Festival des voix, Mouss & Hakim (© Claude Fèvre)

Fes­ti­val des Voix, Mouss & Hakim (© Claude Fèvre)

25 juin 2016 – Festival des Voix 2016 – Mouss & Hakim
Lève-toi, on y va, autour de Slimane Azem

avec Mus­ta­pha, dit Mouss et Hakim Amo­krane (chant et réci­ta­tif), leurs musi­ciens (accor­déon, man­dole, ban­jo), Serge Lopez (gui­tare fla­men­ca, basse, bat­te­rie, per­cus­sions). Invi­tés : Idir au chant et Lio­nel Sua­rez à l’accordéon.

Hall de Paris – Moissac (Tarn & Garonne)

Le petit poste radio dans la cuisine

Mus­ta­pha Amo­krane, dit Mouss, se sou­vient. « On l’é­cou­tait en boucle dans le lec­teur cas­settes de la voi­ture et dans le petit poste radio de la cui­sine. C’est toute notre enfance. Sou­vent le dimanche matin, notre père allait prendre le café à Mois­sac et il se ren­dait sur la tombe de Sli­mane Azem. À chaque fois qu’il enten­dait un de ses mor­ceaux, il avait une expres­sion par­ti­cu­lière. Lui qui n’ex­pri­mait que très peu de chose, le tra­vailleur immi­gré algé­rien qui ne savait ni lire ni écrire mais qui était pour­tant très mélo­mane, il avait cette émo­tion sur le visage. C’é­tait de la nos­tal­gie, de l’hu­mour, le sou­ve­nir des condi­tions de vie des ouvriers, tous ces sen­ti­ments qui l’ont accom­pa­gné dans sa vie d’exi­lé et qu’on veut trans­mettre à notre tour. »

La Dépêche du Midi

Ce soir à Mois­sac vers 21h nous sommes tous ber­bères, tous habi­tés de cette envie de par­tage. Une véri­table immer­sion dans ces chan­sons et ces danses qui ont ber­cé un peuple en exil, fait pleu­rer les pères déra­ci­nés et dan­ser leurs enfants. C’est chaud comme ces lumières qui habillent le pla­teau, comme la guir­lande de petites lou­piotes qui rap­pelle la fête popu­laire. C’est chaud comme les sou­rires des deux frères, Mouss et Hakim Amo­krane qui dif­fusent une joie à laquelle il est vain de ten­ter de résis­ter. On s’en nour­rit, on s’en abreuve. On frappe dans les mains en cadence. Alors on danse… C’est chaud comme la famille ras­sem­blée autour du poste de radio ou du lec­teur cas­settes de la Peu­geot qui dif­fuse les chan­sons du poète – chan­teur, Sli­mane Azem, aède de l’exil. Il en reste la calandre, d’ailleurs, muée en élé­ment de décor sur le pla­teau, sym­bole du voyage, celui des vacances d’été en Algé­rie… Des bouts de palis­sade aus­si et un cercle où appa­raissent des images noir et blanc du temps de l’émigration de Kaby­lie, du temps des colo­nies puis de la guerre, puis de l’exil. Le tra­vail de for­çat pour la construc­tion de l’avenir de la France. Chan­tons et dan­sons contre l’oubli.

Le spec­tacle de Mouss & Hakim, les deux fran­gins du groupe Zeb­da, tou­jours sou­cieux de trans­mis­sion, dans la conti­nui­té de leur album Ori­gines Contrô­lées, de celui des chan­sons de l’émigration Vingt d’honneur, offrent ce soir une créa­tion au Fes­ti­val de Mois­sac. Car c’est la ville où repose Sli­mane Azem, où vivent encore son frère, sa famille, sa des­cen­dance accueillie en fin de concert. Moment d’émouvant par­tage. Ils s’emparent de son réper­toire qui les a ber­cés, nour­ris, pour rendre hom­mage à leur père, tra­vailleur émi­gré algé­rien, anal­pha­bète et pour­tant amou­reux de musiques et de chants.

Ain­si les chan­sons de Sli­mane Azem s’inscrivent dans une chaîne humaine qui n’aura pas de fin. Par­tout dans le monde d’aujourd’hui, tout autant – peut-être davan­tage – que dans celui d’hier, des hommes et des femmes s’arrachent à leur terre dans l’espérance d’une vie meilleure, par­fois même sim­ple­ment pour échap­per à une mort cer­taine. Cette musique, ces paroles prennent alors une dimen­sion uni­ver­selle quand ils expriment cette déchi­rure, cet exil qui « fait tour­ner la tête » et que par­tagent et par­ta­ge­ront encore des mil­lions d’êtres humains réunis par ce même drame humain.

Le spec­tacle nous donne à entendre, entre les chan­sons, les étapes de la vie de leur père, avec en fili­grane les chan­sons de Sli­mane Azem. On entend le charme envoû­tant du sou­ve­nir de la terre d’enfance, sa beau­té, les his­toires ani­ma­lières, para­boles écrites par le poète, on lève la tête pour regar­der le ciel où la lune joue avec les nuages. On voit l’homme sou­mis aux tâches pénibles, À la pelle, à la pioche – au mar­teau-piqueur aus­si ! – l’époque dou­lou­reuse où l’on cherche un sens, Une époque trom­peuse, l’invitation à par­ta­ger un bon repas… Les dou­leurs indi­cibles aus­si, la perte d’un jeune frère, ren­ver­sé sur sa moby­lette bleue en allant au tra­vail, Bar­rière de Paris, à Tou­louse… et tou­jours, tou­jours cet amour de la terre quit­tée, Algé­rie mon beau pays !

Mouss et Hakim « créo­lisent » à tout va. Ils sont kabyles – les chants de Sli­mane Azem sont leur bande ori­gi­nale – et tout autant occi­tans de Tou­louse. Ils chantent dans tous les tons, mêlent les styles même si la musique ber­bère reste iden­ti­fiable tout le long. Il l’assemble au reg­gae, au rock, à la pol­ka – pour­quoi pas — à la gui­tare fla­men­ca avec la pré­sence à leurs côtés de Serge Lopez… L’accordéon y déroule ses notes joyeuses et nos­tal­giques à la fois. Lio­nel Sua­rez est même venu y mettre sa touche.

Ils veulent une vie d’artistes qui se doit d’accompagner la vie des gens, de croi­ser leurs cultures sans jamais oublier le che­min par­cou­ru par leurs aïeux qui com­bat­tirent pour la France — tout comme cha­cun des nôtres. Culti­ver des chan­sons, en prendre soin, les arro­ser de leur aspi­ra­tion entê­tée à la fra­ter­ni­té et les don­ner en par­tage, comme leurs ancêtres de kaby­lie culti­vèrent les oli­viers et les figuiers. Et puis dan­ser, dan­ser cette volon­té de « tra­duire en chan­son cette émo­tion pure que les dis­cours ne peuvent pas transmettre ».