Juliette – Cali, Barjac 2021 (©Luc Allegier)

Juliette – Cali, Bar­jac 2021 (© Luc Allegier)

4 & 5 août 2021 – Jours 5 & 6 de Bar­jac m’en Chante 2021

Jour­nal de bord, épilogue 

Avec

Lau­rence Keel (L’instant de souf­fleurs de vers – textes d’Ara­gon et Jean Fer­rat), Claude Juliette Fèvre & Lucien la Movaiz Graine (lec­ture chan­tée, La Chan­son, une vie), Mar­jo­laine Pié­mont (par­ti­ci­pa­tion de Vincent Baguian), Clé­ment Ber­trand (Seconde tigres), Hom­mage à Ricet Bar­rier C’est déli­cat la vie à 3 ! Juliette, Livane Revel, Piaf, Fré­hel, Jean-Pierre Bertomère


Espace Jean Fer­rat – Cha­pi­teau du Pra­det – Cour haute de l’école – Salle Trin­ti­gnant – Biblio­thèque – Jar­din des papotages

Bar­jac (Gard)

En guise de pré­am­bule : Ces lignes ont été écrites et publiées sur ma page per­son­nelle du réseau Face­Book au fil des heures et des jours. Au départ je n’imaginais pas qu’elles seraient plé­bis­ci­tées par les lec­teurs, sur­tout par ceux qui ne se trou­vaient pas à Bar­jac. Ain­si encou­ra­gée, au retour, je leur donne un des­tin moins fugace en publiant ici mon jour­nal de bord du Fes­ti­val m’en Chante 2021, avec par­fois quelques ajouts. 

J5

Il ne vous aura pas échap­pé que je n’ai pas tenu pro­messe. Je n’ai pas publié hier soir mon compte-ren­du. Disons, qu’au sens strict et figu­ré, j’é­tais rin­cée… Quelle soi­rée, grands dieux de l’O­lympe, quelle soirée !!

Je répare très vite une injus­tice : j’ai oublié de vous par­ler du court ins­tant quo­ti­dien de lec­ture de textes de Jean Fer­rat et de Louis Ara­gon par Lau­rence Keel… « L’ins­tant des souf­fleurs de vers » … Mer­ci Lau­rence pour ta belle et pro­fonde dic­tion qui nous res­ti­tue chaque mot et me fait frissonner…

Reve­nons à cette jour­née qui res­te­ra dans ma mémoire à plus d’un titre !

Com­men­çons par le commencement.

Par­don, j’avoue qu’hier matin c’é­tait « block out » – allons bon, voi­là que je m’an­gli­cise ! – j’é­tais dans ma bulle… A 14 h c’é­tait mon tour et à mon tour de vivre de l’in­té­rieur le fameux syn­drome du « stress bar­ja­cois ». Ouille, je vous assure c’est singulier…

Dans cet abé­cé­daire dont je lis des extraits, figure une rubrique consa­crée au mot « Trac », en voi­ci les pre­mières lignes : « Le public ne se trompe pas », entend-on dire sou­vent. « Il n’y a pas de mau­vais public »… « Si vous ratez, vous êtes res­pon­sable », tranche net Barbara.

Alors com­ment vou­lez-vous qu’il ne fasse pas peur ? Com­ment vou­lez vous ne pas avoir le trac avant de l’affronter, de décou­vrir ses paires d’yeux, là, devant vous ? C’est sans doute sur ce point que rien n’a chan­gé, que rien ne chan­ge­ra jamais dans le spec­tacle vivant, quand bien même bou­le­ver­se­rait-on les condi­tions, les moyens tech­niques, les lieux, le nombre de spectateurs. »

Allons vite à l’es­sen­tiel : le moment dans cette biblio­thèque si belle, au milieu des livres – je ne peux trou­ver décor plus à mon goût ! – fut MA-GI-QUE ! Et voi­là, si vous vou­lez en savoir davan­tage, hé bien, c’est simple il faut nous invi­ter Lucien la Movaiz Graine et moi… Chez vous, en média­thèque, en librai­rie… Et toc ! Si vous lisez mon livre un jour vous com­pren­drez : hier c’é­tait un ren­dez-vous d’A­MOUR ! Et re-toc !

