Jérémie Bossone, Gloires
Album autoproduit, 2014
Avec Jérémie Bossone (chant, guitare), Daniel Jéa (guitare), Benoît Lugué (basse), Bertrand Noël (batterie) et Nolwenn Leizour (contrebasse). Réalisation : Ian Caple
S’il est un album attendu, c’est bien celui-ci, enfin arrivé dans notre boîte aux lettres. Voilà plus d’un an que nous l’attendions, sans que nous puissions saisir vraiment pourquoi sa sortie demandait tant de temps… Ah ! Les arcanes de la production, de la distribution ! Mais à l’instant même, nous sommes heureux de ces contretemps car il nous vaut la surprise d’un deuxième album cadeau de « consolation » : Clown lyrique, album acoustique guitare/voix, enregistré en 2008, aujourd’hui épuisé. À côté des « classiques » de Jérémie, nous découvrons quelques pépites : l’émouvante Chanson du clown, Les Gangsters, chanson cinématographique… Et surtout une chanson fleuve, l’histoire des jumeaux Tim et Théo, comme deux destins qui s’affrontent et se confrontent dans un récit aux beautés oniriques et baroques.
Nous dirons alors simplement qu’il a pris son temps, Jérémie Bossone, le temps de l’exigence et du doute, depuis son passage aux ateliers de Voix du Sud, où déjà il a créé l’attente.
Il a pris le temps de s‘entourer de « camarades, de compagnons, des gens qui puissent chalouper » pour mêler les genres : Daniel Jéa (guitare), Benoît Lugué (basse), Bertrand Noël (batterie) et Nolwenn Leizour (contrebasse). Il lui fallait aussi le réalisateur qui pourrait assurer ce voyage-là, « entre deux rives » et avouons que l’anglais Ian Caple était d’emblée un passeport pour la réussite.
Voilà donc douze chansons où l’on retrouve ces titres qui nous font toujours frissonner, orchestrés pour porter le texte, le sublimer. Car Jérémie Bossone est un auteur, un poète qui consacre d’ailleurs sa première chanson à un paysage nocturne et froid, celui d’une nuit sans inspiration : « Moi qui me prétends écrivain /Eh bien ce soir je n’ai rien à dire (…) J’entends les étoiles qui causent /La poésie doit me maudire. » Il faut une violence très rock pour dire ce mal de vivre, cette destinée, que seule la création pourrait affranchir : « On vit, on meurt /On va seul et on vacille /On est tous des christs en croix. » Et le poète n’échappe pas au tragique de notre condition, ce qu’illustre le cri pathétique de la fin de La tombe. Ce titre commence pourtant au doux son de la guitare, distillant note à note la vision de la tombe d’un inconnu : « Qui es-tu, toi qui dors là sous la pierre ? /Que fis-tu sous le chaud soleil d’hier ? » Ce que dit aussi L’Empire, cet espace où s’échouent les solitudes, « tous ces lions blessés » ivres de la quête de leur impossible étoile. Comme souvent, l’ombre du grand Jacques plane, celui qu’il nomme en exergue dans le livret « un frère de cœur ».
Bien sûr pour ce « ménestrel en chemin », hanté par la mort comme l’est Théo dans le précédent album, à la recherche de celui qui pourrait bien porter son chant désespéré (Der Leiermann, rencontre étrange du vieux joueur de vielle empruntée à Schubert et au poète Wilhem Müller), il existe le rêve, le refuge d’un départ vers une terre d’exil « quand les jours tristes éteindront l’amour et la bohème (Galway), il existe l’alcool, fuite dérisoire pour celui dont le monde a fait son bouffon (Scarlett, un sommet où l’on guette le solo final de guitare), il existe l’amour oscillant entre la jouissance physique désespérée (L’érotique) et l’idylle romantique rongée par le temps (Les amants de la Seine). Peut-il seulement aimer ? Jamais rester sonne comme un credo désespéré de non amour.
Alors que reste-t-il au poète, sinon regagner Le Cargo noir, sublime chanson fleuve qui clôt l’album. Il lui reste à écrire encore, dans l’empreinte d’un Rimbaud, d’un Ferré ou d’un Dylan, il lui reste à chanter avec cette voix effectivement rare qui lui permet de reprendre Barbara (Göttingen). Il a besoin de ce partage-là pour vivre. Il l’attend.
Trackbacks / Pingbacks