Fédéchanson – vœux 2022(©Fédéchanson)
Du 27 au 29 janvier 2022 – Journal de bord du 21ème Festival Détours de Chant
Mes Détours de Chant, 2ème chapitre
Et que ne durent que les moments doux
Avec,
Le petit Georges, Boule (chansons, narration, guitare, accordéon, bandjo, chant) & Richard Destandau (Théâtre d’ombres)
Julia Pertuy (piano, violoncelle et voix) & Florian Soulier (guitare, machines)
Marjolaine Piémont (paroles et musiques, chant) & Quentin Bécognée (guitare)
Louise O’Sman (Paroles et musiques, accordéon, chant)
Centre culturel Henri Desbals, Le Bijou, Théâtre du Grand Rond (Toulouse), La grande Famille (Pinsaguel – 31)
Et que ne durent que les moments doux (Osez Joséphine, Jean Fauque/Alain Bashung)
Aux dernières heures de janvier, cette formule de vœux de la Fédéchanson à laquelle appartient le festival Détours de Chant m’a paru d’une urgence absolue… Alors, voilà, c’est pour vous, ces vœux des acteurs et actrices de la chanson francophone. Comme moi, sans doute, y ajouterez-vous, au lointain, la voix d’Alain Bashung…
Voici donc quelques moments doux vécus pendant ces trois derniers jours.
3ème jour – 14h30 Suivez –moi, je vous emmène à l’Université Toulouse Jean Jaurès, collée au quartier du Mirail. Il fait encore un superbe soleil sur ce décor qui soudainement me ramène au campus de Talence, éloigné de tout en 1969… Ce qui me valut d’assister à un concert gratuit de Barbara, venue soutenir le mouvement étudiant réclamant des mesures pour avoir une vie culturelle après les cours… J’observe, admirative, le lieu qui accueille le festival aujourd’hui, le CIAM (Centre d’Initiatives Artistiques du Mirail) et La Fabrique, toutes les vibrations, toutes les recherches pionnières qu’elle accueille.
Aujourd’hui, pourtant c’e,st avec notre patrimoine et avec l’enfance que nous avons rendez vous. » Le petit Georges » n’est autre que celui que l’on honore partout et sous mille formes. Cédrik Boule en retrace l’enfance, les jeunes années, jusqu’aux premiers succès. Installé dans un rond de lumière avec, autour de lui, ses instruments (accordéon, guitare, banjo) il raconte simplement – j’ajouterais tendrement – l’histoire d’un petit bonhomme né à Sète, d’une maman d’origine italienne, Elvira, et d’un papa maçon, Jean-Louis. Rien ne le prédestinait à devenir le chanteur exceptionnel qu’il fut. Destiné au jeune public, le spectacle délivre ce message essentiel : croyez en vos rêves !
Qu’il est bon de suivre ce récit ponctué des évènements de la « grande » et terrible Histoire du XXème siècle, mais surtout de rappels d’un quotidien aujourd’hui disparu, du dénuement, de la pauvreté et pourtant de la joie de vivre et de chanter ! C’est aussi une immersion dans les émotions, les rêves d’un jeune homme qui se laisse gagner peu à peu par l’amour des mots et de la poésie et peut-être plus encore, c’est une leçon magnifique de solidarité. Georges est devenu notre Brassens national grâce à ses parents, grâce à sa tante Antoinette qui l’accueille à Paris, grâce au couple de Jeanne et Marcel, son refuge, Impasse Florimond dans le 14è, grâce à Pierre qu’il rencontre en Allemagne, au S.T.O, et qui deviendra son secrétaire pour toute la vie, grâce à Puppchen, son amoureuse… Et bien sûr grâce à quelques anges gardiens de la Chanson, Patachou, Jacques Canetti… Je savoure le délicieux et remarquable travail d’illustration en images sur un écran où défile un théâtre d’ombres animé en direct, ponctué de chansons de Boule, créées tout exprès, et qui se sont achevées avec les voix des enfants dans le public entonnant L” Auvergnat… J’en pleure, tant c’est beau et doux…
21h30 – Ce soir au Bijou, j’imagine avoir rendez-vous avec un moment doux. Du moins c’est le souvenir que me laisse cette toute jeune chanteuse Julia Pertuy, brillante musicienne, s’accompagnant au piano et au violoncelle et révélée par le Prix d’Écriture Claude Nougaro. Depuis, labellisée par le Réseau Chanson Occitanie, elle caracole en tête de tremplins et concours… C’est dire si l’attente est forte.
Ceux qui me connaissent un peu savent que mon parcours de trente années dans l’animation d’ateliers théâtre me donne à voir un concert comme un spectacle total… Alors je note d’emblée la tenue choisie (une combinaison et chaussures parfaitement assorties) et la gestuelle, les déplacements de cette jeune et jolie chanteuse. C’est sûr, elle a travaillé sa présence scénique et s’est sans doute inspirée d’autres jeunes et célèbres chanteuses d’aujourd’hui. Je pense à Suzane, à Christine and the Queens… Elle donne envie de la photographier, il n’y a pas à dire… Entre clavier et violoncelle, elle déroule une authentique dramaturgie aux côtés du guitariste et faiseur de sons électroniques, Florian Soulier, que l’on voit aussi accompagner Lombre. Car là est d’abord ma surprise : l’apport des sons électroniques… Soit.
