Barjac m’en Chante 2017 – Christina Rosmini (© Luc Allegier)

Bar­jac m’en Chante 2017 – Chris­ti­na Ros­mi­ni (© Luc Allegier)

1er août 2017 – Fes­ti­val Bar­jac m’en Chante 2017

3e cha­pi­teau – Vincent Tronc & Chris­ti­na Ros­mi­ni en trio

Avec Vincent Tronc (gui­tare, accor­déon, san­za, voix) – Chris­ti­na Ros­mi­ni (chant, danse), Bru­no Cavi­glia (gui­tare), Sébas­tien Debard (accor­déon)


Cha­pi­teau – Bar­jac (Gard)

Il ne fait aucun doute que cette jour­née res­te­ra dans les mémoires du fes­ti­val. On se prend sou­dain à rêver que la Chan­son pour­rait deve­nir la plus éton­nante des pas­se­relles pour que s’accomplissent un jour nos rêves huma­nistes… Pour cette part d’utopie, pour cette espé­rance, mer­ci à tous ceux qui ont per­mis cette traversée !

Elle com­mence à 17 h sous le cha­pi­teau avec Vincent Tronc, le chan­teur d’ici, celui du petit vil­lage per­ché de La Roque-sur-Cèze. Il faut avoir quit­té Bar­jac, avoir vu ce pay­sage inouï de vignes et de forêts et ces cas­cades du Sau­ta­det. Cette beau­té natu­relle aurait pu le rete­nir… Mais ce sont sans doute ces racines-là, ce port d’attache, qui lui a per­mis d’aller loin au bout de ses rêves. Car l’homme a voya­gé, beau­coup voya­gé et c’est ce par­tage hors fron­tières qui le ramène à nous, nour­ri d’ailleurs. La voix est belle, cares­sante, pro­tec­trice et l’artiste témoigne d’une authen­tique soif de par­tages. Le pro­pos est sans affé­te­rie : La vie, la vie… Le para­dis est à por­tée de nos mains, inutile d’aller le cher­cher au ciel, ou dieu sait où… L’accordéon accom­pagne alors si bien cette parole fami­lière. Quant à sa gui­tare elle s’orientalise quelque peu, devient per­cus­sive, donne l’envie de dan­ser avant qu’il n’offre une danse mas­quée, moment fort de ce concert… Le pays qu’il évoque, l’Inde du nord, lui en a don­né sans doute l’inspiration… À moins que ce ne soit l’Afrique ances­trale ? Une danse pour chas­ser les démons ? C’est pour lui l’occasion d’évoquer ces peuples que l’on chasse, que l’on exclut, que l’on conquiert. Sa chan­son s’habille alors d’un souffle épique. Il a l’âme gitane ce Vincent Tronc. Et c’est pour­tant tout natu­rel de l’entendre reprendre un poète, un chan­teur bien de chez lui, de chez nous, celui qu’il n’est sûre­ment pas néces­saire de nom­mer quand on chante La mon­tagne. Le voya­geur est ren­tré chez lui… Il s’autorise de chan­ter un titre deve­nu mythique en modi­fiant nota­ble­ment sa mélo­die. Quand on est chan­teur, habi­té de tant de pay­sages et de visages, on peut bien s’autoriser quelques pas de côté.

