Bleu Lune, 2021(©Amélie Chopinet)

Bleu Lune, 2021(©Amé­lie Cho­pi­net)

18 jan­vier 2022, De clip en clip # 12

Le vent dans mes mains…

Avec,

Bleu Lune, Rien (Paroles et musique Alexis Brun) pre­mier EP Trop tard pour le moment tour­né vers Paim­pol en Bre­tagne, réa­li­sa­tion Najar & Per­rot avec le concours de Aty­pique Prod et Amé­lie Chopinet 

Nico­las Frais­si­net, Quelques mots de ton frère (Paroles et musique de Nico­las Frais­si­net) album Des étoiles dans les yeux  ins­pi­ré du roman épo­nyme, réa­li­sa­tion Nico­las Frais­si­net, images tour­nées dans l’authentique mai­son du poète et pho­to­graphe suisse romand Gus­tave Roud

Yves-Marie Bel­loT, L’âme et la ver­tu (Paroles, musique, arran­ge­ments Yves-Marie Bel­lot), EP ver­sion live Grand Plon­geoir, à paraître en avril 2022, avec Clé­ment Faure à la gui­tare élec­trique et aux chœursréa­li­sa­tion Mlle Dou et Bru­no Belleudy

Rovs­ki, L’aventure, (Paroles Sonia Nemi­rovs­ky, musique Sonia Nemi­rovs­ky et Olive Per­rus­son) album La Proie est Reine, sor­tie pré­vue le 25 février 2022, réa­li­sa­tion Mat­thieu Ber­ner et Alexandre Wahl 


J’ai pris le vent dans mes mains

J’ai pris tout 

Et puis… Rien

Par­fois il faut un tout petit détail pour qu’une chan­son vienne se loger quelque part où naît l’émotion. La sou­daine cer­ti­tude que l’on a vécu ça, exac­te­ment ça… « J’ai pris la lumière en pleine face /​J’ai pris les ins­tants, les espaces /​J’ai pris à cœur d’y croire /​J’ai pris corps, j’ai pris espoir ». Voi­là, c’est la chan­son de Bleu Lune inti­tu­lée Rien. L’anaphore du constat « J’ai pris » et tout ce qui s’en est sui­vi… La cohorte des sen­sa­tions, toute une vie en somme. Cette chan­son d’Alexis Brun, est à la fois très dépouillée et très com­plexe. Alors, com­ment donc un clip peut-il en rendre compte, lui don­ner plus d’ampleur encore, expri­mer davan­tage, sur­tout sol­li­ci­ter l’imagination ?

Après les clips tour­nés en bord de mer, vers Paim­pol en Bre­tagne ( Serum, Tout) celui-ci fait se suc­cé­der une série de plans par­fois tota­le­ment oni­riques, en exté­rieur comme en inté­rieur, le chan­teur éta­blis­sant le lien avec sa marche à grands pas, valise à la main, à tra­vers champs. Ses musi­ciens, vio­lo­niste, gui­ta­riste, bas­siste, le rejoignent par ins­tants, l’entourent affec­tueu­se­ment et courent même avec lui… En exté­rieur, la nature est douce, récon­for­tante dans sa ver­dure offerte, les ani­maux sont fami­liers, presque tendres… Les images tiennent du rêve où domine un bleu gris quand on est en inté­rieur. Les murs et leur papier peint sont com­plices, dans l’une de ses mai­sons au décor sur­an­né, comme ces roses anciennes qui s’échappant du bou­quet, viennent flot­ter à la sur­face de l’eau… Il faut ajou­ter que le vio­lon donne cette teinte, ce doux bleu qui est aus­si celui du regard du chan­teur… Ce clip est incon­tes­ta­ble­ment empreint de poé­sie, de celle qui est chère au com­po­si­teur, comme ces vers extraits du son­net de Gérard de Ner­val qu’il a mis en musique, Vers dorés :

« Res­pecte dans la bête un esprit agis­sant : …
Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ;
Un mys­tère d’a­mour dans le métal repose :
« Tout est sen­sible ! » – Et tout sur ton être est puis­sant
 ! »

Poé­sie. S’il est un mot que nous pou­vons pro­non­cer s’agissant des clips de Nico­las Frais­si­net, c’est bien celui-là. Le clip de Quelques mots de ton frère n’y échappe pas d’autant plus qu’il est tour­né dans la mai­son d’un poète, Gus­tave Roud (1897 – 1976). C’est un titre étroi­te­ment lié au mot « ten­dresse » pro­non­cé en scène pour l’annoncer. Ici nous péné­trons dans une mai­son qui nous évoque des siècles éva­nouis, lumière rose, mobi­lier cos­su, gra­vures anciennes aux murs… à la suite d’un per­son­nage, dont la sil­houette bal­za­cienne est en par­faite har­mo­nie avec les lieux. Aus­si­tôt l’étrange s’invite : des sous-verre s’animent du visage d’une jeune et jolie femme, cette sœur à laquelle s’adresse la chan­son et qui appa­raît par­tout. « Si la vie touche à cette sœur-ci /​tout mon bon­heur est en sursis »

Les images du chan­teur au pia­no alternent avec celles de cette joyeuse syl­phide qu’ils cherchent tout le temps et pro­jettent sur un écran : elle parle, elle danse, elle court, elle rit, elle joue avec un chien, elle lit Proust, Du côté de chez Swann, et jette, sans ver­gogne, l’exemplaire qu’elle avait en mains… Quand il écrit avec sa longue plume d’oie, elle est encore là comme si, en la rete­nant sur les images fixes et ani­mées, il s’agissait de sau­ver urgem­ment ce qui s’enfuit. « Je revien­drai chas­ser l’hiver /​S’il le faut j’ouvrirai les mers pour te prou­ver ce que je dis… » Mais à tant la cher­cher dans ses sou­ve­nirs n’y aurait-il pas un risque ? A trop vou­loir écrire, fil­mer, le créa­teur ne s’emprisonne-t-il pas comme ce per­son­nage inca­pable de s’arracher aux sou­ve­nirs, à sa sœur, sa muse ? Et n’est-il pas sem­bla­ble­ment condam­né si la vie touche à sa création ? 

