Gauvain Sers– Ta place dans ce monde  - Août 2021 (© Gauvain Sers)

Gau­vain SersTa place dans ce monde – Août 2021 (© Gau­vain Sers)

27 Août 2021 : sor­tie du 3ème album de Gau­vain Sers, Ta place dans ce monde

Chan­sons des gens qui passent 

Avec

Textes et musiques de Gau­vains Sers, réa­li­sa­tion de  Renaud Letang, par­ti­ci­pa­tion de Florent Richard pour la musique


« Ça a beau être le troisième, je suis tou­jours dans mes petits sou­liers au moment de vous le délivrer. Je vous ima­gine le découvrir dans les trans­ports en com­mun agrippés à la barre du métro, pen­dant le foo­ting heb­do­ma­daire avec les jambes qui tirent un peu, dans un mono­space avec vos mômes qui se cha­maillent sur la ban­quette arrière, dans un lit douillet les lumières éteintes et le volume au maxi­mum ou tout sim­ple­ment en train de cui­si­ner des lin­guine al dente parce qu’il n’y a plus que ça dans le garde-man­ger. Quoi­qu’il en soit, où que ce soit, je vou­lais vous dire que j’ai mis à peu près tout ce que j’a­vais dans cet album, mes tripes, mon cœur et mon âme, j’espère qu’il vous par­le­ra, qu’il vous tou­che­ra et puis qu’il vous accom­pa­gne­ra. Allez, assez bavardé, je vous laisse faire connais­sance avec lui. Pour info, il pèse envi­ron 120 grammes et il s’ap­pelle « Ta place dans ce monde ». »

Gau­vain Sers 

Il nous manque, c’est sûr, le livre-disque, elles nous manquent les pho­to­gra­phies de Franck Loriou sur les toits de Paris, les notes manus­crites, la belle affiche ten­dre­ment colo­rée de Char­lotte O’Reilly… Le bel objet en somme.

Mais ce soir nous avons eu envie d’être en prise directe avec l’évènement. Car il faut bien en conve­nir, cette sor­tie d’album de Gau­vains Sers fait figure d’évènement dans le pays de la Chan­son. Ce tren­te­naire qui a réus­si l’exploit d’arracher cette enclave de la musique à son exclu­sion, son ostra­cisme, tout en res­tant pro­fon­dé­ment fidèle à ce qu’il nomme ses racines. « Je viens de là, je ne veux pas renier mes racines. Cette scène a besoin d’un peu plus de lumière, il y a de moins en moins de canaux pour être dif­fu­sé… » Explique- t‑il à Sté­pha­nie Ber­re­bi qui sou­ligne sa fidé­li­té à son ancien tour­neur, à ses anciens com­pa­gnons de route chan­son­nière, dans les pages du der­nier Fran­co­Fans. Alors voi­là, même si l’on confesse avoir été de ceux qui étaient sur la réserve lors de ses toute pre­mières dates, au Bijou par exemple, si l’on atten­dait de le voir s’arracher à ses influences pour trou­ver son iden­ti­té de chan­teur, d’auteur, ce soir on se pré­ci­pite pour écou­ter cet album enfin disponible.

Nous avons choi­si de com­men­cer par une cita­tion emprun­tée à sa page Face­Book car nous y trou­vons comme un conden­sé de ce qui a sans doute été à la source de l’ensemble des titres : cette atten­tion à cha­cun, cha­cune de ceux qui font ce peuple de France auquel il s’adresse, « La France des gens qui passent quand le syn­drome de la page blanche frappe à la porte de [ses] brouillons… ». Nous finis­sons par admettre qu’il ne s’agit pas d’une pos­ture mais d’un goût des autres très affir­mé. En voi­ci d’autres gens qui auraient pu rejoindre l’image de la robe légère qui s’envole au vent, celle des étu­diants qui lèvent leur pan­carte et n’en ont tou­jours pas fini avec la lutte des classes, celle des petits vieux qui se tiennent la main, ou le jeune grin­ga­let qui pour­rait bien se prendre un poteau à ne pas quit­ter des yeux l’écran de son por­table… Dans cet album, ils font cor­tège tous ces ano­nymes, ces sans grade dont nous sommes peu ou prou. Nous les sui­vons, le temps d’une chan­son, dans leurs petits bouts de vie : En pre­mière ligne s’inspire bien sûr des épi­sodes du confi­ne­ment 2020, et nous aimons cette empa­thie pour Sarah, la cais­sière, Mous­sa le livreur, Suzanne, l’aide-soignante et sur­tout pour celui qui n’a tou­jours pas de nom, sur le trot­toir de nos villes…

