Christopher Murray, Ton campement dans ma tête - 2017 (© Niko Rodamel)

Chris­to­pher Mur­ray, Ton cam­pe­ment dans ma tête – 2017 (© Niko Rodamel)

25 mai 2017 – Chris­to­pher Mur­ray, Ton cam­pe­ment dans ma tête

Sor­tie de son 5e album

Chris­to­pher Mur­ray (textes et musiques, chant, gui­tares, bou­zou­ki), Fran­çois Gon­net (gui­tares acous­tiques et élec­triques), Fran­çois Fores­tier (basse et contre­basse), Pas­cal Coquard (per­cus­sions, prise de son, réa­li­sa­tion), Tami­ko Kobaya­shi (vio­lon), Mathieu Chas­ta­gnol (vio­lon­celle)
Par­ti­ci­pa­tion pour les paroles de Lalo (5), Gil Cho­vet (7), Jean Anders­son (10) et de Gil Cho­vet pour la musique (5 & 7).


Le dos­sier qui accom­pagne ce nou­vel album est lourd de toute une vie de musi­cien, pia­niste et gui­ta­riste, chan­teur, auteur, com­po­si­teur pour la radio, le théâtre, la vidéo… mais pas seule­ment ! Pas­sion­né par la trans­mis­sion il enseigne, encadre des ate­liers notam­ment à l’intention des sco­laires, des ado­les­cents. Autre­ment dit c’est un vrai col­por­teur de pas­sion pour les mots et les mélodies.

Que peut bien avoir à nous dire ce fai­seur de chan­sons aguer­ri, la cin­quan­taine bien trempée ?

On découvre d’abord un album très soi­gné, très classe. Des pho­to­gra­phies de nature alternent avec des pho­to­gra­phies d’un inté­rieur cos­su, bour­geois. La cou­ver­ture laisse entre­voir par une porte de bois clair lar­ge­ment ouverte Chris­to­pher Mur­ray seul, assis sur un cana­pé, jouant du bou­zou­ki. En fin de livret par cette même porte, on l’aperçoit avec en pre­mier plan, celui qui s’avère être son par­te­naire en scène : Fran­çois Gon­net. En fili­grane une pho­to s’étale sur les deux volets du boî­tier pour faire appa­raître deux gui­tares, folk et acous­tique posées sur un canapé.

On feuillette le livret et découvre le texte des chan­sons qui se lisent comme poé­sie dans un recueil… La langue est belle, élé­gante, ponc­tuée de quelques mots du par­ler popu­laire sté­pha­nois. Il nous sera facile de nous lais­ser prendre à cette poé­sie-là, accom­pa­gnée bien enten­du par les deux gui­tares annon­cées mais aus­si par des cordes, vio­lon et vio­lon­celle, et par des per­cus­sions. Voi­là chan­sons à rêver, à se lais­ser aller à un zeste de mélan­co­lie, au suave, au pai­sible. À la beau­té de l’éphémère.

Car dans cet album tout s’en va, rien ne demeure… comme le flot de nos jours que rien n’arrête.

On retien­dra d’abord la chan­son titrée Les voya­geurs, signée Lalo pour les paroles et Gil Cho­vet pour la musique. Au mitan de l’album elle pour­rait être une méta­phore de nos vies… Un voyage d’« amou­reux fri­voles », train, avion… Des pay­sages fine­ment esquis­sés, comme des estampes : les « pentes céve­noles », la Tos­cane, des îles, des « lagons lan­gou­reux », Athènes, le désert du Texas… Mais un voyage qui peut aus­si « sans cage et sans licol » se vivre dans une chambre à Paris. Car l’essentiel est dans le refrain : Ici ou ailleurs, mais main­te­nant.

Tout est dit.

Pour­tant l’âme est vaga­bonde, errante… Elle cha­vire sou­vent à l’évocation de sou­ve­nirs comme dans le titre Le rire était notre armureLe temps d’une ivresse /​Le temps d’une jeu­nesse… dont par­fois on ne revient pas : « ça râlait, ça gueu­lait /​Pour finir ça cognait »…

Viennent s’échouer des sen­sa­tions, images, par­fums, bruits comme ce « toc-toc à ma porte… Quel ram­dam ! » Un vrai cha­ri­va­ri qui vous arrache au « mari­got » du quo­ti­dien, et qui pour finir se fait la belle… Mais pour sûr, qu’est ce qu’on se sen­tait vivant !

Cet album nous emporte ain­si dans la malle à sou­ve­nirs… Ils s’écrivent à l’imparfait et com­mencent par « En ce temps-là »… Ain­si renaissent sous la plume de jolies dames du temps jadis… Ren­con­trées ou bien rêvées ? Qu’importe ! On aime Les che­veux de Claire, sa che­ve­lure où le regard – pas même le tou­cher enivrant comme dans le poème de Bau­de­laire ! – « [embarque] en radeau » pour retrou­ver des pay­sages, des images du pas­sé… « L’ombre contre la ruine /​Les sen­tiers de l’automne /​La forêt qui fris­sonne… » On aime aus­si cette nou­velle ver­sion d’un p’tit coin de para­pluie dans Bain de pluie, un jour d’orage la ren­contre de deux corps tran­sis… et la dis­pa­ri­tion de la belle incon­nue à la fin qui laisse à jamais flot­ter son sou­ve­nir « au fil du trot­toir ». C’est un peu la même his­toire qui se joue dans la chan­son Éclairs et orages où la nature se déchaîne, com­plice une fois encore – « On eût dit que l’orage /​véri­té ou mirage /​chan­tait avec lui /​On dit même qu’il a ri… » et pousse l’un vers l’autre deux incon­nus dans un « tout petit abri /​Quelques pierres et un lit /​Ser­ré dans les terres /​Toit de lauzes, fou­gères… » Au matin, il n’y avait plus personne !

On aime celle qui a fait son cam­pe­ment, son bivouac dans la tête du poète et qui devra un jour filer… « Lais­sant l’endroit désert /​Livré aux mousses, aux herbes /​Au bois mort sous le lierre… » La sil­houette fémi­nine, libre, inso­lente qui débarque « pour deux ou trois jours ou pour /​Quelques mois… Balan­cer des rires, des bai­sers… » est-elle la même ou une autre ? Bien malin qui le dira… « Elle revien­dra peut-être ou pas /​… S’percher sur tes cimes /​Dor­mir dans tes racines. » (Dans le joli rond de sa bouche).

La der­nière chan­son dont le texte est de Jean Anders­son – auquel Chris­to­pher Mur­ray rend ain­si hom­mage – Haut les cœurs, donne en point d’orgue un sens à ces ren­contres avec la fra­gi­li­té, l’éphémère. Pas d’autre alter­na­tive que de gar­der la cadence…

« Repar­tir à zéro comme on revient au monde /​C’est un bien grand mys­tère cette /​nou­velle enfance…

On a tous des rai­sons de rêver l’impossible… »