Jérémie Bossone / Kapuche Les Mélancolies Pirates  2019  (©Laeticia Defendini)

Jéré­mie Bos­sone /​Kapuche Les Mélan­co­lies Pirates 2019 (©Lae­ti­cia Defendini)

1er février 2019, Sor­tie du nou­vel album de Jéré­mie Bos­sone & Kapuche

Les Mélan­co­lies Pirates 

Avec

Jéré­mie Bos­sone (gui­tares élec­triques, folks, har­mo­ni­cas, chant), Ben­ja­min Bos­sone (bat­te­ries, cla­viers, pro­gram­ma­tions), Brice « Willis » Guillon (basses, contre­basses), Qua­tuor Vio­laine De Shawn (par­ties orches­trales com­po­sées par Ben­ja­min Bossone) 

Par ordre d’apparition dans les inter­mèdes : Jean Fauque, Benoit Dore­mus, Dimo­né, Nico­las Jules, Ange Auguste, Louise Marie, Eric Legrand

Le col­lec­tif Wolg Walk Unit,

Et une liste impres­sion­nante de potos pour les chœurs… 


« Mar­cher n’est rien, c’est voler qui importe. Sur­vivre vers le haut. Comme cette pièce d’or qui rebon­dit dans nos mains au milieu du rire des hor­loges et des coups de bâtons… 

Le pirate pousse le der­nier cri du monde, et nos oreilles enfan­tines en recueillent la mélan­co­lie. »

Jéré­mie Bossone

« Irré­vé­rence et panache », annonce Jéré­mie Bos­sone dans le livret, rap­pe­lant qu’il s’agit là du « bel esprit fran­çais, façon Grand Siècle ».

Tout le pro­pos est sans doute conden­sé là. Quand l’artiste semble pour­fendre les bonnes manières, quand il confond les styles, mal­mène son audi­teur, l’égare, pour mieux l’interpeller, il sou­ligne en fili­grane qu’il est dans la lignée d’une tra­di­tion lit­té­raire. Encore faut-il prendre le temps de l’écoute, du décryp­tage d’un « métis­sage extrême » auquel la pro­duc­tion musi­cale ne nous accou­tume guère. Comme s’il fal­lait avoir choi­si son camp. Ce camp dans le quel, le plus sou­vent, les pro­gram­ma­tions, comme les lieux de dif­fu­sion, nous enferment.

Voi­là une bonne dizaine d’années que nous sui­vons Jéré­mie Bos­sone, que nous gar­dons à l’âme et pour tou­jours le sou­ve­nir d’une ren­contre à Astaf­fort où sa voix unique, sa pré­sence, ses chan­sons fleuves Le Car­go noir, l’Empire, nous avaient dési­gné un artiste, un auteur, un tem­pé­ra­ment hors normes.

Voi­ci qu’il nous livre un nou­vel album inclas­sable. Tout com­mence avec son dédou­ble­ment – ou plus exac­te­ment – sa fusion, avec un être libre, un pirate, un aven­tu­rier, le dénom­mé Kapuche, un genre d’Albator. Il faut dix bonnes minutes pour écou­ter L’aventure, son his­toire qui nous est trans­crite in exten­so dans le livret. L’adieu à l’enfance, en écho à cet autre titre pal­pi­tant d’authenticité Play­mo­bil, l’appel de l’Aventure – ici, il faut y mettre défi­ni­ti­ve­ment une majus­cule – la quête, puisqu’on se sau­rait être aven­tu­rier sans elle, les com­bats contre son enne­mi l’amiral Bel­té­geuse, le nau­frage, le sau­ve­tage de l’amitié… Un inter­mède inter­roge – un « skit » en dis­cours hip-hop, on vous l’a dit, Jéré­mie Bos­sone brouille les pistes ! – : « L’homme au radeau, c’est Kapuche ou Jéré­mie Bos­sone ? Lequel des deux ? »…

