Cinq – Le Bijou, 2017 (© René Pagès)

Cinq – Le Bijou, 2017 (© René Pagès)

17 mai 2017 – Concert de « Cinq »

Avec Chloé Lacan (accor­déon, san­za, voix), Valé­rian Renault (gui­tares, per­cus­sions, voix), Guil­hem Valayé (gui­tare, per­cus­sions, voix), Imbert Imbert /​Mathias Imbert (contre­basse, voix), Nico­las Jules (gui­tare, voix)


Le Bijou (Tou­louse)

On pour­rait s’amuser d’abord de ce nom de scène… Cinq, tout comme The famous five d’Enid Bly­ton. Ceux de notre enfance… Cinq comme les doigts de la main… Cinq comme Take five… la célé­bris­sime inter­pré­ta­tion du quar­tet de Dave Bru­beck… Cinq, ils sont cinq, quatre gar­çons et une fille et nous les atten­dions avec fébri­li­té, joie. Car cha­cun d’eux nous prend déjà par le cœur avant même qu’ils ne soient réunis.

Ils ont peau­fi­né leur concert quelques jours durant, sur cette scène du Bijou. Et voi­ci… Sur la scène cinq micros chant, à jar­din des gui­tares élec­triques, au centre une contre­basse, majes­tueuse, un accor­déon, un tam­bour, encore une gui­tare élec­trique à cour… La salle se rem­plit d’un public plu­tôt jeune. Ce détail nous rassure…

C’est Imbert Imbert qui entre d’abord, donne le tem­po, pro­fond, sui­vi de Chloé Lacan et les notes flû­tées de son accor­déon puis Valé­rian Renault et Guil­hem Valayé de concert à la gui­tare. Enfin Nico­las Jules – che­veux en bataille comme tou­jours – visage éclai­ré de son regard éton­né. Le voi­là qui chante et ponc­tue ses mots d’un petit mou­ve­ment de hanche ou de la jambe gauche que nous lui connais­sons… Les mots : « Une petite pluie sous ton cha­peau arrose tes pen­sées… » Et c’est ain­si que nous embar­quons pour une heure trente…

Un voyage assu­ré­ment – il fau­dra du temps pour s’arracher à son emprise. Des terres mouillées de larmes qui long­temps se sont cachées, des terres fris­son­nantes du bat­te­ment de cœurs bles­sés, qui doutent, appellent, attendent, des terres bai­gnées du bleu pro­fond de la nuit. C’est une longue com­plainte qui s’en vien­drait faire écho à celle d’un cer­tain Gas­pard Hau­ser « Suis-je né trop tôt ou trop tard ? /​Qu’est-ce que je fais en ce monde ? /​Ô vous tous, ma peine est pro­fonde : /​Priez pour le pauvre Gas­pard ! » Avec Cinq l’ombre des poètes de la fin du XIXe siècle plane incon­tes­ta­ble­ment. Mais aus­si les mots d’une chan­son de Marie Lafo­rêt qui sou­dain – allez savoir pour­quoi – se super­posent sou­dain dans notre mémoire peu­plée de rimes et de musiques « L’âme éper­due sau­ver la face /​Chan­ter des larmes plein les yeux »… Et nous avoue­rons sim­ple­ment que nous aimons cet état dans lequel nous plonge ce réper­toire. Il fait écho à nos cha­grins, nos envies, nos peurs aus­si… Et sans doute en est-il ain­si pour beau­coup d’entre nous dans cette salle à entendre l’ovation qui est offerte à ces Cinq-là. C’est Valé­rian Renault qui chante « Je veux que mes vers consolent » lorsqu’il évoque « ceux pour qui l’enfer est l’enfance »…Hé bien, oui, nous nous sommes lais­sé prendre par l’âme, à petits coups d’ailes. Des arran­ge­ments, des chœurs, l’archet sur la contre­basse, la voix superbe et les mélo­pées de Guil­hem Valayé… Tout est finesse, dou­ceur, comme pour ne pas nous effa­rou­cher. « Un faon, une biche dans le bois », dit la chan­son du nou­vel album de Nico­las Jules. Il en faut des précautions…

Les chan­sons nous pro­mènent sur les rivages de l’amour où cha­cun de nous cherche sa voie. Amour, celui qui s’enfuit, qui sème alors sa déroute, son désen­chan­te­ment… Le cha­grin. Immense. L’amour à mort… C’est sans doute la chan­son Emma chan­tée par Nico­las Jules, en patois du Sud de la Vienne – un faux air de créole – qui nous le fait éton­nam­ment per­ce­voir avec le plus de force… « Où est pas­sée ta main ? » chante Guil­hem Valayé… On en aurait des goûts de mort, de fin de vie « jusqu’à tou­cher l’océan pour lui confier comme le soleil mon der­nier souffle ». Cet amour qui rend con – com­ment le nier ? – « Au pla­card les méta­phores ! » C’est Imbert Imbert qui le dit : « Je suis per­du dans tes yeux qui battent des ailes… j’abandonne ma rai­son à ton feu… » De l’amour il en est sans cesse ques­tion… Amour aus­si de la mère pour sa fille « Dors, maman veille sur toi » entonne, avec un zeste de déri­sion, l’âme fémi­nine du groupe, Chloé Lacan… Mais on sait que le che­min sera rude car « le prince char­mant ne vien­dra pasBlanche Neige picole de toute façon… Cen­drillon prend des cache­tons ». Amour tout aus­si dif­fi­cile donc comme ce lien qui unit le fils à son père et qui s’exprime dans cet appel déchi­rant de Valé­rian Renault… « Reste ! Embrasse-moi ! » L’amour est aus­si ce qui nous laisse des petits bouts de rien, des « petits mots qui ont la saveur douce et tendre d’une valse de Cho­pin ». On reste alors un ins­tant sous le charme de la voix de Chloé Lacan accom­pa­gné d’un « pia­no à pouces ».

S’il en faut bien du cou­rage pour aimer, il n’y a rien de plus beau que de sen­tir l’envie de vivre, de [se] sen­tir, chante Imbert Imbert… Vivre, « boire la vie jusqu’à la lie »… On veut des pleurs, des rires… et s’en aller à La pêche au bon­heur, dont Chloé Lacan nous a offert une superbe ver­sion, très épu­rée au uku­lé­lé… « De ta main, petite sœur, cueille les fruits les plus hauts ! » Cette petite sœur, cette « petite fleur » aux « ailes col­lées », cette « prin­cesse fêlée… la trouille en ban­dou­lière » c’est un peu cha­cun de nous, une part de nous, une part de chaque gar­çon sur cette scène…

« Plante tes pieds sur la grève
Ne crains pas les marées
Laisse le vent fillette
S’emmêler dans tes branches
Laisse les vagues, princesse,
T’entraîner dans leur danse »