Barjac m’en Chante, Alice Animal − 2022 (© Bruno Kreitz)
3 & 4 août 2022 – Jours 5 & 6 de Barjac m’en Chante
Vivre et revivre Barjac m’en Chante 2022
Avec
Victoria Delarozière, Chansons troquées − Rémo Gary chante Jacques Debronckart − Florent Richard & Roland Romanelli, Le Grand Blond et l’accordéoniste − Nawel Dombrowsky, Les femmes à la cuisine − Jeanne Rochette − Emily Loiseau, Icare
Alice Animal, Tandem − Alissa Wenz, Je, tu, elle − Jérémie Bossone − Magyd Cherfi, Art Mengo, Yvan Cujious, Toulouse Con Tour − Épilogue gourmand avec Pascal Lamige et L’extra Bal au Jardin des Papotages
Espace Jean Ferrat – Chapiteau du Pradet – Cour haute de l’école – Salle Trintignant – Bibliothèque – Jardin des papotages
Barjac (Gard)
En guise de préambule : Ces lignes ont été écrites et publiées chaque matin sur ma page personnelle du réseau FaceBook au fil des heures et des jours. Avec la connivence de Jean-Pierre Bertomère elles ont été également affichées à l’entrée du chapiteau. Je leur donne un destin moins fugace en publiant ici mon journal de bord du Festival m’en Chante 2022 avec parfois quelques ajouts.
Cinquième jour… La chaleur ne faiblit pas, alors, se retrouver sous la frondaison du Jardin des papotages pour le concert de 11h15 est une chance. Je serais bien retournée dans la cour de l’école entendre Saisons en vrac de Hugo Barbet avec les enfants mais je vous avoue que, ce matin, j’avais un léger retard dans mon planning matinal où mes rendez-vous sont minutés.
Victoria Delarozière et son accordéon diatonique, Victoria et ses chansons « troquées » au fil de ses rencontres, c’est une aubaine pour le festival car elle nous fait entendre cette chanson populaire qui circule sans que l’on sache comment. Elle est jolie, Victoria, avec sa jupette rouge piquetée d’étoiles, son petit haut noir, ses chaussures de randonnée – elle est prête pour un nouveau départ, son camion bleu l’attend sur le parking, tout près – Elle est joyeuse, Victoria ! Et elle chante tellement bien qu’elle me donne l’envie de prendre la route avec elle pour noter dans un petit carnet toutes ces chansons de pas grand-chose, et les ranger bien consciencieusement dans mon sac à dos pour les porter plus loin. Quelle belle idée que ce tour de France en troc de chansons ! Il est bien chanceux le public de Barjac où se cache, peut-être, une nouvelle chanson à colporter…
À 15h je suis de retour au château pour une découverte dont je ne mesure pas encore toute l’ampleur même si je me suis empressée de réserver ma place dès la parution du programme du festival, pressentant que Rémo Gary reprenant Jacques Debronckart (1934- 1883) ce serait du grand art. Des chansons inédites, datées des années 78 – 81, magistralement accompagnées par Nathalie Fortin au piano. Comment vous dire l’émotion, l’admiration aussi pour l’interprète, qui s’emparent de moi dès les premières minutes ? La voix de Jacques Debronckart doucement relayée par celle de Rémo et par le piano de Nathalie, cette supplication déchirante « Ma mort, attends ! » suivie d’une chanson, Fille, qui ne déparerait pas, en point d’orgue, dans le concert de Natasha Bezriche hier… « Sois fier d’avoir une fille, toi que je ne connais pas ! »… Et c’est ainsi que je suis transportée dans le labyrinthe d’une pensée qui va, de la colère à l’ironie, de la tendresse à la peur, de l’amour charnel au combat libertaire… Une pensée en ordre de marche dont l’humanité a tant besoin ! Et c’est ainsi que Jacques Debrockart figure au panthéon des « damnés de la Terre » qu’a dressé Rémo, poètes, peintres, combattants qui lui font dire : « On devrait être ce que ceux-là voulaient pour nous. » Voilà. Tout est dit.
Il est d’autant plus difficile de m’arracher à ce que je viens de vivre et d’enchaîner à 17h avec les concerts au chapiteau.
D’autant plus difficile que le concert de Florent Richard accompagné par Roland Romanelli manque sa cible. Déception ! J’avais longuement écrit sur la sortie de l’album en 2019. Notons que le chanteur-pianiste ne pose pas son regard sur nous (ou si peu) et surtout son humour fait un flop magistral qui poussera une partie du public à quitter le chapiteau. Une chanson lève le voile, tardivement, sur cette ambiguïté, sur cette dérision, ces histoires « pince-sans-rire » avec cet aveu « Tu sais, moi, je ne vais pas changer le monde ».
