Partout les cœurs – Détours de Chant – 2022 (©Juliette Tourret)
Du 30 janvier au 04 Février 2022 – Journal de bord du 21ème Festival Détours de Chant
Mes Détours de Chant, 3ème chapitre
« Partout les cœurs sur la scène… »
Avec
Matéo Langlois (piano, Rhodes, beat-box, saxophone, chant) Martin Jaussan (basse) Pablo Echarri (batterie)
Je suis comme ça, conte musical, Cyril Catarsi (instruments, chant) & Gabrielle Lopes Benites (lecture, chant)
Marine Bercot (clavier, voix) Pierre Durand (guitare électrique, beatbox, voix)
Michel Respaloin et Sonore Equestre, Olivier Nebout (piano) & Michel Steiner (chant)
Médiathèque José Cabanis, Centre culturel Alban Minville, Salle du Sénéchal, La Pause Musicale, Le Bijou (Toulouse)
Partout les cœurs
Sur la scène et sur mes murs […]
Je dépense tout ce qu’il faut
Pour les cœurs qui tiennent
Pour les cœurs sur la scène
Pour un e dans l’o
La tête la première
Je plonge (Partout les cœurs, Marine Bercot)
Au 6ème jour du festival Détours de Chant, c’est incontestable, je reçois une véritable décharge électrique dans cette prestigieuse médiathèque José Cabanis de Toulouse où les livres vous tombent du ciel.. Si, si… Et je plonge, tête la première, dans les mots et les sons du concert de Matéo Langlois que je découvre en trio. Il y a du cœur partout, en scène et dans la salle. L’auditorium est plein à craquer d’un public de tous les âges. Le concert est gratuit et c’est une aubaine pour tous.
Je me demandais qui pouvait bien accompagner cet artiste prêt à toutes les fantaisies, toujours sur la crête de ses émotions. Qui pouvait bien le suivre ? Disons d’emblée que Martin Jaussan à la basse et Pablo Echarri à la batterie semblent bien avoir plongé eux aussi dans son abondance d’émotions, lui offrant la possibilité d’entraîner un large public à vibrer, chanter, danser…
Franchement, je me suis demandé comment j’avais pu rester assise sur mon fauteuil… Décidément cet artiste ferait perdre toute décence… Quel bonheur de se sentir ainsi emportée ! Je n’étais pas la seule, croyez-moi. Dès le premier titre, nous sommes invités à « partir… Loin, là-bas ». Et je crois bien que je l’ai suivi, même lorsqu’il tente de chanter et de jouer de son saxophone en même temps ! Même quand il invite à proposer un mot et qu’il se lance dans une improvisation funambulesque sur le mot « raclette » ! Il interpelle la liberté que l’on s’accorde quand on aime, « Où vont tes regards, tes regards, tes regards ? Quand ils ne me regardent pas… ». Résident éphémère du système solaire il doute – peut-être n’est-ce qu’un rêve ? – il voudrait trouver la clef, pouvoir toucher les cœurs sans jamais les blesser, caché derrière les faux semblants de la scène, les décibels, il s’accroche à quelques lueurs « Petite clarté de passage allumée / Petit éclat de beauté à saisir »… En permanence prêt à bondir derrière ses claviers, il se tient sur la pointe des pieds et quand il chante « Je ne peux pas faire autrement /Je ne marche pas /Je danse… » nous savons bien que ce n’est pas une posture. On l’a vu souvent danser ses émotions… « Personne ne sait qu’est-ce qui fait qu’on danse » s’étonne –t‑il en nous dessinant l’étrange ballet du vol des flamands roses… Alors, voilà, en quittant ce lieu, ce moment, en regagnant la grisaille, une bouche de métro, je me sens encore l’envie de danser…
Au lendemain, au matin du 7ème jour, c’est dans le quartier du Mirail que je me rends. Juste le temps de plonger dans les souvenirs d’une vie d’avant où j’attendais un troisième enfant, où j’œuvrais pour la vie culturelle de ce quartier… Le centre Alban Minville accueille ce matin, comme il l’a fait déjà la veille, les tout petits. Car le festival Détours de Chant ne les oublie pas. Hier, Mathieu Barbances, présentait, en même temps que le concert de Matéo Langlois, en périphérie de Toulouse, son spectacle magnifique Né quelque part qui embrasse la douloureuse question de l’exil. Ici, Cy & Ju un musicien et une conteuse – chanteuse proposent un voyage projeté sur grand écran, celui d’un pantin de bois, pas comme les autres avec sa cicatrice qu’il cherche à cacher, et se met en tête de voir la mer. Ce joli travail d’images, de création de sons, de chansons emmènent les jeunes spectateurs – qui n’ont pas bronché une seconde ! – dans ce périple : Paris, la nuit, la forêt, la rencontre de la petite poupée privée de la vue … Enfin, l’aboutissement du rêve : derrière la dune, l’océan… Je suis comme ça, un appel au rêve, au courage, à l’amitié, surtout à la confiance en soi. Croyez-moi, il y avait du cœur ce matin, partout… dans cette histoire, sur la scène, sur l’écran, dans le public, chez ces tout-petits et leurs accompagnateurs, accompagnatrices de l’école Camille Claudel d’à côté.