17 h : Et hop, je saute direct aux décou­vertes du Pra­det. Je ne vou­lais sur­tout pas man­quer Mar­jo­laine Pié­mont…Mar­jo­laine, une diva en robe rouge et talons aiguilles… Des jambes… des jambes à nous faire toutes rêver. Quant à vous mes­sieurs si vous ne l’a­vez pas encore vue, vous ne savez pas ce que vous man­quez… Mais gare à vous, car il se pour­rait bien qu’elle joue avec vous de ses griffes acé­rées… Avec Quen­tin Beco­gnée, gui­ta­riste, la par­tie fut pres­te­ment exé­cu­tée… Et l’ins­tant où Vincent Baguian les a rejoints nous a offert un petit inter­mède déli­cieux : une non décla­ra­tion d’a­mour… Tiens, c’est par­fait pour faire le lien avec Clé­ment Ber­trand qui lui suc­cé­dait… Clé­ment que je suis depuis 2006, je crois… Quel che­min ! Aujourd’­hui accom­pa­gné par vio­lon­celle (superbe !), cla­vier et sons élec­tro, il ne s’a­marre plus à son pia­no mais à son micro… C’est une dis­sec­tion de l’a­mour (encore lui !), c’est âpre et tendre tout à la fois, c’est déchi­rant sou­vent, réso­lu­ment char­nel … Il invite, tout au long, des voix off… La pre­mière est celle de Syl­vain Tes­son, c’est dire !

Venons-en à la soi­rée l’œil rivé sur notre appli­ca­tion météo France… C’est fichu, raté pour la cour du châ­teau pour le motif que vous savez… Il a fait un temps de cochon toute la jour­née. Inédit à Barjac !

21h30 Repli sous le cha­pi­teau et donc un énorme bas­tringue pour toute l’é­quipe avec en pre­mier lieu tech­ni­ciens et béné­voles. Ren­dez-vous à 22h… Et nous fai­sons la queue dès 21 h… Suf­fit de lever les yeux vers le ciel pour savoir que nous n’al­lons pas tar­der à prendre une sacrée douche… Et voi­là ! C’est fait !

Contrôles … les deux … le pass sani­taire et l’autre – Je suis trem­pée jus­qu’aux os et j’en ai plus que marre de mon­trer mon Q… R code plu­sieurs fois par jour !! L’é­quipe de béné­voles se démène pour que tout le monde (enfin pas tout le monde vous l’au­rez devi­né… la jauge n’est pas celle de la cour du châ­teau) trouve une place et nous ver­rons Jean-Claude Barens dans un numé­ro inédit de com­mis­saire pri­seur, pro­po­ser aux enchères des places res­tantes… « Et trois places à gauche, qui dit mieux ? »

Bref on rit et ce sera la tona­li­té de la soirée…

Elle com­mence avec C’est déli­cat la vie à 3 un hom­mage à Ricet Bar­rier (j’en pro­fite pour vous glis­ser que lui et moi sommes ori­gi­naires du même coin de la Cham­pagne pouilleuse… Vous vous en fichez ? Ben, pour moi ça compte ! Cha­cun de nous voit un spec­tacle de sa fenêtre). Les deux mul­ti-ins­tru­men­tistes de Juliette – que nous retrou­vons ensuite, notez-le ! – rejoints par trois chan­teurs (Laurent Malot, Del­phine Kery­huel, Bas­tien Lucas) et mis en scène par Gérard Morel nous offrent un spec­tacle de bonne humeur où toute une socié­té dis­pa­rue renaît sous nos yeux et sur­tout où nous sommes invi­tés à jouir sans entraves des menus plai­sirs de la vie… Légère décep­tion : j’at­ten­dais leur ver­sion des Sper­ma­to­zoïdes … mais nous en avions eue une, des plus suc­cu­lentes, avec Entre 2 caisses !

En tout cas belle entrée en matière au concert de Juliette !

Là, pour vous en par­ler, j’a­voue, les mots me font défaut … Elle révèle en début de concert qu’elle a bu quelques coups en atten­dant… Je veux bien le croire ! Pré­ci­sion : elle conti­nue­ra à se livrer à la défense des vigne­rons tout au long du concert !

Elle nous entraîne dans sa déme­sure. C’est débri­dé, ça part dans tous les sens… C’est hila­rant et brillant, bien sûr… Le public est à la fête ! A cette heure je me demande bien com­ment tout ça s’est ter­mi­né en cou­lisses. Ce qui est cer­tain c’est qu’elle s’est don­née au-delà de tout ce que l’on peut ima­gi­ner. De ma place j’ai obser­vé son état d’extrême fatigue. Le moment où le trio de chan­teurs du Ricet Bar­rier l’a rejointe a été consa­cré à l’hom­mage à Anne Syl­vestre…

Ce sera ma conclu­sion du jour (on ne peut trou­ver mieux !)