En fait, ce Kapuche, « ce grand loup noir sur le ciel blanc » ce pour­rait bien être un bon nombre d’entre nous car « on vit tous jetés à l’eau, tous marins /​Pâlots, tous sur un radeau, sur les restes /​D’un rêve tor­pillé /​D’un héros mort plié /​D’une enfance oubliée… » D’ailleurs c’est avec un chant cho­ral, titré Mélan­col­lec­tive, qu’on peut reprendre ad libi­tum, que s’achève l’album, le récit… Le chan­teur en appelle à tous, à ses « pâles petite sœurs » comme à ses « bro­thers », tous « Héros sans pres­tance /​On essuie les plâtres /​D’une blanche exis­tence /​Dans un noir théâtre… » pour mieux affir­mer sa volon­té, sa déter­mi­na­tion, son refus des com­pro­mis… Petit frère de Bar­ba­ra ou de Cyra­no, il per­sé­vère, il reste debout… Le panache !

Cet album, Jéré­mie Bos­sone le signe, le reven­dique de tout son être. « Je l’ai com­mis comme on com­met un crime, comme on donne un coup de sabre, comme on éclate d’un grand rire. » Non content de semer la déroute, de mêler les styles, rock, rap, opé­ra… de se dédou­bler, mêlant à l’envie les voix nar­ra­tives, de faire se croi­ser les his­toires, l’aventure de Kapuche, héros pas­sa­ble­ment « per­ché » et celle d’un chan­teur meur­trier, il règle aus­si quelques comptes, et sans user d’aucun euphémisme.

Cet album est une révolte, un cri… Il s’ouvre sur un inter­mède où la voix de Jean Fauque com­mence … « Il était une fois un radeau per­du en mer »…Immé­dia­te­ment inter­rom­pue « Attends, Jean, c’est pas tout de suite ». Déferle alors un rap rava­geur et ven­geur, pour­fen­dant sans com­plexe, sans aucune rete­nue, tous nos « grands sei­gneurs sans noblesse » et appe­lant à « se faire pirate », à plan­ter le dra­peau noir…

Mais ce n’est pas tout, au-delà de cette défer­lante où hurlent les musiques, au long des titres, se des­sine pré­ci­sé­ment l’histoire même du chan­teur qui pour­rait bien être Jéré­mie Bos­sone… L’amoureux de Bet­ty, le chan­teur se confronte aux dures réa­li­tés de sa vie d’artiste. Il se sen­tait pour­tant « plus fort que Ras­ti­gnac » et le voi­là qui se heurte aux dédales du milieu musi­cal, « res­pire mal dans les spi­rales »… « Va savoir ce qui se passe alors dans la tête d’un chan­teur ? »

On entend aus­si clai­re­ment à plu­sieurs reprises dans les inter­mèdes, sa révolte contre les titres qui passent en radio, contre les récom­penses cen­sées hono­rer « le rayon­ne­ment de la culture fran­çaise »… Anti­ci­pant sur ce que pour­rait pro­vo­quer cet album, la voix d’une mana­geuse s’exclame dans un mes­sage lais­sé sur son télé­phone : « Elles sont pas bien les chansons…Ça va pas du tout… C’est n’importe quoi… Tu tires sur tout le monde… On va encore se griller avec les pros… !! » Voi­là, mes­dames et mes­sieurs les cri­tiques, vous êtes pré­ve­nus. Inutile d’argumenter contre cet objet musi­cal non iden­ti­fié… L’artiste lui-même s’en est char­gé. Vous êtes dis­pen­sés de vous don­ner la peine d’écrire. Pas­sez votre chemin !

« Ce disque est un baro­mètre », nous dit en exergue Jéré­mie Bos­sone, « Il mesure le degré d’extension des cœurs et des esprits, nos apti­tudes à l’aventure. » Il est aus­si sans aucun doute un bel hom­mage à l’amitié, à la fra­ter­ni­té, à l’urgence du col­lec­tif si l’on en juge par tous ceux qui l’on rejoint dans l’aventure, à com­men­cer par son frère Ben­ja­min. Ils sont déjà nom­breux ceux qui ont le cœur grand…