Guillo –Macadam Animal – 2019 (©L’œil dans la boîte)

Guillo – Maca­dam Ani­mal, 2019 (© L’œil dans la boîte)

3 février 2019 – Nou­vel album de Guillo – Maca­dam Animal

Sor­tie offi­cielle le 8 mars 2019

Avec

Guillaume « Guillo » Galia­na (chant, chœurs, gui­tares addi­tion­nelles) – Paroles et musiques – Sauf Nous aimions la terre, Tout baigne, Ton cœur (musiques de Benoit Cra­bos), Un caillou (texte de Fox Kijan­go), La neige (texte de Georges Galu­naud), Lais­sez-moi entrer écrit lors d’un ate­lier d’écriture.

Benoit Cra­bos (cla­viers, chœurs, accor­déon, pro­gram­ma­tions, arran­ge­ments qua­tuor), Cyril Cra­bos (gui­tares, chœurs, pro­gram­ma­tion), Clé­ment Laborde (bat­te­rie, per­cus­sions), Tho­mas Labarbe (basse), Eve­lyne Ber­lan­court, Juliette Barthe (vio­lons), Damien Bec (alto), Anna­belle Mes­si­na (vio­lon­celle), Audrey Mar­ty, Timo­té Galia­na, Claire Jouan­det, Gas­pard Galia­na (chœurs addi­tion­nels) Gas­pard Galia­na (chant sur Tout baigne)


Nous avions quit­té Guillo avec ce bel ouvrage édi­té chez LamaOE­di­tions au prin­temps 2017, un récit, des his­toires intimes qui ont fait naître ses chan­sons, celles de l’album Sou­lage paru un an avant. Nous avions tant aimé Je ne suis pas un long fleuve tran­quille, ce pas de côté dans la littérature.

Aujourd’hui le voi­là qui s’en est retour­né en stu­dio avec pas moins d’une quin­zaine de par­ti­ci­pants, et des arran­ge­ments à faire pâlir d’envie.

Certes, l’atmosphère pop –rock, les jeux de la voix qui vont de la confi­dence par­lée au chant pro­cla­mé, des refrains qui deviennent très vite fami­liers, en font tou­jours la signa­ture. Notons aus­si que l’on peut très bien ima­gi­ner chaque chan­son inter­pré­tée en acous­tique, avec le seul accom­pa­gne­ment de la gui­tare, tant le texte et la mélo­die ont cette exi­gence de clar­té nécessaire.

Sans doute est-ce là une illus­tra­tion de ce que les mots « chan­son popu­laire » veulent signi­fier. Bien loin de nous l’idée d’une quel­conque condes­cen­dance. Sous notre plume, c’est un com­pli­ment. Le départ de Charles Azna­vour- « Indé­mo­dable » titrait Télé­ra­ma – a don­né l’occasion aux cri­tiques de s’exprimer sur cette chan­son là, celle qui nous attache inti­me­ment, la bande sonore de nos vies.

Et pour autant cette chan­son n’est pas vide, loin de là… ! Et celles du nou­vel album de Guillo, Maca­dam Ani­mal sont loin de l’être.

Le visuel, ces sil­houettes d’hommes et de femmes d’aujourd’hui où se détache celle du chan­teur, ces masques ani­ma­liers qui recouvrent les visages disent assez clai­re­ment le pro­pos, sur­tout si on les rap­proche du titre, Maca­dam Ani­mal. Ces êtres, ces « monstres » au sens que nous indique la mytho­lo­gie la plus recu­lée dans le temps, pour­raient bien être dan­ge­reux, menaçants…

Le lan­gage de la pho­to­gra­phie de Guillo, masque sous le bras, nous signi­fie clai­re­ment que, sous nos dehors affables, inno­cents, cha­cun porte en soi sa part ani­male, sa part de « mons­truo­si­té ». C’est là notre humaine condi­tion. Le recon­naître, c’est se refu­ser à en exclure tout être humain, quels que soient ses actes. C’est pré­ci­sé­ment cette part là, ani­male, cette « fureur » – proche de la folie – et ses dou­lou­reux effets que le nou­vel album de Guillo consi­dère souvent. 

L’album s’ouvre sur l’exil, sur « les mai­sons blanches qui s’éloignent », sur la fureur / un goût de fer et comme un pieu / En plein cœur »… et devant soi « la noir­ceur »… Il se referme sur Le bruit des balles que d’autres à quatre mille kilo­mètres d’ici, ont orches­tré et couvrent de leur musique et de leur danse. L’artiste, le chan­teur, s’inquiète de « la dou­lou­reuse musique des bottes ». Il le chante.

