Belfour, On verra bien, 2022(©Elizabeth Marre)

Bel­four, On ver­ra bien, 2022(©Eli­za­beth Marre)

23 avril 2022, De clip en clip # 15

Jusqu’où, on ver­ra bien…

Avec

Bel­four /​Lucie Mena & Michaël Sac­chet­ti On ver­ra bien, (Paroles et musique Bel­four) EP Si la rivière coule, réa­li­sa­tion Eli­za­beth Marre

Mar­cia Hige­lin, Prince de Saba (Paroles et musique Mar­cia Hige­lin) Réa­li­sa­tion, Mar­cia Hige­lin /​Ben Baas Sock album Prince de Plomb, à paraître le 13 mai 2022

Bart­le­by /​Florent Lebel L’amour réa­liste (Paroles et musique Florent Lebel), album épo­nyme, à paraître le 27 mai  2022, réa­li­sa­tion Clé­ment Gino

Emma­nuelle Mei /​Emma­nuelle Mai Irma Tang La grande nageuse (Paroles et musique Emma­nuelle Mai Irma Tangalbum Sans des­sous sor­ti le 5 avril 2022, réa­li­sa­tion Laurent Daniel


Sur la route des dessins

Jusqu’où on ver­ra bien

A la croi­sée des lignes

Dans nos mains

Jusqu’où on ver­ra bien

C’est avec le duo Bel­four que nous choi­sis­sons d’ouvrir cette sélec­tion, avec cette chan­son habillée de gui­tares lan­gou­reuses, avec ce clip noir et blanc nous reliant à nos inter­ro­ga­tions sur le des­tin. Le pre­mier plan en effet nous montre les cartes d’un jeu de tarot… Les­quelles de ces cartes gui­de­ront notre route ? Le Fou, le Bate­leur, l’Impératrice ou l’Amoureux … ? Allez savoir ce qu’il en sera pour le couple qui chante et dont la sil­houette appa­raît brouillée par des éclats de lumière. Un étrange com­pa­gnon – dont l’image est, para­doxa­le­ment, très nette– sort de sa boîte et finit par enla­cer le buste de la chan­teuse qui semble l’accueillir serei­ne­ment, pac­ti­ser avec lui : un énorme ser­pent, un python sans doute. Bien enten­du, on connaît la com­plexi­té sym­bo­lique de cet ani­mal. Mis à l’index par la Chré­tien­té, il a pour­tant conser­vé à tra­vers les mytho­lo­gies quan­ti­té de pou­voirs liés à la vie, à la fécon­di­té, à l’imagination, attri­but de la poé­sie, des arts, de la méde­cine… On se conten­te­ra de rap­pe­ler que Zeus se trans­forme en ser­pent pour s’unir à Per­sé­phone et qu’Athéna, déesse de toute science, conti­nue à tenir dans la main et sur sa poi­trine le ser­pent… « C’est l’histoire d’un com­bat, pré­cise Lucie Mena, d’une quête per­son­nelle, faite de tiraille­ment de ren­contres bonnes et mau­vaises… (…) C’est aus­si un mes­sage d’espoir qui invite à lâcher prise, s’en remettre aux hasards, au des­tin. » On note­ra que si l’image est sou­vent énig­ma­tique, dans une atmo­sphère noc­turne par­se­mée d’éclats, de scin­tille­ments, si « Cha­cun cherche sa légende » si « On n’y voit plus rien dans le noir », si les mots de la chan­son se noient dans l’instrumental, le couple demeure… Jusqu’où, on ver­ra bien…

Dans le clip de Prince de Saba, Mar­cia Hige­lin appa­raît en pleine lumière, conqué­rante. On se dit qu’avec un tel nom de bap­tême il ne peut en être autre­ment. Pas si simple ! Car son album court n’est qu’un cri. Que l’on en juge par les titres emprun­tant à un bes­tiaire sau­vage, car­nas­sier, Dra­gon, Tigre ou loup, ou bien Cro­co­dile… Il s’agit bien de tordre le cou à une épreuve, une souf­france. Il s’agit d’un acte de déli­vrance. Avec seule­ment l’accompagnement du pia­no s’ouvre le clip de Prince de Saba. Dans un décor urbain, noc­turne et froid, la camé­ra s’en vient cher­cher, sous l’éclairage d’un réver­bère, une ber­line noire, sur laquelle la chan­teuse est assise. Bras croi­sés sur les genoux repliés, regard maquillé de froi­dure, puis, sur le plan sui­vant, men­ton appuyé sur la main « gouffres au bord des lèvres » dit le texte. Elle se lève, toise l’œil de la camé­ra qui la suit dans sa déam­bu­la­tion. La main se lève pour accom­pa­gner les mots « Tu m’as dit du n’importe quoi C’est du, oh, c’est du bla­bla­bla­bla… » Peu à peu des voix l’accompagnent, elle conti­nue de mar­cher face à la camé­ra ; les sou­ve­nirs sur­gissent « Un col­lier d’argent /​Une mine fié­vreuse / Un bai­ser ardent /​Une épine furieuse /​Me pique le cœur… » Elle refait le che­min de la dépen­dance, de la pos­ses­sion, puis s’arrache alors sa per­ruque de longs et sédui­sants che­veux blonds… « Prince de Saba /​Je t’ai tout don­né / Tu pro­mets le monde /​Avant de t’effacer… » Cette « libé­ra­tion » est accom­pa­gnée par toute une bande joyeuse de femmes et d’hommes qui sur­git, la rejoint dans sa marche, danse autour d’elle et chante comme elle, très haut, très fort. Au der­nier plan, leur mou­ve­ment s’arrête. On s’en revient à l’accompagnement seul du pia­no. Elle fait alors demi tour, retourne sus ses pas dans la rue vide. Mains dans les poches, elle dis­pa­raît dans la nuit. Seule, mais libre.

