Benoît Doremus, Désolé pour les fantômes 2022 (©Yann Orhan)

Benoît Dore­mus, Déso­lé pour les fan­tômes 2022 (©Yann Orhan)

05 mars 2022, Déso­lé pour les fan­tômes, cin­quième album, 14 titres, de Benoît Dore­mus sor­ti le 25 février

C’est tou­jours tout droit 

Avec,

Benoît Dore­mus (paroles et musiques, voix) réa­li­sa­tion du duo élec­tro-pop Kiz, Marc Paro­di et Alice Chia­ve­ri­ni et par­ti­ci­pa­tion de Béna­bar et Clio


« Je suis de bonne humeur, pas de pro­blème majeur /​J’essaie de regar­der la ville comme si je ne la connais­sais pas… »

C’est un qua­ran­te­naire sif­flo­tant, un peu joueur qui déam­bule dans Paris, ville « en cathé­drale, en his­toire en cadeau, en miroir, en fête, en lam­beaux… » Il voit s’égrainer ses sou­ve­nirs et entend une voix fémi­nine dou­ce­ment le gui­der « C’est par là … ». C’est un peu comme si cette chan­son don­nait le ton de ce nou­vel album. Certes, les pen­sées se pressent dans la tête, les sou­ve­nirs et les cha­grins aus­si, mais on avance, on avance… « C’est tou­jours tout droit »… D’ailleurs un autre titre, Pour une rai­son quel­conque pour­rait aus­si s’ajouter à cette déam­bu­la­tion, celui qui déroule tout un cor­tège de pen­sées et d’actes, tout ce fatras de menus faits qui font la trame de nos vies et qui s’achève sur « J’essaie d’aller de l’avant… Pour une rai­son quel­conque, il me reste un espoir. »

Le nou­vel album de Benoît Dore­mus a ce petit quelque chose de léger, de fami­lier qui donne l’envie de le fre­don­ner, même s’il ne manque pas, loin s’en faut, de pro­fon­deur. Sans doute la réa­li­sa­tion du duo Kiz, Marc Paro­di et Alice Chia­ve­ri­ni, n’y est-elle pas pour rien avec ses gui­tares dis­crètes et ses ryth­miques élec­tro pop qui laissent à la voix toute son ampli­tude, qu’elle suive son flot par­lé, scan­dé, ou qu’elle chante.

Il n’y a aucun doute sur l’authenticité et la proxi­mi­té des textes. C’est une voix qui pour­rait être celle de votre copain, votre frère, votre fils et l’on ne doute pas un ins­tant qu’elle fera mouche comme l’a fait déjà l’appel au finan­ce­ment par­ti­ci­pa­tif obte­nant – ren­dez vous compte ? – 447 % de la somme deman­dée ini­tia­le­ment. Voi­là qui valide, s’il était besoin, le choix de l’indépendance opé­ré déjà pour le pré­cé­dent album, mal­gré ce qu’il induit d’efforts pour tout embras­ser : ges­tion, admi­nis­tra­tion, pro­duc­tion… Alors, ce suc­cès valait bien une chan­son, pla­cée en tête de l’album, On croit en moi, accom­pa­gnée d’un clip où le chan­teur sur ses rol­lers, dans un quar­tier pavillon­naire, déroule son his­toire de chan­teur d’aujourd’hui… On le suit bien volon­tiers, même si ça tangue par­fois, pour peu que l’on ait ni son aisance, ni son agi­li­té dans les virages, ni sa jeunesse…

On le suit dans sa ten­dresse à nous évo­quer un coup de foudre à l’Opéra, devant l’apparition, accom­pa­gnée d’un pia­no mini­ma­liste, de « la dan­seuse bles­sée »… Bien sûr ce récit res­semble à tous ceux qui nous ont émus en lit­té­ra­ture, avec ces mots atten­dus « et me voi­là hyp­no­ti­sé… » ou bien « Elle était là, sans arti­fices, tel­le­ment belle… » Avouons, nous aimons les his­toires d’amour qui finissent bien !

Quelle ten­dresse aus­si dans « Chloé au lit m’a cloué à corps et à cris », dans le pur style Sou­chon ou bien dans le duo déli­cieux avec Clio, Déso­lé pour les fan­tômes, quand – il faut bien l’avouer- toute ren­contre amou­reuse s’accompagne d’invités indé­si­rables et que l’on sup­plie « Attends, attends-moi, je veux sau­ter dans ce train… ». On le suit, bien évi­dem­ment dans sa ten­dresse pour la femme qui ne veut pas d’enfant, comme en contre­pied de la chan­son d’il y a 35 ans déjà, celle de J.J Gold­manElle a fait un Bébé toute seule : « Non, elle n’écoute pas les hor­loges, ni au dehors, ni au-dedans, quand on l’interroge, elle sou­rit patiem­ment… » On admet volon­tiers qu’« il en reste des choses à faire avec le pli que prend le monde… » Mais sur­tout, on aime cette ten­dresse infi­nie, dans la pure conti­nui­té de Renaud, celle qui affleure dans Douze ans sans te voir, dans cette ren­contre gare de Lyon avec ce grand gars gran­di trop vite, « Et on est là avec nos wagons à rac­cro­cher », comme une suite don­née au titre Beau­padre du pre­mier album et que s’exprime cette réa­li­té com­mune à tous : « Les enfants gran­dissent, mais que fait la police… Rien que le temps qui passe… »

Si la nos­tal­gie s’invite, comme elle le fait aus­si dans Tu m’inspires plus rien… « C’est fini, c’est par­ti, englou­ti. C’est si loin la cha­made, le cha­hut… » ce n’est jamais pour s’y com­plaire. Très vite l’humour prend le relai comme dans ce refus de ren­trer après l’été, de mettre les « emmerdes en ape­san­teur » Je reste au mois d’août, « Avec mon maillot de bain, mon bal­lon de foot… », ou bien dans cette alter­ca­tion ver­bale Un simple rap­pel à la loi, ou dans son « jeu pré­fé­ré »- réel ou feint, qu’importe – « Je retiens les dates des morts…ça n’sert à rien…ça m’fait des signes de ponc­tua­tion au milieu de la route… » Et cette savou­reuse conclu­sion : « Y a tou­jours des entrants /​Rou­lez jeu­nesse ! » Mais plus encore, on se réjouit du duo avec Béna­bar, de cette say­nète des deux potos, deux « glan­dus » plan­tés au bar d’une dis­co­thèque, lor­gnant sur deux femmes : Drague la mère… On vous laisse décou­vrir la chute… Un régal !

En somme cet album confirme ce que nous avions dit de lui lors d’un concert au Bijou, ou en 2017, un soir d’été au châ­teau de Bona­guil dans le Lot-et-Garonne, où il par­ta­geait la scène avec ses amis, Daguerre et Emi­lie Marsh : « Tendre, atten­dris­sant quand il se penche sur des sou­ve­nirs d’enfant, puis de plus grand, celui qui fait des « chiottes » son coin de lec­ture, ou bien qui se prend pour Rim­baud mais sans son « pale­tot idéal ». Même pas fichu de vivre sa « bohême », un pied près de son cœur. Voi­là, Benoît Dore­mus c’est un artiste, une « bête à cha­grin » et qui nous le chante… »