Archibald, Hexagone (© Michel Gallas)
24 janvier 2017 – 16è Détours de Chant – Coups de Pousses !
avec
Fred Paco (guitare voix) & Auguste Harlé (violoncelle, voix), Archibald, solo (guitare, flûte traversière, beat box, voix), Julien Fortier (guitares, harmonica, chant), Florian Beigbeder (claviers) & Laurent Guillot (pads), Au creux de l’A, Alice Bénar (textes, musiques, voix) Elisa Trebouville ( Banjo, Cavaquinho, voix, musique) Sara Valero (violoncelle, voix, musique) Mélodie En Sous Sol, Christophe Rymland ( guitares, clavier, voix) & Megane Fleger
Le Bijou (Toulouse)
Après le concert « jeune public » d’Hervé Suhubiette samedi, c’est au tour des traditionnels « Coups de Pousses » de jouer l’ouverture et le symbole dans ce festival. Certes, il n’est pas facile de toucher un large public un mardi, surtout avec des concerts programmés dès 16h30. Mais cette nouveauté s’accompagne d’une autre très significative et réjouissante à plus d’un titre. Un jury de quatorze lycéens, élèves d’une classe de 1ère littéraire, spécialité musique, est présent. Il a pour mission d’élire l’artiste qui se verra programmé au cours de la prochaine édition de Détours de Chant. Pas question pour eux d’attribuer seulement ce prix à la jauge de leurs émotions (ce qui demeure essentiel toutefois). Ils ont conçu une fiche d’évaluation très précise pour chaque artiste qui met en évidence la qualité de la prestation (justesse, respect du tempo, maîtrise de l’instrument, écoute mutuelle…), son originalité, les textes (rapport qualité, compréhension, rapport avec la musique …), l’interprétation (aisance, complicité avec le public…) Bref, des critères qui ne manquent pas de pertinence.
Nous ne pouvons que nous réjouir de voir cette jeunesse participer à ce moment essentiel de l’évènement. Un moment qui salue la créativité sans cesse renouvelée de l’univers de la Chanson. Ces jeunes pousses proposent des sons, des atmosphères, des textes qui témoignent du temps présent. Qu’ont-ils donc à nous dire de ce monde auquel ils se confrontent ?
On ne sera pas surpris de voir le Slam gagner les terres de la Chanson, l’électro et tout ce que la Musique Assistée par Ordinateur, les « boucles » aussi proposent d’atmosphère inédite en se mariant parfois aux instruments acoustiques. On aimera aussi constater que chaque groupe a le souci de créer son univers singulier, d’apporter sa touche, sa couleur. Parfois même une véritable dramaturgie.
Mais pour notre part on est, hélas, plus dubitative quand il s’agit de porter attention aux textes – à condition toutefois qu’on les comprenne ! On ne le répètera jamais assez !
Trois sur cinq vont en effet exclusivement s’intéresser aux méandres et circonvolutions amoureux. L’un d’entre eux assumera clairement l’idée de nous « plonger dans ses fantasmes et son intimité » … On peut aller y faire un tour, certes ! Mais de là à y séjourner !
Le féminin, toujours… le modèle « pétrarquisant », vieux de cinq siècles, a encore de beaux jours devant lui. Qu’il s’agisse d’une Armande (est-elle savante, au moins ?), d’une empoisonneuse, d’une ensorceleuse, d’une Lola, d’une Chloé… Nous oserons avouer, à la fin de ces « Coups de pousses », notre lassitude et notre ennui. D’ailleurs la dernière chanson que nous entendrons s’appellera : l’amour, matière corrosive… C’est tout dire !
Il faut bien de l’ingéniosité, du talent d’auteur pour continuer à nous émouvoir, nous surprendre sur un thème aussi rebattu. Certains réussissent et nous en témoignons souvent ! Mais que penser de cette exclusivité qui peut s’apparenter à l’enfermement, le repli… Finalement, serait-ce un message dans ce monde inquiétant ? Voilà que l’on se pose la question.
Alors on élira, nous aussi, nos coups de pousse de cette 16éme édition de Détours de Chant. Ils seront deux. D’abord Archibald que le jury de Lycéens a élu lui aussi. Nous continuons de nous émouvoir devant cet artiste dont nous avons connu les toute premières propositions en scène et qui ne cesse de progresser. Slameur, beat boxer, guitariste aux élans andalous parfois, chanteur- improvisateur d’une voix profonde de mongol ou hautement lyrique. Il propose un mélange de toutes ces influences goûtées, respirées, senties. Il jongle avec les sons, en fait un véritable orchestre. Il habille ainsi des textes qui vont au creux de notre société, de notre quotidien, de nos émotions. Il offre de saisissants tableaux, comme celui de l’itinérance des « intergitans » ou celui de l’appel à l’oiseau dont il nous a donné une superbe version qui lui a valu une ovation méritée.
Notre deuxième coup de cœur sera pour Alice Bénar et ses deux musiciennes qui terminent sur Le chant des cabanes. Invitation à la douceur, à l’errance… Tout comme Archibald nous avons connu dès ses débuts Au creux de l’A. La grâce et la beauté – la fragilité aussi – la recherche sonore exigeante s’invitent en scène. Alice, si bien nommée ce soir dans son jupon de tulle noire et ses ballerines roses, nous délivre ses haïkus des saisons. On ne résiste pas à vous offrir le texte de l’un deux, Eté : « Les vagues s’esclaffent /Le ciel se pâme /Et moi je souris /Car je suis dans un souvenir. » Avec elle on entre Au creux de l’A, « cabane ouverte » qui « laisse entrer les oiseaux », son abri, son refuge, son espace de contemplation. Avec elle, on entend le murmure, ou plutôt le bavardage joyeux des feuilles au printemps. Et bien entendu, pour répondre à ce que nous disions plus haut, il faut écouter cette chanson d’amour, un temps suspendu, celui du coup de foudre au milieu du monde et du bruit, où « les mots se bousculaient sans se dire pardon »… Peut-on rêver plus délicate traduction de l’émotion ? Voyez plutôt quand elle chante « Dans son sourire je me suis allongée… » Il n’est nul besoin d’en dire davantage pour que l’on devine un univers mouvant, émouvant et sensible que ce trio féminin ne cesse de peindre en touches pastel où l’on s’allongerait bien volontiers.