Pour garder le sourire je vous livre une anecdote : c’est aux toilettes, avant le concert, que je croise Roland Romanelli, compagnon et accordéoniste pendant 20 ans de Barbara… Bref tête à tête – on aurait pu imaginer meilleur endroit ! – où je lui avoue mon émotion… Je n’ai cessé d’y penser en le voyant en scène, en écoutant son accompagnement où j’ai fini par me réfugier…
Tranquillisez-vous, ce désappointement a vite été balayé par ce qui a suivi, le concert de Nawel Dombrowsky, celle que le public a ovationnée jusque dans la cour du château où elle arrivait en spectatrice. Je n’avais encore jamais entendu ça ! Donc, vous l’aurez compris, ce concert est une magistrale démonstration de ce que la Chanson peut offrir de meilleur. Je m’empresse de souligner que la mise en scène et les textes sont de l’immense Yanowski ce qui, à mon goût, n’a pas été suffisamment mis en évidence. Il faut le dire Nawel et ses deux complices contribuent non seulement au combat des femmes – décidément déterminées à mettre au pilori de siècles de servitude par l’humour, sans jamais véritablement trouver de réponse au grand tsunami de la maternité – mais ont très largement dépassé ce propos en s’ouvrant aux grands défis de l’humanité, ceux qui ne cessent de venir sans fin au-devant de l’actualité : la misère, la guerre, l’exil, regardé cette fois du point de vue de la mère et de son enfant. Cette chanson-là, l’une des dernières du concert, est un bijou !
Le succès de Nawel a peut-être fait de l’ombre – allez savoir ! – à Jeanne Rochette en ouverture de soirée à 21h30. Magistralement accompagnée (guitare de Côme Huveline, basse de François Puyalto… et ceux qui l’ont entendu savent que cette basse, ce n’est pas rien !), Jeanne a pourtant plus d’un tour dans son sac pour convaincre le public. La scène, ça la connaît ! J’ai moi-même dit et publié combien j’aimais sa présence, son énergie, sa force, son engagement… Ce petit bout de femme qui danse me semble, ce soir, prisonnière de ses tourments, de son « cerveau de misère ». Mais peut-être est-ce plus sûrement la projection de mes doutes et de mes peurs ? C’est là le grand mystère du spectacle vivant : ce va-et-vient entre l’artiste en scène et le spectateur…
Quand arrive Emily Loiseau et ses trois musiciens, je m’éloigne de la scène par peur de l’amplitude du son… Spectatrice de loin, j’ai perdu une bonne part de ce concert anglo-francophone. Que voulez-vous, j’aime les lieux intimistes précisément parce qu’ils m’offrent la proximité avec l’artiste, avec sa gestuelle, son visage… Elle aussi chante le poids de l’existence, ce monde qui flambe, l’exil, elle aussi danse, laisse son corps exprimer ce que les mots ne peuvent dire, elle aussi ne baisse pas les bras devant l’immensité de la tâche qui attend l’artiste citoyen. La dernière chanson, Fais battre ton tambour, pourrait à elle seule convaincre les derniers spectateurs sceptiques, « Fais battre ton tambour /Fais-moi danser /Qu’il sonne ton tambour /Jusque dans mes pieds »
Décidément, Jean-Claude Barens signe une programmation dont la pertinence n’est plus à démontrer… Jeanne ressemble à Emily et son salut à ses côtés en est le symbole, pour qui veut bien aller au-delà des apparences. Auprès d’elles, d’autres auraient pu venir saluer le public : Marion, Véronique, Léonor, Viviane, Lula, Nathalie, Lila, Nour, Hélène, Natasha, Luciole, Missone, Victoria, Jeanne, Alice, Alissa… Cherchez-les, elles sont toutes là dans cette programmation !
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Épilogue… Épilogue de cette édition 2022… Épilogue aussi pour Jean-Claude Barens qui passe le témoin à Julie Berthon.
17h au chapiteau, c’est d’abord un trio ultra féminin qui me fait dire que, dans une prochaine vie, j’aimerais revenir en petite robe style Courrèges et bottines blanches, exactement comme la chanteuse et guitariste Alice Animal. Lâcher toute ma rage de vivre dans des riffs sans concession… « L’enfer est un mythe, il est là où tu le poses ! » Dans mon adolescence corsetée, ce que j’aurais aimé être cette chanteuse de rock ! À voir s’exprimer l’enthousiasme du public je ne suis pas la seule ! C’est quand même audacieux et sensiblement décalé ce trio, sous ce chapiteau du festival de Barjac que j’ai connu inquiet dès qu’une batterie apparaît en scène… Les temps changent ? Alice Animal termine au plus près du public, dans l’arène, et cette image laisse à penser que la chanson rock a bel et bien sa place, comme le confirmera d’ailleurs, Jérémie Bossone en soirée.