Le fes­ti­val pour­rait donc bien étan­cher notre soif de voyages. Soif de ren­contre, soif d’humanité… Nous n’oublierons pas de sitôt l’entrée en scène de Chris­ti­na Ros­mi­ni entre ses deux musi­ciens. Un choc vrai­ment. C’est une appa­ri­tion au sens qua­si reli­gieux. Sil­houette de rêve qui nous décon­certe et nous bou­le­verse. Elle est habillée de lumières, et sa longue che­ve­lure brune lui fait une parure à écou­ter les vers de Bau­de­laire : La lan­gou­reuse Asie et la brû­lante Afrique /​Tout un monde loin­tain, absent, presque défunt / Vit dans tes pro­fon­deurs, forêt aro­ma­tique !… À peine fait-elle quelques pas que son corps danse, ondule… Mais d’où nous vient cette femme ? Com­ment peut-il se faire que l’on ait igno­ré jusqu’à son nom ? La voix est forte, le ton enthou­siaste. Fas­ci­na­tion… Nous sommes vain­cus en quelques chan­sons. Inutile de cher­cher à résis­ter ! Car le spec­tacle est minu­tieu­se­ment construit. Pas un geste, pas un dépla­ce­ment, pas un son qui n’ait été réflé­chi, mesu­ré, pesé. C’est un tour­billon de chant, de danse, de musique. On ima­gine les heures de tra­vail pour arri­ver à cette maî­trise de la scène. On ima­gine l’expérience.

Chris­ti­na Ros­mi­ni dit qu’il lui a fal­lu « un temps consi­dé­rable pour assu­mer [sa] per­son­na­li­té sur scène. » Elle affiche son âge – sa cin­quan­taine – cet âge qu’il est impos­sible de lui don­ner quand elle est en scène et qu’elle impose l’image d’une énig­ma­tique prin­cesse orien­tale échap­pée des Contes des Mille et Une nuits. Très vite dans le concert on com­prend qu’elle n’est pas cette icône. Mais alors pas du tout ! D’ailleurs elle dira com­bien elle aime vieillir !

La Pho­céenne raconte ses ori­gines d’une terre médi­ter­ra­néenne à l’autre. D’emblée on ren­contre l’exil, la fuite, la « reti­ra­da », la défaite devant les forces obs­cures… Elle ne laisse pas prise à la déses­pé­rance, à la peur. Alors elle chante aus­si le temps de l’islam éclai­ré, Rama­tuelle du Xe siècle, elle offre une esca­pade inat­ten­due où elle s’habille d’orient et danse dans une chan­son très allu­sive… Hon­ni soit qui mal y pense ! Une autre tra­ver­sée ances­trale nous ramène en Corse et l’on chante avec elle… Mais c’est en Inde, auprès de ses maîtres spi­ri­tuels, notam­ment la Mahat­ma Amma qu’elle nous emmène aus­si. Alors on finit par com­prendre où elle puise cette force, cette éner­gie, cette beau­té dont on sent les effets.

Elle enchaîne les chan­sons à un rythme effré­né. Elle ne se laisse, ne nous laisse aucun répit. Elle illustre par la danse où elle excelle, sou­li­gnons-le, par des détails ves­ti­men­taires… Du très grand spec­tacle qu’elle ne manque pas de par­ta­ger d’un geste, d’un regard avec ses deux musi­ciens avec les­quels on la sent en par­faite osmose.

Le plus éton­nant pour nous, c’est la dévo­tion qu’elle voue à la Chan­son. Elle trouve sa plus belle expres­sion dans le concert qu’elle consacre à « ton­ton Georges ». C’est l’occasion d’indiquer que si nous ne la connais­sions pas, nous n’avions aucune excuse ! Sa bio­gra­phie croise les noms de Che­did, Mous­ta­ki, Macias, Paco Iba­nez, Fabienne Thi­beault, Le Fores­tier… Impos­sible de tous les citer ! Mais c’est à Jean-Marc Der­mes­ro­pian, au concert d’ouverture du fes­ti­val Georges Bras­sens de Vai­son-la-Romaine en 2015 que nous devons son intro­ni­sa­tion dans le sacro-saint monde de la Chanson…

Et dire que nous aurions pu igno­rer la puis­sance émo­tion­nelle du concert de Chris­ti­na Ros­mi­ni qui reven­dique dans une superbe chan­son le droit d’aimer (et de dan­ser !) la java des filles de Paname et le fla­men­co gitan. Ce qui lui vaut, sous le cha­pi­teau de Bar­jac, une légi­time ovation !