« On sou­rit on salue on brille /​On garde plus que de rai­son /​Son dia­dème de paco­tille /​Et on ramène à la mai­son /​Ce pauvre moi qu’on ido­lâtre /​Y a‑t-il une vie après le théâtre ? »

J6 – Epilogue 

Quand je m’é­veille suis encore habi­tée par les sen­sa­tions de la veille, par les images d’une pluie tor­ren­tielle sur nos têtes avant d’en­trer sous le cha­pi­teau, sur­tout par l’i­né­nar­rable concert de Juliette au top de sa forme, capable d’al­ler jus­qu’à l’é­pui­se­ment pour son public.

J’a­voue, je suis fati­guée et prête à m’a­ga­cer devant les contraintes sani­taires qui pèsent, pèsent… Cer­tains pen­se­ront : « Bien fait pour toi, ma vieille, t’a­vais qu’à pas venir ! » J’ar­rête là… Car suis trop, trop heu­reuse de tout ce que j’ai vécu pen­dant ce fes­ti­val dont ces pages ne sont qu’une pâle restitution.

10h – midi : Je suis de retour à la biblio­thèque, à la dis­po­si­tion de visi­teurs, ache­teurs de mes livres… C’est l’oc­ca­sion de dire qu’en voie de consé­quence, une fois encore, je ne ver­rai pas le concert acous­tique du « Jar­din des papo­tages »… Impos­sible cette année d’al­ler à ces ren­dez-vous là et je le regrette beau­coup. J’aime infi­ni­ment cet espace où à « midi cèze » (!) j’as­sis­te­rai à l’ultime « Apé­ro thème » concoc­té et ani­mé par un amou­reux des mots, Jean-Pierre Ber­to­mère.

15 h Léger temps de repos avant de me rendre à la salle de ciné­ma, salle Hen­ri Trin­ti­gnant où se pro­duit Livane Revel qui, seule en scène, évoque Piaf, Fré­hel, Damia… Le spec­tacle est nour­ri de confi­dences, d’in­ter­views, d’ex­traits de lettres… La voix de Piaf nous revient et c’est sim­ple­ment bon… Une occa­sion de me relier, une fois encore, à Bar­ba­ra qui a tant aimé ces chan­teuses là à qui elle devait son choix de chanter.

Les fes­ti­va­liers savent que lors­qu’on se rend à la salle Trin­ti­gnant à 15 h, on a peu de temps pour enchaî­ner ensuite avec les concerts du cha­pi­teau à 17 h.

17 h : C’est le tour de Louise O’s­man, son accor­déon et ses textes savam­ment écrits… Mais l’af­faire com­mence plu­tôt mal car un réglage du son, son élo­cu­tion – on retrouve un phra­sé, des into­na­tions « bar­ba­resques » – les deux sans doute – peut-être aus­si l’ef­fet du stress – vous savez, le fameux syn­drome bar­ja­cois, je n’y reviens pas ! – la privent d’être com­prise jus­qu’à ce que les spec­ta­teurs eux-mêmes s’en mêlent… Elle, qui a tant à nous livrer, qui des­sine de si élé­gantes atmo­sphères marines… Pour moi, hélas, ce sera un ren­dez-vous man­qué. Je ne par­viens pas à m’ar­ri­mer à son navire.

C’est Bas­tien Lucas qui lui suc­cède dans son solo – jour­nal de bord de sa vie… Une série de dates le ramènent à des temps forts qu’il a mis en chan­sons avec ten­dresse, humour, auto­dé­ri­sion. Tout ce qu’il faut pour me ravir. J’ap­pré­cie – ô com­bien – le geste de remer­cier ceux qui l’ont conduit sur cette scène de Bar­jac « tant convoi­tée et redou­tée », dit-il lui-même. Une façon de sou­li­gner le par­cours d’un artiste semé de doutes, d’é­cueils et de belles ren­contres ! Un monde se des­sine où émergent les salles, les fes­ti­vals, les « col­lègues », qui donnent des coups de mains, des coups de pouce.

Les heures avancent… Cette fois, ça y est, je vais vivre les deux der­niers concerts du fes­ti­val 2021.

21h30 : Suis au pre­mier rang grâce au copain pho­to­graphe qui se sou­cie de me gar­der une place. Il se recon­naî­tra. Mer­ci à toi l’ami !

