24 mars 2016 – Pause musicale
avec Caroline Vignaux alias Victoria Lud (textes, chant), Nicolas Boude alias Nicov Kalach (composition, guitare électrique, grosse caisse, cymbale), Anne Laure Jouchter alias Mademoiselle Jouchter (clavier, trompette, mélodica, voix)
Salle du Sénéchal (Toulouse)
« La fabrique des diamants noirs
Est un drôle de laboratoire où l’on façonne nos secrets.
A l’arrière de nos pensées,
Cachés au fond de nos tiroirs
Dans les recoins de la mémoire,
Nos diamants noirs sont les secrets
Que l’on ne dévoile jamais…
Mesdames, messieurs êtes vous prêts pour cette étrange traversée, de l’autre côté des miroirs ? »
Aujourd’hui, concert gratuit sur le pouce, en plein midi, l’heure de l’immuable déjeuner. Mais l’association qui préside à La Pause Musicale, rue Rémusat à Toulouse a bel et bien tordu le cou aux habitudes alimentaires. L’amphithéâtre a ses habitués qui arrivent même très à l’avance pour être certains de trouver place. J’en entends dire : « Aujourd’hui, on va se régaler » ! Et cette parole prémonitoire s’avère vite réalité.
On savoure en effet. Caroline, puisque c’est ainsi qu’elle se prénomme, est de ces chanteuses qui ont eu la conviction qu’écrire et chanter c’est offrir avant tout du spectacle ; c’est nous emporter vers un ailleurs pas toujours lisse ni tranquille, mais un ailleurs. On y met les moyens, toutes ses ressources pour offrir au spectateur de vivre par procuration des émotions, des peurs et des rêves aussi. Sa tenue de scène est faite d’une robe très courte dans les tons bruns et noirs où affleurent dentelles et lacets qui dessinent le buste ; ses bottines hautes soulignent les jambes habillées de bas noirs avec des arabesques. Sa chevelure courte ébouriffée lui prête une tête de rockeuse. Dans cette tenue très réussie, au charme indéniable, la présence en scène de Victoria Lud est sans concession. Elle s’empare de la scène comme on entre sur un ring. On n’a pas choisi de s’appeler Victoria sans raison ! Les textes disent à l’envi, la lutte, le combat à mener pour se battre d’abord contre soi-même, pour rester vivants. La voix est belle, puissante, affirmée. Solidement campée dans ses aigus. On ne lâche rien et surtout en amour. Le duo amoureux de Victoria et Nicov est un affrontement sans merci, un jeu dangereux.
Soudain une évidence : elle nous rappelle Norah Krief qui fait des sonnets de Shakespeare un concert résolument rock’n’roll. Victoria Lud a cette énergie, cette présence féminine qui ne s’en laisse pas conter.
On entre sans mal dans ce monde que le trio propose. Un monde d’abord musical, avec clavier et guitare électrique, tous deux très énergiques, parfois rejoints par des coups de cymbales, des frappes assénées à des grosses caisses – Victoria paraît alors se venger de l’on ne sait quelle souffrance intérieure tant elle frappe fort ! Un moyen pour résoudre ses pertes d’équilibre, cette sensation d’être parfois « en tête à tête avec le vide », « au bord d’une falaise » ? Les deux musiciens sont partenaires et complices jusque dans le costume. L’effet en est d’autant plus pertinent qu’il n’y a pas ici de jeux de lumières pour dessiner des atmosphères… On se projette assez vite dans une fantasmagorie romantique, au goût du jour… gilet noir, chemise blanche au col relevé avec lavallière de dandy pour Nicov.
Comme si notre monde infernal nous invitait encore davantage à nous laisser prendre au filet de l’illusion scénique, à la Fabrique de diamants noirs, à la puissance du rêve… s’imaginer « une île au cœur du Pacifique, un rocher désertique » qui sentirait soudain « la neige sur [son] corps »…
Un besoin. Une nécessité.
Comme au temps du théâtre brechtien auquel Victoria Lud rend hommage dans une chanson bilingue assez mystérieuse (Fräulein).
Elle chante pour rester debout… et nous aide à le rester « Jusqu’à l’heure de l’heure dernière /Pour chanter encore haut et fort /Que l’on est plus vivant que mort /Que l’on est plus vivant que mort… »
Sortie le 4 juin 2016 : Mon cœur EP 6 titres