Christelle Boizanté – Belle Armel (© Arnaud Rouyer)
19 janvier 2018 – Sortie de résidence de création
Belle Armel
Avec
Christelle Boizanté /textes – voix-machines-objets sonores /Compositions : Morgan Bertelli – C. Boizanté / Lumière : Mélie Paul-Debuigne /Son : Enguerran Compan / Accessoires : Isadora De Ratuld /Collaboration artistique : Aïda Sanchez
Espace Roguet –Toulouse
Christelle Boizanté c’est la superbe chanteuse comédienne danseuse – oui un peu tout à la fois – qui illumine dans sa robe rouge le trio Orlando. Après dix ans de cette aventure déjà tellement singulière par sa force artistique et son propos, elle décide de créer un spectacle en solitaire. Enfin rectifions tout de suite… La création de ce solo c’est d’abord le partage artistique avec le compositeur Morgan Bertelli qui lui offre d’expérimenter la rencontre étroite entre chansons et musique électronique. S’ajouteront les techniciens du son et de la lumière ainsi qu’une ingénieuse accessoiriste. Pas moins de quatre créateurs dans l’ombre pour répondre à la créativité de l’auteure interprète.
Mais Christelle entend être seule en scène, à la fois libre de créer à l’infini des atmosphères, de multiplier les sons, sa voix, en pianotant sur le clavier de sa machine et paradoxalement enchaînée à cette technologie – « un ordinateur-corne d’abondance » dit – elle. Un véritable défi quand il faut garder l’attention du public, lui offrir de s’aventurer dans son histoire. Et quelle histoire !
Pour mieux en comprendre la portée il faut d’abord regarder l’artiste entrer en fond de scène, vêtue d’un jean et d’un chemisier fleuri, dans un éclairage très doux, se placer de profil pour accomplir comme un rituel sacré. Elle porte en mains un grigri de plumes légères qu’elle agite, convoquant les esprits qui accompagneront cette heure à venir, entre souffle et murmure. La joie éclaire son visage. Le spectacle peut alors commencer hors frontières de la réalité.
Derrière ses micros et sa « machine » qui distille les sons, les rythmes, commence alors une histoire. Une histoire d’avant la vie même. Dans sa voix, il est question de divisions cellulaires, de prémices, de découvertes peu à peu des choses et des êtres… Avant que n’arrive l’image de la mère, qui lui offre un costume de fée, une baguette… Elle joue longuement, danse radieuse avec ce petit feu de Bengale qui rapidement s’éteint…Elle a beau l’agiter. Rien, plus rien ! « Comment tu veux être une fée, si tu n’as pas la baguette ? » C’est là le grand scandale, la grande désillusion originelle.
Insupportable.
Alors elle quitte la scène, ôte son chemisier fleuri, apparaît en simple débardeur, émet des cris d’animaux, des feulements de chat en colère. « Je ne rends pas mon âme /Je ne rends pas les armes »… Surgit alors Belle Armel… Personnage comme inspiré du monde antique, des mythologies. Un monstre, entre bête et être humain. Crapaud dans la poitrine, raie manta en guise de vulve… Il hante les bars de Lisbonne, entreprend de voler au-dessus de la ville. La musique devient hypnotique. Quand tout s’achève la chanteuse est couchée sur la scène.
Commence un nouveau tableau où elle joue avec une sorte de marionnette faite d’un assemblage informe de boudins gris qui s’avère représenter son ventre, les deux mille neurones de son ventre, cet antre… « Et pas un pour avoir une idée … Qu’est ce qui le tourmente, t’aurais pas une idée ? » Ce n’est donc pas dans sa part animal que l’on trouve des remèdes… Peut-être faut-il revenir à l’enfance, à son merveilleux comme dans cette chanson sans queue ni tête où « les oiseaux aiment le camping »… ? Ou bien alors à l’adolescence où un bel amour tout neuf, un « regard transparent délivre [nos] secrets »… ?
L’amour, sa part de beauté, sa grâce.
Christelle Boizanté l’incarne en s’enveloppant dans un long film léger de plastique transparent…Elle se déplace à tout petits pas, comme entravée dans sa marche… Mais très vite le charme est rompu car l’amour c’est aussi le manque, le manque affreux, terriblement douloureux. « Le ciel est froid quand tu n’es pas là »… Le monde autour se désagrège comme dans un roman de Boris Vian… Il devient même aveugle. Il impose le règne de la violence.
Plus d’autre solution que d’appeler à l’aide.
Alors Christelle part en coulisses et revient portant une large coiffe de plumes, comme deux ailes, pour chanter son hommage au grigri qui multiplie les forces : « Tu nous protèges, tu nous rassures, même les jours gris, même les jours froids… » Avant de terminer sur la grande énigme de la vie, sur toutes ces questions qui nous taraudent.
Mais au fond a‑t-on besoin de comprendre ? Le faut-il pour donner du sens à nos existences ?
Laissons Christelle Boizanté conclure une heure de totale immersion dans ce maillage de sons et de mots :
« Je vois la présence de la musicienne comme dans la première carte du tarot de Marseille, le Bateleur. Cette carte est l’alliée de tous les débuts créatifs et s’interprète ainsi : « Commencer et choisir. »