Appa­raît d’a­bord la longue sil­houette habillée de noir de Cla­ra Ysé… Un corps de nymphe qui ne ces­se­ra d’on­du­ler dans une ges­tuelle sin­gu­lière, comme ondule aus­si sa voix …

C’est l’oc­ca­sion d’une paren­thèse, de répondre à des lec­teurs de ce jour­nal de bord qui pour­raient s’a­ga­cer de mes réfé­rences constantes au corps, aux tenues, aux gestes… Que vou­lez-vous, trente années d’a­te­lier théâtre m’ont don­né une atten­tion par­ti­cu­lière, un goût cer­tain pour la mise en espace d’un spec­tacle où le corps impose ses lois. C’est ain­si, en scène, le corps est au centre… On n’y échappe pas. Et cette année je n’ai pas échap­pé à la robe rouge qui habillait le corps des filles : Clo­tilde Mou­lin, Mar­jo­laine Pié­mont (des stars !), Livane Revel et sa robe à pois années 60 – 70, jusqu’à Lau­rence Keel pour son der­nier pas­sage avec le superbe poème d’Aragon : « J’en­tends, j’en­tends. J’en ai tant vu qui s’en allèrent. Ils ne deman­daient que du feu… » Le rouge, le feu, le sang, l’amour et le com­bat… Mer­ci les filles !

Cla­ra Ysé chante en visi­tant l’Ailleurs… des pays, des langues qui l’ont sau­vée de la déses­pé­rance comme vous pour­rez le lire sur l’ar­ticle que j’ai consa­cré à son album en mars 2020… « Der­rière les nuages, il y a tou­jours le ciel bleu azur qui luit… Mon amie, prends patience… »

Cla­ra a divi­sé le public de Bar­jac, comme le fera aus­si Cali qui clôt cette édi­tion… Et quelle clô­ture… !! Au pre­mier rang je jubile en par­ta­geant la folie de ce chan­teur qui débarque sur scène avec la rage au cœur accom­pa­gné par son pia­niste, Augus­tin Char­net, rageur lui aus­si – avec qui il a fait son der­nier album Cavale… Il pousse des cris et je vous avoue, je les pous­se­rai bien avec lui, après ces mois que je viens de vivre… Cer­tains ici en connaissent les détails… Ce concert m’a redon­né mes jeunes années et le ren­dez-vous final offert aux fes­ti­va­liers déten­teurs d’un pass, au jar­din des papo­tages, m’a offert l’oc­ca­sion de l’en remer­cier… Et plus encore ! Car Cali a fini sim­ple­ment la soi­rée avec nous.

« C’est quand le bon­heur ? »

Hé bien, c’est là, à cet ins­tant pré­cis où sous la conduite du chan­teur du groupe Le Bal des Mar­tine, nous for­mons un chœur, pour le refrain d’une chan­son russe dont on nous a dis­tri­bué le texte auquel on ne com­prend goutte bien sûr… Et c’est l’oc­ca­sion pour moi de par­ta­ger un délire avec Cali ! Nous nous amu­sons tous les deux comme deux enfants.

2 h et plus : nous vivons un ins­tant inou­bliable quand l’un des fes­ti­va­liers invite à chan­ter L’âge d’or de Léo Fer­ré… (Lucien la Movaiz Graine avait choi­si aus­si de la chan­ter dans notre lec­ture) Le cercle se referme autour de Cali. Je m’éloigne un peu, je regarde, j’é­coute, j’es­saie de sus­pendre mon souffle, d’ar­rê­ter le temps.

C’est beau … !

C’est d’au­tant plus dif­fi­cile de quit­ter ce lieu, tous ces visages, ces amis, Cali, son régis­seur que j’ai la chance de connaître grâce à un autre chan­teur… C’est avec lui que j’é­change pour finir avant de me fondre dans l’obs­cu­ri­té des rues… Bar­jac est, à cette heure, plon­gée dans le noir, par mesure écologique…

Que vive Bar­jac m’en Chante 2022 ! Et que la vie me porte jusque là !

Lais­sons la conclu­sion à Jean-Claude Barens, emprun­tée à sa page Face­Book : « La moi­teur d’une nuit d’août a mou­ché les chan­delles d’une édi­tion qui ne fut pas un long fleuve tran­quille. La pro­chaine page sera écrite à quatre mains. Pour enga­ger une trans­mis­sion, avec tou­jours cette même volon­té de faire par­ta­ger un peu de ce que j’ai appris au fil des années, et de pour­suivre la mise en lumière d’une chan­son for­mi­da­ble­ment vivace. Pour coudre avec patience et déli­ca­tesse, hier à aujourd’hui, nous avons besoin de regards nou­veaux, créa­tifs et enthou­siastes. Ade­lante ! En avant ! »