Détours de Chant 2019 –  Les Etrangers Familiers–  (©Claude Fèvre)

Détours de Chant 2019 – Les Étran­gers Fami­liers (© Claude Fèvre)

30 jan­vier 2019 – Détours de chant

Opus 18 – Les Étran­gers Fami­liers – 1re par­tie Cla­ra San­chez
Un salut à Georges Brassens 

Avec
Cla­ra San­chez (accor­déon, chant)

Eric Lareine (chant), Loïc Lan­toine (chant), Denis Cha­rolles (« per­cut­te­rie », gra­viers, clai­ron, gui­tare et chant), Julien Eil (flûte tra­ver­sière, cla­ri­nette basse, sax bary­ton), Elo­die Pas­quier (cla­ri­nettes, saxo­phone), Fran­çois Pier­ron ( contre­basse), Claude Del­rieu (accor­déon, gui­tare, chant)


Théâtre des Mazades (Tou­louse)

« Lumière géné­rale et tout le monde en choeur : « Moi mon colon, celle que je pré­fère, c’est la guerre de 14 – 18… » Ova­tion avant, ova­tion pen­dant, ova­tion après, c’est plus qu’un hom­mage à Bras­sens, c’est un salut stratosphérique ».

Fran­cis Mar­mande (Le Monde, 30 jan­vier 2010)

Le dyna­mi­tage amou­reux de Georges Brassens 

Sept musi­ciens – chan­teurs de la Com­pa­gnie des Musiques à Ouïr, menée par Denis Cha­rolles – à lui seul une étran­ge­té, une bizar­re­rie – déferlent sur la scène du Théâtre des Mazades. Ils s’apprêtent à nous mener, tam­bour bat­tant, dans un uni­vers pour­tant bien connu, celui de Georges Bras­sens. Déci­dé­ment on ne fera jamais le tour de ce Gorges, avec la cise­lure de ses textes, son irré­vé­rence et sa ten­dresse, sa musique faus­se­ment évi­dente, ses chan­sons « aux grilles har­mo­niques impos­sibles », dit l’auteur de l’article du Monde.

Mais il faut patien­ter un brin, le temps d’accueillir la minus­cule Cla­ra San­chez et son accor­déon, en avant scène, devant tout le barouf de ceux qui vont suivre. Il faut bien du cou­rage, même si on la sait aguer­rie par ses tour­nées un peu par­tout en France. On la ver­ra timi­de­ment deman­der à la fin « J’ai le droit ? », quand le public l’ovationne pour une nou­velle chanson…C’est pour nous à chaque fois un plai­sir d’entendre cette voix qui peut se faire puis­sante, comme autre­fois, celle des chan­teurs des rues. Quant aux textes ils n’ont rien de mièvre ni de dou­ce­reux, ce que démontre une nou­velle chan­son, Le Pont de ma Ville, série d’images humaines entre inso­lence et mépris, où se remarquent à peine ces « réfu­giés d’ailleurs », oiseaux sans ailes, oubliés sur nos trot­toirs… Remer­cions le fes­ti­val de nous avoir offert cette tendre, sou­riante et forte appa­ri­tion fémi­nine, en ouver­ture de cette soirée.

Quand la for­ma­tion des Etran­gers fami­liers ins­talle l’atmosphère sonore, – les ins­tru­ments se répondent comme cris d’enfants dans une cour de récré – on sait déjà que cette com­pa­gnie « dyna­mite » lit­té­ra­le­ment les réper­toires. C’est un vent furi­bond qui souffle sur la scène quand déboulent Eric Lareine et Loïc Lan­toine chan­tant Il suf­fit de pas­ser le pont. Les ins­tru­ments se déchaînent autour de Denis Cha­rolles qui insuffle sa déme­sure créa­trice. Mais à la suite de cette entrée joyeuse, suit sur un rythme lent, avec la bat­te­rie seule­ment, Les Phi­lis­tins, un poème de Jean Riche­pin. « Mais pour bien vous punir /​Un jour vous voyez venir /​Sur terre /​Des enfants non vou­lus /​Qui deviennent che­ve­lus /​Poètes… » On savoure déjà… 

De jazz en reg­gae, de folk en valse nos oreilles perdent tout repère et c’est une fête où les chan­sons de Bras­sens cara­colent, à peine mas­quées, maquillées de toutes les cou­leurs du car­na­val. Oui, un car­na­val qui ren­verse les codes, met tête bêche ces chan­sons qui sont pour­tant ancrées dans nos mémoires avec la voix, la mous­tache, le pied sur la chaise, la gui­tare de Georges… Comme sta­tu­fiées, pas dis­po­sées à céder la place. Hé bien, ce soir, tout vole en éclats de rire et d’ardeur musicale.

On en reste éba­his et ravis…

Dif­fi­cile de rendre compte de la diver­si­té des inter­pré­ta­tions, tant de trou­vailles nous sont offertes, entre le grand Eric Lareine, félin dan­seur des mots et des sons, et le tour­men­té Loïc Lan­toine, sa défer­lante bon­té, une forme de naï­ve­té et de ten­dresse. Quelques moments incan­des­cents méritent d’être évo­qués : la dimen­sion presque tra­gique don­née aux mots « Le vent qui vient à tra­vers la mon­tagne me ren­dra fou », la dou­ceur de la gui­tare élec­trique accom­pa­gnant la voix de Denis Cha­rolles dans Au bois de mon cœur, les cla­ri­nettes sou­li­gnant le charme des Pas­santes, la danse d’Eric Lareine sur La romance de la pluie, ou son véri­table jeu d’acteur, d’une sen­sua­li­té presque sau­vage, dans La Reli­gieuse, le superbe Saturne par Claude Del­rieu, Les Oiseaux de pas­sage par Loïc Lantoine…

On pour­rait ajou­ter les bonnes sur­prises, comme La Jeanne en espa­gnol, « Gare au gorille » mué en « Gare à la gouaille », les apar­tés en « chti » de Loïc Lan­toine, les plages ins­tru­men­tales, et bien enten­du toute la troupe qui se répand dans la salle allu­mée pour inter­pré­ter La guerre 14 – 18 en plu­sieurs langues, sou­li­gnant ain­si la por­tée humaine du réper­toire de Georges Brassens.

Emprun­tons pour conclure au pro­gramme du fes­ti­val : « Ces sau­vages ont fait sau­ter la banque. » Dont acte.