Barbarie, Barbara Le noir couleur lumière, 2017 (© Clara Mill)

Bar­ba­rie, Bar­ba­ra Le noir cou­leur lumière, 2017 (© Cla­ra Mill)

11 sep­tembre 2017 – Bar­ba­rie, Bar­ba­ra, le noir cou­leur lumière

Nou­vel album de Barbarie

Avec Bar­ba­rie /​Bar­ba­rie Cres­pin (chant), Ade­line Gui­hard (pia­no, cla­viers, arran­ge­ments), Danielle Mérand (vio­lon­celle), Didier Capeille (contre­basse, arran­ge­ments de Pierre), Charles Robert (human beatbox)


Il automne, chante Bar­ba­ra sur la scène de l’Olympia en février 1978. Et c’est dans l’album Seule de 1981 qu’elle l’enregistre en stu­dio. On garde en mémoire un pay­sage d’eau, d’arbres presque dénu­dés, « des brumes d’automne rouillées », une grosse porte fer­mée, celle de la mai­son de Pré­cy, et Bar­ba­ra à son bal­con, grosses lunettes noires, men­ton repo­sant sur sa main gauche. Il automne, une chan­son comme la pein­ture d’un pay­sage intime : che­mins endeuillés, pommes rouges et châ­taignes, mésanges et rouges-gorges, enfants de novembre. Et sur­tout, sur­tout des nuits amou­reuses… Et c’est en novembre que Le bour­reau qu’elle nar­guait en chan­son, s’en est venu la cher­cher, une nuit de 1997. On ne sau­ra trop vous dire pour­quoi ni com­ment c’est cette atmo­sphère-là qui émane de l’album que nous décou­vrons. C’est cette chan­son qui nous semble don­ner la tona­li­té et nous dirions que Bar­ba­rie Cres­pin chante Bar­ba­ra « à pas fur­tifs, à pas feu­trés, à pas cra­quants »… Elle automne…

Elle s’empare du titre Il automne, avec une dou­zaine d’autres, dans un nou­vel opus, le sep­tième d’une vie consa­crée à la pas­sion de chan­ter, à la pas­sion pour Bar­ba­ra si l’on en juge par l’album qui pré­cède en 2012. Mais c’est une artiste vaga­bonde, qui n’aime rien tant que de s’ouvrir à d’autres uni­vers, comme celui des chan­sons de Pré­vert ou les Lettres à un jeune poète de Rai­ner Maria Rilke. Musi­ca­le­ment elle va de la Chan­son à la musique baroque, à la musique sacrée de la Renais­sance… C’est dire si le bagage musi­cal qui fai­sait défaut à Bar­ba­ra, elle le pos­sède… On peut donc légi­ti­me­ment pen­ser qu’elle a lon­gue­ment réflé­chi pour abou­tir avec ses musi­ciens arran­geurs à cet album. On vous avoue que nous avons été certes docile – nous aimons beau­coup les re-créa­tions – et que très vite nous avons lais­sé la voix de Bar­ba­rie et ses choix de rythmes, de tona­li­tés nous emporter.

Nous sou­li­gne­rons d’abord le choix des titres qui ménage de jolies décou­vertes sûre­ment pour beau­coup. C’est un vrai bon­heur de se pen­cher sur des chan­sons qui, une fois encore, nous offre de nous émer­veiller face à un tel talent d’écriture et de com­po­si­tion. Citons La Fleur, la Source et l’Amour, une chan­son qu’il fau­drait écou­ter sou­vent quand nous prend l’envie de dou­ter de tout, face au sac­cage de nos biens les plus pré­cieux, la nature, l’enfance… Bar­ba­rie chante a cap­pel­la pour dire alors le poids du silence… Mais la chan­son s’achève sur une renais­sance, une nou­velle flo­rai­son… Cette force de vie Bar­ba­ra l’oppose aus­si au bour­reau (texte d’Étienne Roda Gil)… Le pia­no se met à « jaz­zer », léger, comme un défi : « Mais moi je vis, comme un prin­temps /​Qui sait très bien, qui prend son temps /​Mais moi je vis en atten­dant /​Le temps qu’il me reste de temps » … Car Bar­ba­ra n’oublie jamais le poids des cha­grins Quand ceux qui vont… Un texte comme une prière, lan­ci­nante et douce pour « qu’ils dorment, s’endorment /​Tran­quilles, Tran­quilles »… La voix de Bar­ba­rie est si douce au début de la chan­son qu’elle en serait presque inau­dible. On sait le prix que Bar­ba­ra accor­dait à cette paix, à ce sou­rire der­nier, à cette étreinte ultime. La chan­son men­tionne sa mère mais nous savons, depuis la publi­ca­tion de ses mémoires, qu’elle a tant regret­té de ne pou­voir par­don­ner à son père de son vivant. Pour qu’il dorme tranquille…

C’est vrai que dans le choix de Bar­ba­rie, la mort est là, omni­pré­sente. Bien sûr dans La petite Can­tate – seule conces­sion aux plus célèbres titres – mais aus­si dans la toute pre­mière de l’album, Drouot où l’orchestration ampli­fie encore davan­tage le drame vécu de la femme qui « revoyait, sou­dain, défi­ler son pas­sé ». On y ajou­te­ra la Lettre à Jacques Brel, Gau­guin qui s’ouvre et se ferme déli­ca­te­ment sur des pépie­ments d’oiseaux… Les oiseaux au jar­din ! Il faut relire les pre­mières lignes des mémoires de Bar­ba­ra pour savoir le prix de ce chant-là… Cette longue chan­son est une œuvre, assu­ré­ment. Créée, en public bien sûr, en 1990 à Moga­dor, c’est un hymne à la vie « post mor­tem » et l’on a aimé la musique qui se fait légère, badine, entre pia­no et vio­lon­celle au moment de chan­ter « D’ailleurs pour moi tu n’es jamais par­ti »… La femme badine n’est pas oubliée non plus avec Joyeux Noël, cette ado­rable say­nète du pont de l’Alma.

Enfin on ne sau­rait évo­quer Bar­ba­ra sans par­ler de son tem­pé­ra­ment de feu, de sa force, de ses refus que L’enfant labou­reur résume : « Qu’on ne touche jamais /​Qu’on ne décide pas /​Que jamais on n’écoute, /​Qu’on ne m’ordonne pas. » De son tem­pé­ra­ment d’éternelle amou­reuse, si déli­ca­te­ment offert dans la chan­son Pierre. La voix sou­dai­ne­ment trop aiguë de Bar­ba­rie s’y bri­se­rait presque… Alors que dans l’instant d’avant elle mur­mure, chan­tonne accom­pa­gnée seule­ment de pin­ce­ments légers de cordes. Le cli­mat don­né par le vio­lon­celle ren­drait irréelle cette attente de l’amoureux. Et cette pluie, qui revien­dra comme un leit­mo­tiv, dans les chan­sons de Barbara…

Quelle bonne idée aus­si de chan­ter La colère, texte de com­bat amou­reux, texte de rup­ture, ou bien Sid’amour à mort. Bar­ba­ra, femme aus­si de convic­tion et de fidé­li­té à ceux qui l’ont aidée, comme ce Mon­sieur Vic­tor qui clôt l’album sur une longue note tenue du vio­lon­celle, comme un point final, ou le mot « Fin » sur un écran.