Et me voici désappointée. Oui, je l’avoue, mais pas en raison de l’électro ! Non, je suis triste d’être confrontée uniquement à l’expression de la douleur, de la désespérance, de la lutte… Mes photos en gardent trace : le visage est figé dans des expressions de tragédienne. Bien sûr, le jeune public dans la salle aime beaucoup… Du coup, je me sens renvoyée à ma vieillesse. Un mal de vivre habite chaque chanson, ce que disent aussi les instruments… Je me souviens « Les chants désespérés sont les chants les plus beaux ». Mais ce soir, je me sens prête à contester Alfred de Musset que j’ai tant aimé adolescente. Inspirée par Goethe, je me sentirais prête à titrer ce concert « Les souffrances de la jeune Julia »… Mal d’une génération ? Peut-être. Mais j’aurais tant aimé voir s’immiscer l’espérance, un brin de légèreté qu’elle n’affiche qu’entre les chansons. Elle conclut en rappel avec un aveu dédié à sa mère… Le texte dit « maman »… Comment ne pas être touchée ? Son « coming out »… ? Me voilà prise au piège : chanson autobiographique ou fiction ?
4ème jour au théâtre du Grand Rond à l’heure de l’apéro… Vous savez bien, toulousains, ces apéro- concerts de 19 h avec, à la clef, des tirelires où l’on met sa participation libre… Et ce, pendant cinq soirs d’affilé.… Excellent endroit pour roder un spectacle, se faire la main, tester des nouveautés… Sauf que ce soir pour Marjolaine Piémont c’est plutôt la fin d’un spectacle avant que n’apparaisse un nouvel album. Et si vous l’avez manquée, c’est vraiment dommage !
Revenons à ce que je disais du spectacle total. Avec Marjolaine Piémont, aucune ambigüité ! Dès qu’elle entre en scène grimpée sur ses talons aiguilles vertigineux, elle nous la joue femme fatale, grande gigue dans sa combinaison short qui met en valeur ses jambes à nous faire toutes pâlir d’envie… Bien entendu, il ne nous échappe pas qu’elle nous fait des chorégraphies un tantinet parodiques… Une sacrée panthère, pas vraiment rose, mais panthère quand même, doublée d’un flamant – rose cette fois – quand elle est sur une jambe… Enfin, vous voyez ? Les textes de ses chansons ne font aucun cadeau à nos relations hétérosexuelles… Mais ils se font tendres, émouvants aussi quand il s’agit d’évoquer l’enfance, l’arrivée d’une petite sœur dont on se serait passé, ou bien la vieillesse et son compagnon Alzheimer… Avec ce corps et cette allure, elle dénonce sur le mode humoristique, les diktats imposés aux femmes, qui, hélas, le plus souvent ne bronchent pas. En toile de fond de ce concert, se joue un autre jeu, avec l’homme qui l’accompagne à la guitare. Il se fait mutique, plutôt malmené par cette hystérique jusqu’à ce que, tout à coup, il se lâche, il cesse d’être dans l’ombre… Et là c’est irrésistible, comme le sera la scène finale totalement improvisée dans le public… Marjolaine chante, « Oui, c’est merveilleux de serrer la main des messieurs ». Respectant les gestes barrières, elle mime, envoie des baisers en imaginant qu’elle mène un orchestre. Soudain elle aperçoit un photographe, tête baissée sur son objectif dont elle fait le flûtiste de son orchestre imaginaire… Elle l’interpelle à plusieurs reprises, élève la voix, à la grande joie du public complice… Lui, reste concentré sur son appareil photographique, ne l’entend pas hurler à son adresse, et soudain se lève pour sortir. On vient d’assister à une vraie scène de comédie ; un régal que seul peut nous offrir le spectacle vivant !
5ème jour 20h30, changement de décor. Les journées sont grises, les matins brumeux. Adieu le soleil occitan. Alors retrouver un lieu chaud de concert, des amis, prend une importance toute particulière.
Je me rends dans un lieu que j’aime, en périphérie de Toulouse, le café culturel La Grande Famille, si bien nommé. Je consomme la bonne soupe préparée par le patron, une tranche de tarte aux pommes, arrosée d’un verre de vin blanc. Quand vient l’heure du concert, on passe simplement dans la salle d’à côté où nous attend ce soir Louise O’Sman. La lumière est chaudement tamisée, elle délimite un espace protégé, cet espace sacré du jeu où peuvent s’exprimer toutes les émotions. Louise s’empare de son accordéon, longuement… Sa voix s’élève pour nous inviter au voyage … « Une ville qui n’a de crédit que votre imagination… Un pays sans nom qui n’appartient à personne… Contre son flanc, le temps s’est allongé… » Oui, je confirme, le temps s’allonge et c’est très doux… Les chansons de Louise O’Sman dessine des paysages où participent la mer et le vent. Souvent les mots se pressent à mon oreille, j’en perds le fil et me laisse porter. L’accordéon est bien plus qu’un accompagnement sonore, c’est un personnage auquel Louise sourit tendrement quand elle achève une chanson. Les plages instrumentales s’étalent et c’est bon. Quelques moments me resteront en mémoire quand je m’en irai : l’image de l’homme loin de son pays, assis sur un banc « à l’ombre des grimoires, tu attends la pluie », la chanson interprétée avec le seul accompagnement d’un tambour shamanique posé sur le cœur, près de l’oreille… « Il y a longtemps ma sœur qu’il faut que tu reviennes de ces peines… », celle qu’elle dédie à sa mère, joliment nommée L’ombrelle, et enfin, Le café du canal, la chanson de Pierre Perret interprétée en finale du tremplin A nos Chansons. Des moments doux, très doux auxquels cette petite scène intimiste offre le décor propice à l’évasion, au voyage immobile dans des terres inconnues.
Et que ne durent que les moments doux…