7e LA CHANSON à cueillir, 2018 – Jofroi (© Claude Fèvre)
18 mars 2018 – 7e La CHANSON à cueillir
Concert de Jofroi
Avec
Jofroi (guitare, voix)
Domaine Articole – Cadalen (Tarn)
Je n’ai de carte identitaire que citoyen
Que citoyen de l’univers,
Et s’il faut être de quelque part, ça m’indiffère,
Mais je choisis ce coin de terre !
Ces entrelacs de murs de pierre, ce cul de sac
Où j’ai hier posé mon sac…
Cabiac sur terre… Jofroi – Quatrième de couverture de l’intégrale des textes de Jofroi de 1970 à 2013 (Editions du Soleil, 2013)
S’il est une terre, un lieu, une grange, un abri pour le spectacle vivant qui pouvait accueillir les mots et les chansons de Jofroi, c’est bien la ferme Articole de Cadalen (Tarn). C’est une fin d’après-midi où les mots ultimes de Barbara, ses mots écrits avant son grand envol, ont tracé leurs arabesques, peint ses tableaux de chagrin, d’amour, et d’espérance. Entre ombres et lumières. Des chansons de Barbara interprétées par des accueillants de Chantons sous les Toits, par un chœur d’enfants, ont prolongé dans l’élégance et l’authenticité la lecture des Mémoires.
Jofroi, ce terrien aux quarante ans de chansons, ce grand cœur habité de rêves et de révoltes, peut venir poser ses pieds nus.
L’homme qui s’installe devant nous avec sa guitare a quelque chose dans la silhouette d’un Jean-Pierre Chabrol, d’un Bernard Dimey… La barbe, les cheveux, la profondeur du regard, la douceur du sourire… Sa voix de conteur, grave et cadencée, appelle inévitablement à le suivre. Il ponctue son concert de récits, parfois rimés, de jonglages avec les mots, avec les images… On voyage avec lui, dans le temps, dans l’espace. On imagine, on rêve aussi.
Il nous arrive parfois de regretter que la chanson s’attarde bien trop dans les sphères intimes, qu’elle s’y complaise sans fin, comme s’il n’était plus possible de lever le regard vers le monde autour. Rien de cet égocentrisme chez Jofroi. S’il aborde l’amour c’est avec pudeur, pour chanter qu’il est difficile à dire… « Regarde nous, regarde toi /Ton corps est doux comme la cire /C’t’entre les lignes qu’il faut lire /Le reste je ne le dis pas… »
L’amour se chante pourtant car il ne peut se taire… Alors il se glisse dans tous les interstices du regard posé par l’artiste, sur le jour, le ciel, la terre, les gens. Et vous devinez qu’il est grand cet amour, qu’il est partout.
Il est dans le souvenir laissé par Marcel Ancelot, facteur de son état « Barbu, fleuri, majestueux /Comme un indien sur son cheval /Milan royal », par Albert et Thomas, et leur leçon pour affuter la faux, la battre, l’amincir, la faire siffler, chanter… Par la petite maman et sa recette de pâte à gaufre. Cet amour il se chante aussi quand l’enfant petit questionne sans fin juste avant de dormir, quand cet enfant bien plus tard s’en va, sans avoir « lu tout’le mode d’emploi … Elle s’en va /Elle s’en va, elle prend le large /Elle a tant de chaines à briser /Elle est la liberté en marche /Reste juste à l’apprivoiser ».
Cet amour il éclabousse quand il s’agit d’embrasser l’humanité, « J’me désespère point /Mais j’me fais d’la bile /Bonjour les humains… » Quand il s’agit d’exprimer ses doutes, ses angoisses devant le monde et sa technologie qui s’affole, laissant désemparée « La petite dame et son cabas /Est tout’perdue, elle comprend pas /Elle voudrait juste qu’on lui parle… » Quand on ne sait pas « où vont les êtres humains qu’on reconduit aux frontières ».
Mais dans les chansons de Jofroi l’amour se vit aussi et souvent dans l’évocation de la nature, de la terre, celle originelle de Champs la rivière comme celle qui l’adopta en Gard du Nord (sic !), Cabiac sur terre. Cet amour là affleure partout. Mais jamais il n’est exprimé avec plus de force qu’avec cette lettre du grand chef indien Seattle dont Greenpeace fit une affiche. « Ni le souffle du vent, ni le chant des rivières /Ne sont colliers à vendre ou à jeter. »
Enfin on ne saurait oublier l’amour pour les mots, la poésie… « Elle est la pluie sur le bitume /Qui se fout des vamps et des stars /Elle est l’oiseau plongeant sa plume /Au fond d’un verre au coin d’un bar ». Avec la poésie, allant de pair, l’amour pour l’imaginaire, l’irréel, le rêve, « Aller contre vents et marées /Aller debout, aller sans trêve /Et au risque de s’égarer /Aller jusqu’au bout de nos rêves »… Comme dans ce conte, cette fable de « l’homme qui voulait peindre la mer » et cette quête insensée, sans fin, de la lumière et des couleurs… En point d’orgue, l’amour pour la scène… Bien sûr, c’est là que Jofroi joue sa vie, sa peau, Côté cour et côté jardin – superbe texte hommage au spectacle vivant – avec la « marie-tzigane qui n’est pas un bateau… Et pourtant elle m’emmène /Bien plus loin que l’oiseau /Bien plus haut que le chêne… »