Clément Bertrand, le cœur mis à nu (©David Desreumaux)

Clé­ment Ber­trand, Le cœur mis à nu  (© David Desreumaux)

11 décembre 2016 -3ème Comme ça nous chante – duo électrique Peau Bleue

avec Clé­ment Ber­trand (gui­tare, chant) et Nolan Rivet­ti (gui­tare électrique)

Le café Plùm – Lautrec (Tarn)

Peut-être pour­rions-nous com­men­cer par ce mes­sage au dos du livret de son album Peau Bleue paru en jan­vier dernier :

« J’ai envie de vous dire qu’il y a des enfants qui rient dehors, et qu’un jour ils riront assez fort pour tout recom­men­cer à zéro. »

Peut-être lais­se­rions-nous alors voguer la mémoire vers d’autres textes d’espérance, comme celui d’Aragon « Un jour pour­tant un jour vien­dra cou­leur d’orange… »

En atten­dant ce jour le poète de l’île d’Yeu, où « un ciel poète se fout en rogne /​Et tombe en mouettes (Chporgne), ce poète aux deux pré­noms (ce qui nous vaut une chan­son qui serait légère si n’apparaissait l’ombre d’Emile Louis…) ce grand gaillard à la tignasse ébou­rif­fée dans laquelle sa main plonge en un geste fami­lier, aurait pu tout aus­si bien prendre la mer… Mais non, il est res­té à quai à « traî­ner entre deux tro­quets », à « vendre à la criée /​Le sac de nœuds qui nous dénoue… » Il est res­té à chan­ter, « puisqu’on sert à ça : foutre le monde en boule /​Don­ner l’Humanité humaine /​Et quatre jeu­dis aux semaines … ». Il est res­té au tro­quet à regar­der le temps, celui de ce monde où « ça sou­rit dans le sens des rides /​sous l’ombre en sapin du copain » car la Mort rôde comme par­tout. Quand « Elle abat sa carte blême » on affiche au car­reau le nom du défunt.

Dans ce duo la gui­tare élec­trique de Nolan Rivet­ti raconte elle aus­si, à grands coups de riffs par­fois déchi­rants, cette his­toire d’homme qui tente de gué­rir de sa peur de l’abandon, et qui « se soigne à l’amour ». Des chan­sons par­ti­cu­liè­re­ment émou­vantes rap­pellent la perte. D’abord celle de l’enfance avec  Les seins de ma mère – on a la made­leine qu’on peut, s’amuse-t-il – « maman poule couve un œuf /​qu’a le jaune en coupe au bol » et dans les années quatre vingt – fastes pour les femmes – elle tombe le haut du maillot, « offre sa poi­trine au Monde ». Ensuite ce cri du cœur « Qui va s’occuper de moi ? » quand la fran­gine, qu’il nomme ten­dre­ment « bran­leuse » part vivre au Qué­bec. Ce départ « a mis tant de soleil en soute »… Il est encore ques­tion d’abandon, de manque, quand c’est la grand-mère qui se fait la belle : Tu manques à maman Mamie… elle a mis cin­quante ans pour être orphe­line, bête­ment… » Ou bien quand un ami, un petit frère, un pote s’endort dans un hos­to et qu’on vou­drait l’arracher à ce som­meil là (La réveilleuse).

Bien enten­du régu­liè­re­ment, la vie amou­reuse confronte aus­si aux départs, et ça vous fait un sacré bou­can les adieux (Mont­par­nasse) ! Après dix ans de vie com­mune, c’est une image intime qui reste, un petit truc pour­tant, l’image de l’endormie « le nez dans le bou­quin ». Et la fabrique d” images se met inévi­ta­ble­ment en marche : « Mais déjà j’envie ce quelqu’un /​Qui vien­dra cli­quer ta veilleuse /​Et refer­me­ra ton bou­quin /​En s’ouvrant des nuits mer­veilleuses. » L’amour nous confronte à nos rêves absurdes d’absolu sur les­quels il se fra­casse. Alors « Qu’on démé­nage pour de bon /​Vers des car­casses plus tran­quilles /​Foutre nos cœurs dans un car­ton en mar­quant ATTENTION FRAGILE… »

Sou­vent les textes de Clé­ment Ber­trand nous ont évo­qué Léo Fer­ré et par­ti­cu­liè­re­ment dans la confron­ta­tion d’une langue élé­gante, racée à des mots tri­viaux mais sur­tout dans l’érotique pen­chant de ses chan­sons d’amour : Ta nuque, Tan­go pour elle, Perles de sueur et ce texte, ô com­bien auda­cieux et bou­le­ver­sant, ouvert sur le plai­sir fémi­nin : « Lorsque son mec est par­ti mon amou­reuse se touche »…

On avait connu, il y a main­te­nant dix ans, Clé­ment Ber­trand assis au pia­no. Il a fait bien du che­min, s’est mis debout pour empoi­gner le micro. Dans son der­nier album il fait le choix de reve­nir à des sons élec­triques pour dire cette peau qui se marque des déchi­rures, des com­bats et des doutes. A en deve­nir bleue…