Déci­dé­ment, si l’on en croit leurs clips, les jeunes créa­teurs de chan­son ont une indé­niable appé­tence pour un décor qui nous confronte au pas­sé. Celui d’Yves – Marie Bel­loT, com­mence sur un mou­ve­ment de camé­ra se pro­me­nant sur de vieilles pierres, des ruines se décou­pant sur un ciel bleu. Elle s’arrête sur le chan­teur assis, « Quand le ciel se cou­vri­ra de mena­çants nuages / Que le vent amè­ne­ra les tem­pêtes, les orages /​Que l’éclair bri­se­ra le chêne cen­te­naire / Que la crue inon­de­ra les peuples insu­laires /​Dis-moi qui, qui les sau­ve­ra … » La camé­ra s’attarde, se rap­proche quand il évoque les drames et les dis­cordes au nom de la foi. Puis elle le suit de très près quand il marche dans une nature à peine esquis­sée, très floue en fond, conti­nuant d’égrener les défis de notre temps. Seul le son de la gui­tare élec­trique l’escorte… Le voi­ci reve­nu dans la mai­son en ruines au moment où de l’universel, le texte, oubliant « l’âme et la ver­tu », bas­cule dans le sou­ci de l’intime, le sort d’un amour… « Qui me conso­le­ra ? » C’est alors que le chan­teur gui­ta­riste et son accom­pa­gna­teur, Clé­ment Faure, appa­raissent au milieu d’une pièce en ruines enva­hie par la végé­ta­tion… Y aurait-il quel­conque res­sem­blance entre l’inspiration de ce clip et le goût de la pein­ture du XVIIIème Siècle, sites cré­pus­cu­laires, apo­ca­lypses, nature repre­nant ses droits ? La camé­ra tourne autour d’eux puis s’échappe vers le ciel bleu… A nous, bien enten­du, d’entendre la chan­son, d’en décryp­ter l’appel déchi­rant devant l’ampleur de ce qui nous menace mais aus­si la modes­tie… Sommes-nous vrai­ment capables d’échapper d’abord à nos peurs égoïstes ?

Avec le clip du duo Rovs­ki, on échappe d’emblée à la tri­viale et pauvre réa­li­té… Une sil­houette semble émer­ger de l’entrée lumi­neuse d’une caverne. Pour­tant tout autour on aper­çoit les rayon­nages d’une biblio­thèque. Le per­son­nage appa­raît en ombre chi­noise, son pro­fil est celui d’un oiseau de proie. Il marque un arrêt. « Tu remontes le col de ta veste /​Pré­cis dans l’allure dans le geste /T’en as fait des détours et des dia­go­nales / Pour atteindre le point cen­tral » La sil­houette marche dans un décor noc­turne, oni­rique… Les visages des deux chan­teuses, Sonia et Olive, appa­raissent régu­liè­re­ment dans un style pop et colo­ré, chan­tant, répé­tant comme un leit­mo­tiv « Tout juste sor­ti de l’origine du monde… » Remar­quable tra­vail d’incrustation d’images ! Le per­son­nage, « dra­pé dans le dur », indif­fé­rent aux menaces, aux mes­sages autour de lui, avance tou­jours. « Tu fre­donnes le refrain des effron­tés / Des affran­chis des cava­liers / De ceux qui n’ont rien à don­ner. » La route est vaste, le pas est leste… Au milieu du clip l’image s’accélère avec la ligne de fuite des rails, des routes…Soudain, on voit tom­ber d’un ciel atten­dri une pluie de plumes… Alors ce monde sombre et mena­çant change. Les deux femmes alan­guies, aux corps consti­tués de fleurs de toutes les cou­leurs accueillent le per­son­nage réduit à une toute petite sil­houette. Il se déplace jusqu’au bout d’une main et chute dans le vide, recueilli par la corole épa­nouie d’une fleur rouge. La musique devient pla­nante… Pour finir, on en revient à la caverne du début, qui semble débou­cher dans les racines d’un arbre… « Tout juste sor­ti de l’origine du monde », le per­son­nage y appa­raît minus­cule, sur­plom­bé du visage des deux femmes qui sou­rient, ten­dre­ment moqueuses. Elles soufflent sur leur main ouverte et lui envoient une averse de plumes sous laquelle il disparaît…

Elles regardent, satis­faites, pous­ser un arbre en fleurs… Jolies méta­phore et pers­pec­tive, vrai­ment, que cette his­toire, cette « aven­ture » qui condui­rait un homme à cette méta­mor­phose. Quel pas­se­port pour un nou­vel album, La proie est reine ! Le duo Rovs­ki  annonce – t- il de nou­veaux rap­ports de force ? Tout reste à inven­ter, certes, et le 30 mars au Café de la Danse à Paris, le spec­ta­teur en sau­ra davantage.