Comme vous le savez, je ne saurais attendre trop longtemps avant de retourner au Bijou. Au soir du 8ème jour, c’est ici que je viens découvrir Marine Bercot avec Pierre Durand à la guitare électrique. C’est à cette artiste repérée au Printival de Pézenas en 2019, à l’occasion du coup de cœur de l’Académie Charles Cros qui lui était adressé, que j’ai emprunté les vers en préambule, et le titre de cette chronique : Partout les cœurs. Vous l’aurez deviné, je suis tombée sous le charme de ce duo, de cette chanteuse qui est en scène comme elle le serait dans mon salon ou au zinc d’un café. Je me suis laissé ravir – au sens d’emporter, transporter – par la présence de Marine, sa gestuelle, sa façon de vivre la musique, de s’y abandonner… et par son sourire aussi… par le jeu du guitariste qui nous offre de longues plages instrumentales enveloppantes. Ce duo m’a donné à percevoir à nouveau cet espace magique qu’est la scène. Un lieu de rupture avec l’ordinaire des jours. J’y entends, j’y revois pourtant des sensations familières, et c’est là ce paradoxe, ce miracle du spectacle vivant. Avec Marine Bercot j’ai revu les repas de famille du dimanche, la ville qu’elle aime tout comme moi, l’état de solitude qui prédispose à la rencontre, la montée de notre désir de femme qu’elle ose enfin dire, des souvenirs d’enfance, les rencontres artistiques qui sèment le trouble comme celles de l’américaine Ani DiFranco, les voix qui rassurent… Tout comme Mateo Langlois, c’est par le corps que les mots de cette chanteuse, diseuse, jaillissent et cette présence là, aucun enregistrement ne pourra jamais la restituer.
Au 10ème jour, j’ai rendez-vous avec une tranche de rire, de décontraction à La Pause musicale, le rendez-vous éclectique – toutes expressions musicales confondues – bien connu des toulousains, concocté par Joël Saurin, infatigable programmateur. Il est midi trente et le public a répondu présent malgré ce méchant virus qui s’est insinué partout dans la ville, bousculant public et artistes programmés…
Olivier Nebout /Sonore Equestre est au piano, assis sur un gros ballon, travesti en diva dans une robe de satin blanc et Michel Steiner /Michel Respaloin, arbore une veste verte assortie à une chemise rouge, sans vous parler des chaussures dorées… Vous l’aurez compris, le duo dans le pur style cabaret burlesque, s’annonce totalement déjanté. Dans les premières minutes je m’interroge sur ce que je suis venue voir… Mais très vite ces deux là m’embarquent dans leur folie créatrice mêlant habilement des goguettes – c’est-à-dire leurs propres textes sur des airs connus – à des extraits de chansons du patrimoine. C’est absolument vertigineux, très vite je cesse de chercher à repérer toutes les citations. Mais très vite aussi je comprends que le propos n’est pas seulement de nous divertir – sur ce point, disons-le, c’est gagné ! – Le programme annonce : « ça parle de notre monde, ça le chante et l’enchante à moins que ce ne soit le contraire. » On ne saurait mieux dire. Michel Steiner capable de se lancer dans toutes les imitations, de Sarkozy à Pasqua, de Michèle Simon à Bourvil, de Renaud à Johnny, avec une prédilection pour Michel Jonasz, s’attaque à quantité de thèmes brulants d’aujourd’hui, en finissant par une savoureuse parodie d’un curé prêchant en période d’épidémie … « Le monde entier est un virus… aïe, aïe, aïe, ouille ! » Olivier Nebout, atteint du même grain de folie, le suit au piano et au chant, dans cette satire de notre monde qui, au passage, rend un vibrant hommage à la Chanson, fond sonore de nos vies.