Corentin Grellier– Une saison en hiver, 2019 (© Anto)
14 novembre 2019 – Une saison en hiver
Concert en solo. Sortie d’album enregistré, mixé et masterisé au Studio de la Pierre Vive par Rodolphe Collange
Avec
Corentin Grellier (textes, musiques, guitare, voix)
Le Bijou (Toulouse)
Corentin, dans son nouveau spectacle, s’est dépouillé du superflu. Il nous arrive seul avec sa guitare, exactement comme il les compose dans sa chambre. Enfin presque… Car nous l’avons suivi depuis ses premières apparitions sur la scène toulousaine, jusqu’au groupe Camu avec accordéon, contrebasse, batterie, avec ces musiciens de talent auprès desquels il a tant appris. Nous mesurons aujourd’hui clairement le chemin parcouru. Dans la voix, qu’il maîtrise sereinement aujourd’hui, dans la diction parfaite, dans les textes ciselés, brodés, dans l’aisance face au public. » Le théâtre du Grand Rond, Toulouse décembre 2018 – Chanter C’est Lancer des Balles
La sortie du premier album de Corentin Grellier sera l’un des temps forts de ce début de saison au Bijou. On ne saurait en douter après ce concert dans une salle comble et convertie à sa cause : se laisser prendre à ses mots, son jeu de guitare affiné où plane l’ombre de Georges Brassens, sa voix assurée… A cette confidence entre doutes, douleurs et marche forcée à se chercher, à coup de chansons douces … « Je tire vers le beau /Mon corps de pantin mou /Qui pleure dans ses pantoufles /La mort de son /La mort de son amour. »
Pourtant il s’était lancé un beau et douloureux défi en commençant par une chanson qui pouvait le faire chavirer. Bien sûr, on l’a vu passer la main fébrilement dans ses cheveux avant de commencer, geste presque enfantin qu’il a souvent quand il s’adresse à nous avec humour et tendresse entre deux titres. Bien sûr, on a retenu son souffle en entendant les premières notes, les premiers mots : « Oscillante sur ton axe /Aussi belle que la fragilité /Tu danses comme une acrobate »… Et ce refrain qui nous est devenu familier : « Avec tes deux ailes /Tu voles haut /Sacré oiseau… » Chanson titrée Elle, portrait délicat et superbe d’« une drôle de frangine », « une acrobate », comme on l’est souvent à 19 – 20 ans… Comme l’était celle à qui la chanson est dédiée. Bel oiseau envolé dans un ciel d’été.
Quand l’album est enfin dans nos mains, on découvre d’abord l’image de la couverture où se devinent à peine deux bustes de femmes en conversation, comme émergés d’un temps enfoui, d’un tableau effacé… On aimerait croire que ce sont les deux prénoms nommés à l’intérieur, en lettres minuscules : Axelle et Chloé… A l’intérieur du livret, les couleurs et le graphisme y confirment une surface, une matière dont les teintes s’égratignent pour laisser apparaître l’orange lumineux de la couverture. « Tout se mélange /Douces caresses orange tristesse… » C’est sur ce fond que Corentin trace en lettres blanches sa dédicace… En marche vers demain, en quête de la source, « le long des chemins buissonniers », il cite pour nous Antonio Machado « Le chemin se fait en cheminant ».
Bien sûr, on s’arrête à chaque titre où la perte et l’« acier glacé de l’absence » font comme un long deuil d’une saison en hiver, pas loin d’être « une saison en enfer »… Perte de l’amie, perte de l’amour, disparition du petit théâtre de « Monîlemontante », absence de Louise, la petite fille tout juste apparue en rêve « Tu m’apprenais le mot amour /je t’apprenais à faire le mur »… Bien sûr les chansons disent ce que chacun de nous peut vivre un jour mais il a le goût des images insolites, de vraies trouvailles. Il habille ses sentiments d’étranges rencontres de mots « Je tousse tous mes mots /Et je cogne du poing… » . A vrai dire c’est par cet art poétique qu’il nous emporte, un vrai travail, une fatigue quoi qu’on en dise… « J’essorerai mes mots »… Tant de choses à nous dire !
Pour en juger on peut, par exemple, se réjouir de l’usage qu’il fait de l’image de l’oiseau, suivant par là une longue tradition poétique. Ce sont les premiers mots de cet album, dans la délicieuse chanson Premier amour : « Ton p’tit cœur dans ma main /Comme un oiseau blessé ». Le mot accompagne, nous l’avons vu, l’évocation de la disparue « Tu voles haut sacré oiseau », celle des amours enfuis « Comment parler oiseau /Quand on a les mains sales /Et plus rien sur le dos », ou bien « Désolé d’avoir essayé /De retenir ton bel oiseau /Ton oiseau dans mon chapeau » car on sait bien que « les oiseaux ça fait des voyages »… Mais surtout on aime que l’oiseau s’invite pour caractériser la poésie, l’acte de foi dans l’Art dans Tant qu’il y aura… « Il restera des poètes avec un oiseau dans la tête ».
Vous l’aurez compris, les chansons de l’album Une Saison en hiver, si elles se cognent à de douloureuses réalités, au doute surtout – Mais si tout est joli /Quelle est cette lourdeur /Qui plane sur la plaine – offrent une texture singulière, « du tendre à la pointe de nos pinceaux » et ne dédaignent pas se pencher sur l’espoir. Elles sont souvent de délicats hommages, ourlés de tendresse, aux figures féminines qui apparaissent en « petite robe légère », ou « fleurie » en « petit pull rouge » ou bien simplement « nue dans la rivière », mais toujours avec un « sourire en fleur » ainsi que le chante le dernier titre. Une invitation à l’amour, quel qu’en soit le prix, et pour clouer le bec à l’amour mort (Ruisseau) dans la chanson qui précède : « Lucie… ça te tente /Qu’on aille jusqu’en buissonnière ?»… Ah le joli pays, cette buissonnière… ! Qui n’aurait envie de l’y suivre avec des nouveaux « possibles en pagaille » ?
« Je marche remontant la rivière
Feuillages et ombres me murmurent
Qu’on gagne souvent de ce qu’on perd
En passant par la buissonnière »