciens, le pou­voir d’attraction qu’exerce leur conni­vence en scène. Le gui­ta­riste, un pas en avant, le corps pen­ché, les yeux rivés sur son com­pa­gnon à la batterie.

Vient ensuite Eryk.e dont l’écoute de l’album nous avait empor­tée, dans l’automne, sur des rives aux lan­gueurs mono­tones, très ver­lai­niennes ce que confirme son inter­pré­ta­tion de Col­loque sen­ti­men­tal. Nous l’attendions avec impa­tience. Il arrive super­be­ment entou­ré… Un vio­lon­celle, certes… On l’attendait dans cette atmo­sphère légè­re­ment sur­an­née, comme une échap­pée dans les tableaux de Wat­teau… Un Pèle­ri­nage à l’île de Cythère avec la belle Lise ? Un gui­ta­riste, et sur­tout, sur­tout une voix excep­tion­nelle, celle de Gaëlle Cotte. On serait presque sur­pris quand, à la fin, l’artiste nous ramène au temps pré­sent, en ren­dant hom­mage à Lucie Aubrac et en offrant une re-créa­tion du Chant des par­ti­sans… Preuve qu’il y a encore beau­coup à décou­vrir chez cet artiste qui, cepen­dant, aura peut-être du mal à défendre seul ses chan­sons, sans tout cet orne­ment musical.

Doit-on encore pré­sen­ter ensuite Clio ? Aujourd’hui dans son jean et son petit blou­son rouge, per­chée sur son tabou­ret haut, elle dévide, sereine et géné­reuse, ses petites his­toires ten­dre­ment our­lées de toute la beau­té des mots simples. Son écri­ture, ses deux accom­pa­gna­teurs offrant à ses chan­sons un relief, un éclat conti­nuent d’exercer leur charme sur nous et donnent envie de fre­don­ner… Ses chan­sons nous sont deve­nues fami­lières, avec cette pointe d’humour déli­cat quand elle s’en prend au verbe « aimer » et qu’elle se met à remon­ter le « bou­le­vard Hauss­mann à l’envers » ou qu’elle regarde l’envol d’une mouette sur les rem­parts de Saint-Malo, un jour de cha­grin… On aime infi­ni­ment ses « tout petits cyclistes », hom­mage à l’enfance comme nous en ont lais­sé un Cavan­na, un Pré­vert, un Dois­neau ou un petit Mar­cel Pagnol… Elle ne bous­cule pas la chan­son, Clio, elle lui donne son nectar.

Et voi­ci, pour clore cet après-midi, qu’apparaît Jéré­mie Bos­sone dans son pro­jet, tout neuf, cen­sé nous faire fuir, nous, les amou­reux de son écri­ture, de sa voix, de sa pré­sence en scène, entière. Chez Jéré­mie c’est une soif d’absolu, un besoin d’en découdre avec tout… Avec la scène, avec ceux qui pré­tendent la régen­ter, avec la vie sur­tout. Une rage ! Alors, voi­là qu’il annonce un pro­jet scé­nique, entre conte et théâtre, l’apparition d’un double, d’un frère, un cer­tain Kapuche qui vit sur un radeau, en quête d’une terre… On pense à La nuit de décembre d’Alfred de Mus­set confron­té à son double, son frère…

Par­tout où j’ai vou­lu dormir,
Par­tout où j’ai vou­lu mourir,
Par­tout où j’ai tou­ché la terre,
Sur ma route est venu s’asseoir
Un mal­heu­reux vêtu de noir,
Qui me res­sem­blait comme un frère

Domi­nique Janin annonce avec jus­tesse un « feu d’artifice baroque »… Jéré­mie lui-même dira un « opé’Rap ». Au final – on espère le voir bien­tôt – il y aura même des images, de la vidéo. Alors c’est vrai on s’éloigne de la chan­son dans sa défi­ni­tion réduc­trice mais on y retrouve tout ce qui nous a tant éton­née, empor­tée chez cet artiste il y a presque dix ans : un lyrisme poé­tique indé­niable, une richesse d’inspiration, un souffle épique qui se tra­duit aujourd’hui en rap, en rock…

Et pour­quoi pas ?

Quand s’achève ces trente minutes accor­dées, Jéré­mie Bos­sone reprend sa gui­tare deve­nue fameuse avec son ins­crip­tion « J’y suis tou­jours », dédie sa chan­son à Jacques Brel et à son pote Benoît Dore­mus… La chan­son s’appelle Play­Mo­bils. Y affleurent un goût d’enfance res­té sur la langue, une envie de se prendre une der­nière fois pour un héros, avant que la vie n’impose sa loi… « Après j’me range ». Ce temps-là n’est pas pour demain, nous sommes bien prêts à le parier ! Armé de son sty­lo, de ses cahiers, Jéré­mie Bos­sone écrit, chante avec une éner­gie déses­pé­rée, accom­pa­gné de sons satu­rés rap/​rock qui portent haut et fort sa rage de vivre. La chan­son a fait un pas de côté, mais on s’en moque bien puisque Jéré­mie par­tage encore sa poé­sie épique avec nous.

Pour­quoi mon cœur bat-il si vite ?
Qu’ai-je donc en moi qui s’agite
Dont je me sens épouvanté ?
(Nuit de mai, Alfred de Musset)