« L’homme est un loup pour l’homme », un dan­ge­reux félin, une « pan­thère » dit la fin de la chan­son Alga­nia qui retrace l’épopée des pion­niers, des­sine le pay­sage ances­tral aux « par­fums chi­mé­riques », là-bas, « entre Tell et Sahel »… Les hommes chassent, pour­chassent d’autres hommes comme ils ont, depuis la nuit des temps, chas­sé les ani­maux. L’irruption superbe de l’arche natu­relle du Pont d’Arc laisse ima­gi­ner ces temps pré­his­to­riques, il y a trente mille ans, et donne envie de plon­ger nu à la ren­contre de ceux qui des­si­naient sur les parois méga­cé­ros, bisons, équi­dés… D’abolir le temps, de se fondre dans cet ocre rouge, ce char­bon, ce fusain… Ces temps sus­pen­dus dans la beau­té sont sin­gu­liè­re­ment émou­vants. On retien­dra La neige avec cette sub­tile ren­contre des sons élec­tro. Juste des impres­sions, nota­tions sur « Saï­da dans la lumière » recou­verte de neige (l’Algérie encore…).Cette ren­contre « d’une autre fille » qui pour­rait tout aus­si bien déchaî­ner jalou­sie et colère mais qui s’achève dans la dou­ceur du « par­fum de ses che­veux dans mon cou ». Ce « para­dis per­du » avec ceux qui l’habitaient, cette mai­son que l’on vend et qui emporte avec elle ce bout de nous, l’enfance… 

Ailleurs Guillo s’attache pas deux fois à dire la mons­truo­si­té des « démons blancs » infli­gée aux indiens d’Amérique et pour cela adopte leur point de vue d’hommes libres, « sans fusils, sans or, sans train ». Puis dans une deuxième chan­son – Lais­sez-moi entrer- c’est la sup­plique d’un seul, qui a lais­sé sa terre der­rière lui et rap­pelle avec sagesse que « nos des­tins sont liés ». Ne devons-nous pas y entendre le cri de tous ces migrants refou­lés à nos frontières ?

Enfin si les musiques, les mélo­dies et leurs refrains nous sont vite fami­liers, nous vou­drions sou­li­gner encore l’originalité de l’écriture de Guillo avec l’exemple de deux chan­sons. D’abord Ton cœur, un texte par­ti­cu­liè­re­ment bou­le­ver­sant qui, en s’adressant à l’auteur d’une tue­rie, rap­pelle notre part d’humanité com­mune, s’interroge sur ce que, peut-être, on aurait pu évi­ter… « Ton cœur… Il aurait pu battre /​Sous un autre jour/​Il aurait pu jouer/​Calme, sur du velours /​Il aurait dû faire /​Des mer­veilles de toi /​Oh mon petit frère /​Loin de tout com­bat. » C’est là une chan­son au mes­sage essen­tiel. Ensuite le titre très doux retra­çant à la pre­mière per­sonne le par­cours d’Un caillou qui, un jour, tombe « dans la main inno­cente d’un tout petit sol­dat », à Gaza… 

Car s’il est un autre fil conduc­teur dans l’écoute de cet album c’est bien la nature, sou­mise elle aus­si à la fureur des hommes. Terre nour­ri­cière des ancêtres, marais hos­tiles d’Algérie dont on fera un sol fer­tile, plaines et rivières que violent les hommes, « man­teau blanc de mous­se­line » de la neige, « ciel mauve sur les Landes » de l’enfance… Nature où l’on puise à l’envi tant d’images pour dire nos luttes, nos souf­frances… Comme cette eau et cette plon­gée, ce chant du cygne de la femme dans Tout baigne, évo­quant l’appel déses­pé­ré du son­net des Fleurs du Mal, De pro­fun­dis cla­ma­vi.  

En somme, ces nou­velles chan­sons de Guillo, si elles ne s’arrachent pas tota­le­ment à la part de confes­sion plus intime – mais tou­jours en touches légères – plongent réso­lu­ment dans les pro­fon­deurs de nos abîmes, nous inter­ro­geant sur notre condi­tion humaine, sur les enjeux d’aujourd’hui en les reliant à notre longue His­toire. Une chan­son, qui sous les dehors sédui­sants de la musique, nous inter­roge, nous inter­pelle et peut même nous déranger…