Le concert de 18h30 nous ramène au contraire à la chanson dans sa définition la plus stricte. Facétie, clin d’œil de la programmation ? Je me plais à le croire… En tout cas, la confrontation ne manque pas de sel… Petite robe noire, chaussures à brides comme les aimait Barbara en scène – on verra que la comparaison ne s’arrête pas là – Alissa Wenz, accompagnée par la brillante Nathalie Fortin au piano, ne perd pas une seconde en mots superflus. Tout est maîtrisé (presque trop ?). On devine une mise en scène au cordeau. C’est qu’elle joue sacrément bien le « jeu des micros, des tréteaux » dont elle parle en ouverture. Les chansons du futur album chez EPM, dont les arrangements sont signés Romain Didier – excusez du peu ! – sont ciselées. Elles échappent au travers récurrent de l’égocentrisme. Chacune raconte son histoire. C’est une plume sacrément alerte, Alissa, nourrie des plus nobles fréquentations, je le pressens. Impossible d’éviter la référence à Barbara quand elle chante « Madame, j’aime l’homme que vous aimiez, ni vous ni moi n’avons la clef »… Auteure de romans, elle connaît tous les ressorts de l’écriture : lyrisme, réalisme, humour, le tout savamment dosé. Et quand elle chante une petite fille seule dans un coin derrière les grands murs du collège, celle qui « fait sa vie avec des mots, avec des rêves », on imagine volontiers qu’elle aurait pu se prénommer Alissa.
Et maintenant, suivez-moi dans la cour du château à 21h30 où vous attendent quelques belles surprises. D’abord l’ovation du public debout pour les bénévoles, tous rassemblés avec le tee-shirt vert de l’édition 2022 où apparaissent les mots de Véronique Pestel : « La parole de l’autre est une lettre morte, si tu ne l’embrasses pas pour lui donner des ailes. » Puis l’apparition inattendue de Mehdi Krüger suivie de Marion Cousineau, pour nous rappeler la beauté de l’instant qui passe, « Prends ce sentier et contemple » et s’achever dans un remerciement à Jean-Claude Barens, longuement prolongé par les bravos du public. À l’écrire, j’en ressens encore l’émotion.
Ce sont les frères Bossone qui s’emparent enfin de la scène avec l’accompagnement d’un bassiste. Tous trois ont opté pour tous les codes du rock pur et dur… On ne s’y trompe pas… Et Jérémie entonne son maintenant fameux « Ce soir je n’ai rien à dire ». Dois-je dire que mon émotion reste la même depuis 15 ans, ne me lassant jamais de ses titres La tombe, Scarlett, Paymobil, Spirale… de sa superbe reprise de Göttingen de Barbara ? Ce soir ils ont su moduler leur concert pour qu’apparaisse l’amplitude des styles, des thèmes, Jérémie apparaissant à plusieurs reprises seul avec sa guitare folk. Je pourrais résumer mon ressenti avec ces mots empruntés au titre La page blanche : « Prenez une page blanche et dessinez un être… Et si sa maison penche, ouvrez grand ses fenêtres… » Sûr, Jérémie Bossone sait dessiner, ouvrir les fenêtres… Et c’est la raison pour laquelle le public lui fait encore ce soir une ovation.
Je passerai vite sur la déception, la tristesse, voire la colère, devant le concert final en pensant qu’il s’agit là du dernier concert programmé par Jean-Claude Barens, directeur artistique du festival Barjac m’en Chante. Art Mengo, Magyd Cherfi (ex Zebda) et Yvan Cujious, le chanteur trompettiste, animateur de Sud Radio, sont venus rendre hommage à la chanson toulousaine et plus, dans leur Toulouse Con Tour. Tout était donc réuni pour largement satisfaire les amoureux de la Chanson prêts ce soir à faire la fête, à reprendre en chœur les chansons qu’ils ont fredonnées dans leur jeunesse. Les deux musiciens qui complètent le trio, accordéon et batterie, font de leur mieux. Mais le concert rapidement part à vau‑l’eau, Yvan Cujious sauve la situation par son humour, sa trompette aussi…
Épilogue gourmand : Et nous voici, passé minuit, au jardin des papotages pour nous régaler de quelques douceurs servis par les bénévoles, pour danser autour de Jean-Claude Barens au son d’une belle formation, celle de Pascal Lamige… C’est à ce moment précis, avec les copains et les copines, tous amoureux de la Chanson, que l’on pense déjà à l’année prochaine, au 29 juillet 2023 exactement…
PS : Sur mon site Chanter C’est Lancer des Balles vous pouvez prolonger cette lecture en retrouvant les chroniques que j’ai précédemment publiées sur : Victoria Delarozière et ses chansons troquées, l’album de Florent Richard & Rolland Romanelli, le concert de Jeanne Rochette, l’album de Toulouse Con Tour, et sur Jérémie Bossone, bien sûr, chroniques trop nombreuses pour pouvoir être toutes citées…