C’est ain­si que ce troi­sième album décline un tableau de notre socié­té inéga­li­taire, de sa frac­ture indé­niable, de ces gens d’en bas, « les gens de l’ombre », ceux « qui ne font pas de vague, pas d’histoire », qui sont pré­ci­sé­ment, pour une grande part, ceux qui vont ache­ter ses albums, le suivre dans ses concerts.

C’est un peu l’inspiration d’autres auteurs du pas­sé bien sûr, Renaud, comme une évi­dence, mais aus­si Jean Fer­rat, et pour­quoi pas Claude Nou­ga­ro quand il chante Le Convoyeur, celui qui braque une banque, – juste aller cher­cher l’argent à sa source ! – et se retrouve à Fleu­ry à médi­ter sur la liber­té enfuie, à pen­ser à son fis­ton, quand le bra­queur de Nou­ga­ro, lui, meurt sur le pavé… On pense inévi­ta­ble­ment à Pierre Per­ret dont il cite Lily dans Sen­ti­ment étrange, ce sen­ti­ment d’étrangeté, ce « maillot de la dif­fé­rence », qui sus­cite « pré­ju­gés » et « regards qui blessent »… On peut donc dire que cet album se nour­rit du patri­moine de la chanson.

Et que dire quand il rejoint le cor­tège inter­mi­nable des chan­sons sur Paris dans le titre, Les toits de Paris ? Pro­fi­tons-en pour sou­li­gner le mini­ma­lisme des accom­pa­gne­ments qui sou­lignent encore davan­tage ce rap­pro­che­ment dans la forme, le rythme fami­lier de la valse, et le fond… Ce jeune pro­vin­cial qui monte à Paris, se retrouve dans une chambre de bonne au 6ème et qui, de là-haut, croit voir des pho­tos de Dois­neau

Patri­moine de la Chan­son ? Pas seule­ment car on trouve aus­si un clin d’œil – conscient ou non, peu importe – à la lit­té­ra­ture, à la poé­sie, à l’un de ses thèmes qui nous sont chers, celui de la pas­sante, de l’apparition qui vous bou­le­verse, vous cha­vire… Dans la lignée d’un Flau­bert de l’Education sen­ti­men­tale, d’un Bau­de­laire des Fleurs du Mal, d’un Ner­val et de son Allée du Luxem­bourg… voi­ci donc avec sa gouaille, son humour aus­si et beau­coup de ten­dresse, l’apparition de Gau­vain dans Le kiosque. Il pleut, sor­tie du métro, elle appa­raît dans son kiosque à jour­naux… « Le coup des fos­settes qui res­sortent, j’peux pas lut­ter contre ça… »

Ces chan­sons là, sont chan­sons de ten­dresse et il n’y a pas à en dou­ter. Elles iront tou­cher le cœur des gens, le cœur de la grand –mère qui attend sa petite-fille à côté du télé­phone, « cité Thi­mon­nier », ce cœur qui se met à battre plus fort au bruit des pas dans l’escalier, le cœur de la chan­teuse de salle de bain, celle qui « enfouit toutes ses galères, ses emmerdes et ses colères dans les refrains » – quelle émou­vante ouver­ture sur les femmes pri­vées de chan­sons, de paroles, sur les silen­cieuses ! – le cœur de ceux et celles qui doutent – tiens, ces mots là me disent quelque chose, pas vous ? – qui écoutent des chan­sons tristes « quand c’est l’automne dans [la] tête », tous ceux et celles qui cherchent leur place dans ce monde qui gronde, le cœur de celles qui croi­ront dur comme fer que la chan­son Elle était là a été écrite pour elles seules, qui s’imagineront le temps de la chan­son, être la muse du chanteur…

Ces chan­sons là sont chan­sons « impré­vues », nées d’une ins­pi­ra­tion qui ne dit pas son nom et s’en vient se loger dans la tête et le cœur au gré de la vie qui passe, au gré des gens qui passent, et peut finir sur une ser­viette en papier… ou sur un album. Qui sait ?