29 janvier 2016 – Rencontre avec Corentin Grellier (Camu)
Salle des fêtes de Launaguet (Haute-Garonne)
Ce troisième soir, Détours de Chant n’offre pas moins de sept rendez-vous. Nouveau défi de cette 15e édition : étendre son action de découvertes à l’agglomération. Ce concert est une première à Launaguet dans sa salle des fêtes qui accueille le trio Camu. Une cinquantaine de spectateurs a répondu à l’invitation du festival en partenariat avec la municipalité. C’est peu dans une salle beaucoup trop grande pour un répertoire intimiste mais c’est très encourageant aussi quand on connaît le combat à mener pour convaincre le public d’oser la découverte. Quant au trio, Corentin Grellier à la guitare et au chant, Fabien Valle à l’accordéon et Youcef Ghazzal à la contrebasse, il convainc ce soir encore, comme nous l’avons récemment écrit : Aux premiers mots du concert – simplement dits et c’est si bien ! – on se laisse emporter, on ouvre avec lui son livre d’images et l’on poursuit le voyage, en barque sur ses mots ailés, « encore, encore, le bleu du ciel ».
Quand la salle s’est vidée de ses spectateurs, quand les techniciens en ont fini avec leur ballet final, Corentin Grellier veut bien nous accorder un moment pour répondre à notre étonnement. Comment en est-il arrivé là ? Tout juste 25 ans et déjà à l’affiche du festival, au quatrième hiver seulement de son séjour toulousain ? L’aventure est suffisamment belle pour être racontée.
Comme un conte de fées
Alors qu’il est en formation musicale dans une école à Salon de Provence, il part sur une conviction, une intuition, allez savoir : c’est à Toulouse qu’il faut aller ! L’aventure est en route mais lui-même n’en sait rien.
Elle commence dans la rue, près du Capitole, à faire la manche avec un plus jeune que lui à la guitare. Il chante Brassens et quelques-unes de ses chansons aussi. Passe dans la rue – Rue du Taur exactement – Michèle Rivayrol, présidente du festival Détours de Chant. Elle l’écoute, s’étonne et lui parle de lieux Chanson… Corentin ne sait rien des circuits toulousains. C’est aussi simple que ce qu’il raconte.
Laissons là un instant Corentin pour donner la parole à celui qui accompagne le développement du trio et qui n’est autre que le directeur engagé, ô combien, du café associatif Chez ta Mère : « Après 5 premières parties en solo Chez ta Mère, il y a eu une longue résidence en trio suivie d’une superbe première au Café Plum de Lautrec. Puis une première toulousaine du trio qui ne s’appelait pas encore Camu, Chez ta Mère, 6 mois avant le fameux Osons ! »
Le voici donc à l’audition mensuelle du Bijou « Osons ». Michèle Rivayrol, bonne fée, appelle alors ses amis programmateurs à la rescousse. Le voilà programmé aux « Coups de pousses » du 14e Détours de Chant avec Youcef à la contrebasse et Fabien à l’accordéon. La formule dont il rêvait ! La scène, c’est « flippant » mais qu’est ce que c’est bon d’aller offrir ses chansons.
Bien entendu, Corentin insiste : « On s’applique beaucoup » ! Pour nous qui l’avons entendu une première fois dans trois chansons, seul avec sa guitare, c’est une évidence. De l’acharnement au travail, il leur en a fallu pour en arriver là ! Il avoue qu’il doit beaucoup à Youcef, le contrebassiste, qui le pousse à l’exigence.
Du Reggae à la Chanson
Son lien avec la musique et le chant, c’est d’abord avec le reggae, un groupe de huit où il écrit en anglais, du mauvais anglais qu’il fait corriger par son professeur. À 13 ans il était tombé en amour pour Bob Marley et son album Legend avec la conviction que c’était ce qu’il ferait de sa vie : parler aux autres, avec ses textes, en chantant. Le texte en français arrive plus tard, avec des textes simplistes, dit-il, « un soupçon démagogiques » avant que Brassens, puis Brel n’arrivent par accident – ou presque – à ses oreilles. Il a 18 ans et c’est un choc frontal qui le pousse définitivement vers la Chanson.
La passion des mots
Mais si Corentin Grellier chante c’est surtout parce qu’il a une passion dévorante pour les mots, et d’abord pour la lecture. Il dévore tout depuis la petite enfance. Le Club des cinq, qui le rassure quand son enfance est chahutée comme tant d’autres enfances comme la sienne, par la séparation de ses parents. Puis Harry Potter. C’est le temps de la lecture en cachette, jusqu’à plus soif, tard dans la nuit. Et enfin vient Mon bel Oranger, l’histoire de Zézé le petit brésilien. Avec lui, avec d’autres livres, Corentin s’embarque dans un monde plus vrai que la vraie vie, où les personnages sont ses potes. Voilà, tout est dit. Et s’il devait un jour tout quitter, partir sur une île déserte il emporterait des livres et un carnet pour écrire… peut-être pas seulement des chansons ? Il se réfère alors à Brel pour dire que la littérature, ce n’est pas comparable. « Écrire Le Maître et Marguerite, être Boulgakov… c’est autre chose ».
Alors, on se met à parler des contraintes de l’écriture. Est-ce vraiment plus facile d’écrire une chanson ? Ce n’est pas ce que dit Yves Simon, auteur compositeur de chansons et écrivain. Il ne le connaît pas. Nous l’invitons à le découvrir.
Comment lui viennent-elles ses chansons ? Des mots en écho (« indécence – incandescence »… que faire avec ces sonorités-là ?), une phrase qui titille, qui agace, un souvenir de môme, la passion d’un père pour la navigation, une rencontre furtive, comme celle de la jeune fille au violon qui marche tête baissée dans la rue. Il imagine alors qu’elle se joue un concerto dans sa tête… et ça donne une chanson ! Mais plus encore un amour. Un amour fichu, toujours le même qui tambourine mais qui lui vaut des textes superbes. Ce qu’il ne sait pas, ne peut pas dire, il l’écrit… L’écriture libératrice. Quand on lui souligne qu’il possède un art particulièrement subtil et savoureux pour parler du féminin il vous sourit et avoue qu’il n’en est pas vraiment conscient.
Voilà, c’est l’histoire d’un garçon sur la route de la chanson. Si vous le croisez, ne le laissez surtout pas passer sans l’avoir écouté chanter, dire un texte. Arrêtez-vous un instant. Son sourire comme ses chansons sont une invitation à aimer la vie.
« Je songeai que les chansons portaient des charges affectives qui nous attachent à elles pour toujours, plus qu’un roman, plus qu’un film, en une poignée de secondes elles se dévident à nos mémoires. Elles restituent à l’instant des morceaux de temps dont on fut un jour le prisonnier, le héros, pour nous faire voyager dans les couloirs de nos vies et reproduire la photographie sentimentale de qui on était, où et avec qui on se trouvait, à un moment donné de notre histoire. »
- Quelques liens -
Le site de Camu, c’est ici ; celui du festival Détours de Chant, c’est là.
Mes autres articles sur Camu sont ici, et mes chroniques sur les concerts et éditions de Détours de chant sont là !