Alexandre Tharaud –Barbara- 2017 (©Just Jaeckin – Marco Borggreve)

Alexandre Tha­raud –Bar­ba­ra- 2017 (© Just Jae­ckin – Mar­co Borggreve)

17 octobre – Vaille que vivre – Textes et musiques de Barbara

Double album, Alexandre Tha­raud Bar­ba­ra 

Avec

En scène Alexandre Tha­raud (pia­no, pia­no jouet, syn­thé­ti­seur, voix) Juliette Binoche (voix)

CD 1 avec les voix de Domi­nique A, Came­lia Jor­da­na, Juliette, Vanes­sa Para­dis, Jean-Louis Aubert, Tim Dup, Radio Elvis, Béna­bar, Jane Bir­kin, Albin de la Simone, Rokia Trao­ré, Juliette Binoche, Hin­di Zah­ra, Guillaume Gal­lienne, Luz Casal

CD 2 Echo avec Alexandre Tha­raud (pia­no), Michel Por­tal (cla­ri­nette, cla­ri­nette basse), Roland Roma­nel­li (accor­déon) Qua­tuor Modi­glia­ni


Théâtre de l’Archipel – Per­pi­gnan (Pyré­nées Orientales)

L’homme, qui nous appa­raît dans la pénombre embras­sant un pia­no jouet contre son cœur, qui s’assoit sur la grande scène pour en égre­ner quelques notes enfan­tines n’était pas né quand Bar­ba­ra accé­dait déjà au fir­ma­ment de la Chan­son. Cet homme à la sil­houette fine, presque ado­les­cente, nour­rit une pas­sion pour Bar­ba­ra. Comme tant d’autres direz-vous. Seule­ment voi­là, lui n’est peut-être pas tout à fait com­pa­rable à tous ceux qui à l’approche de ce 24 novembre – date anni­ver­saire de la dis­pa­ri­tion de Bar­ba­ra – veulent rendre hom­mage à celle qui nous a fait un grand trou dans le cœur en s’envolant pour un autre pays. C’est un immense pia­niste qui joue dans le monde entier, qui enre­gistre Cou­pe­rin, Cho­pin, Ravel, Satie… et qui, depuis quelques mois, va de pro­jet en pro­jet por­tant haut cet amour qui l’anime. Car, ne vous y trom­pez pas, il s’agit d’amour et d’« un deuil inter­mi­nable ». Pour le dixième anni­ver­saire déjà il avait don­né un concert au Châtelet.

Dans un entre­tien pour le jour­nal l’Huma­ni­té, en avril, il affirme : « Plus on est éloi­gné d’elle par la géné­ra­tion, la culture, la langue, mieux elle se délivre. » Alors vous com­pre­nez pour­quoi sur l’album de chan­sons vous enten­dez une adap­ta­tion en anglais de Dis quand revien­dras-tu /​Say, when will you return par Hin­di Zah­ra, pour­quoi s’y élèvent le grain de voix sin­gu­lier de Rokia Trao­ré, l’accent de Luz Casal… Pour­quoi aus­si au Prin­temps de Bourges il crée le spec­tacle Mes hommes, avec Domi­nique A, Vincent Delerm, Pierre Gué­nard du groupe Radio Elvis, Albin de la Simone, Tim Dup, O (Oli­vier Mar­gue­rit), Vincent Dedienne… Ces hommes que Bar­ba­ra a tant aimés, séduits, auprès de qui elle aimait « la dua­li­té, la com­pli­ci­té, le rire, la quié­tude, la séduc­tion, l’impérieux besoin de recon­qué­rir chaque matin », ce rêve d’une vie à deux qui chaque fois s’échouait contre l’impérieux et tyran­nique amour du pia­no, des théâtres… Qui jamais ne pour­rait résis­ter à [sa] plus belle his­toire d’amour ?

Ce 17 octobre, à Per­pi­gnan, ils seront deux, comme au Fes­ti­val d’Avignon cet été, un homme, une femme à jouer Vaille que vivre. Un spec­tacle, dit Alexandre Tha­raud, né du silence assour­dis­sant de la mort de Bar­ba­ra. On ne sait vrai­ment s’ils sont sur cette scène frère et sœur, réunis dans un amour dif­fé­rent mais tout aus­si pal­pable pour Bar­ba­ra, ou bien s’ils incarnent l’amour, la soif du corps de l’autre qui fai­sait cha­vi­rer la chan­teuse, les regards alan­guis, la main nue qui se pose… Les deux sans doute… C’est un spec­tacle fait de ten­dresse, de dou­ceur, de res­pect infi­ni comme le sou­ligne le plan de lumières… Juliette Binoche caresse les mots, elle rit, elle danse aussi…La grâce faite corps… Quand elle chante on est sans doute moins conquis, hor­mis l’en­tre­lacs textes et Chan­son Hop là. On se demande s’il n’aurait pas été pré­fé­rable qu’elle dise seule­ment le texte, tant ce que nous enten­dons sur les disques nous émeut. Écou­tez, pour vous en convaincre, sa voix escor­tée par le pia­no d’Alexandre Tha­raud et le vio­lon de Renaud Capu­çon disant Vienne sur le CD de chan­sons, ou dans Ô mes théâtres dans le CD Echo… Ensor­cel­le­ment de la voix, charme irré­sis­tible du jeu de Juliette Binoche qui s’accomplit dans l’expression du désir, celui qui se heurte à la soli­tude. Moment d’intensité où elle est seule assise devant le grand pia­no qui se tait et qu’Alexandre Tha­raud lui donne la réplique en fond de scène der­rière un cla­vier. Mais aus­si force, déter­mi­na­tion, dou­leur quand elle va jusqu’au cri pour inter­dire à « l’homme » de tou­cher son pia­no, quand elle avoue l’inceste dans l’effleurement des mots si pudiques des Mémoires, quand elle dit la faim et qu’elle frôle le des­tin des pros­ti­tuées, sans en avoir le cou­rage, quand s’achève le spec­tacle sur les mots de Per­lin­pim­pin et le tumulte du monde qui fait si mal… Et ces quelques lignes de cette auto­bio­gra­phie, hélas inter­rom­pue, qui disent la séré­ni­té, la paix enfin trou­vée dans la mai­son de Pré­cy en avril 1997 : « Il est six heures du matin, j’ai soixante-sept ans, j’adore ma mai­son, je vais bien […] Une si grande paix se dégage de cet endroit qu’il me paraît sou­vent injuste et dou­lou­reux que l’univers ne la par­tage pas ».

Les échos des vingt ans de la dis­pa­ri­tion de Bar­ba­ra vont encore un long moment réson­ner cet automne. Mais dans ce qui par­fois peut nous sem­bler exces­sif – essayons de déjouer les ruses du busi­ness – sachons accueillir les actes d’amour. Celui d’Alexandre Tha­raud, de Juliette Binoche, ne font aucun doute. Tout comme celui de Gérard Depar­dieu et Gérard Daguerre qui bien­tôt reprennent leur spec­tacle au Cirque d’hiver à Paris. Ils ont enre­gis­tré qua­torze chan­sons, à Pré­cy même, où Gérard Depar­dieu a encore sa chambre, sau­vée de la vente aux enchères en juin 2000 des objets, vête­ments, acces­soires cultes de Bar­ba­ra… Gérard Depar­dieu dont Bar­ba­ra dit dans ses Mémoires :

« Nous n’avons jamais per­du le goût ni le désir l’un de l’autre. /​Si la vie devait nous divor­cer, nous aurions tou­jours envie de nous recon­qué­rir ».

Gérard Depar­dieu dit n’avoir pu écou­ter Bar­ba­ra chan­ter pen­dant toutes ces années… Le temps est sans doute venu pour lui aus­si, comme Alexandre Tha­raud le dit dans le livret des albums, le temps de bri­ser « un long silence. Un silence de vingt ans ».