Inson­dable énigme du couple. Il en est aus­si ques­tion dans le clip de Bart­le­by qui s’adresse cette fois à L’amour réa­liste. Florent Lebel et sa gui­tare folk s’empare du thème sans contre­fa­çon… Et si « Juliette écrit à Roméo », c’est « Sur des mor­ceaux de post-it » … Jugez vous-même « Tous les mots doux sur le fri­go / Se sont chan­gés en to-do list … De strophe en strophe se des­sine le quo­ti­dien, chan­ger les draps, pré­pa­rer le repas, faire la vais­selle, sor­tir la pou­belle… Et notre homme de pen­ser : « Il manque les des­sous satins/ La lin­ge­rie fine, les bas résilles / Offerts à la Saint Valen­tin… » Alors, quand on est réa­li­sa­teur com­ment tra­duire ces « sen­ti­ments [qui] prennent la pous­sière » ? Hé bien, en ima­gi­nant cet homme confron­té à l’amour réa­liste mar­chant d’un bon pas, un man­ne­quin de vitrine sous le bras. La camé­ra le suit dans ce superbe pay­sage des Cévennes, murs de pierres sèches, végé­ta­tion de maquis… Le man­ne­quin est sa com­pagne mutique et sans vie. Il lui fait admi­rer la vue, par­tage ses impres­sions. De plan en plan, il lui chante sa chan­son dans la mai­son, danse avec elle, fait de la balan­çoire, par­tage un verre de rouge et même un repas amou­reux sur la ter­rasse, far­niente au soleil, étend la les­sive, se pro­mène avec le buste, joue avec l’un de ses bras… s’endort près d’elle. Au final, l’âne Cadi­chon est le seul l’être vivant avec lequel il com­mu­nique. « Ho mais c’est pas triste »… Mais qui va pas­ser la serpillère ?

« Jusqu’où, on ver­ra bien » dit le titre de cette sélec­tion. On peut consi­dé­rer qu’Emma­nuelle Mei répond à cette ques­tion d’une façon ori­gi­nale avec le clip de sa chan­son La Grande Nageuse. Elle nous avait déjà amu­sés avec le pré­cé­dent, son Mani­feste du sans des­sous, reven­di­quant l’absence de sou­tien gorge, vieil adage de nos années andro­gynes et fémi­nistes. Cette fois, véri­table adepte du bain en eau froide, nous la voyons aller se bai­gner en plein mois de décembre en Bavière. Le pre­mier plan nous la montre arri­vant face camé­ra, emmi­tou­flée comme l’exige la tem­pé­ra­ture, écharpe, ano­rak, bon­net de laine, mitaines. Pro­fil de par­faite barou­deuse, face à l’eau. Le pon­ton est cou­vert de plaques de neige et le texte de la chan­son dit « Il est des jours où par­fois /​Mon corps se refuse /​À aller à l’eau… » On comprend !

Mais quelques plans aqua­tiques plus tard, on la retrouve avec ses trois cou­ra­geux accom­pa­gna­teurs, trois gars, une fille, aus­si fous qu’elle, en train de se dévê­tir, pour s’exhiber face camé­ra en maillot de bain, visage radieux. « Allez, à l’eau /​Allez, les gars à l’eau ! » Et voi­là, c’est aus­si simple que ce plon­geon « Je nage au cœur de l’hi­ver /​Les pois­sons s’les caillent / Je suis seule à l’eau /​Je nage nue comme un ver /​Je n’ai pas d’é­cailles… » Et elle chante ce bon­heur là, ce « Peau à peau avec l’eau »… Quelques mou­ve­ments d’échauffement, quelques pas de danse et tout le monde est à l’eau ! La fête se pour­sui­vra, cette fois bien cou­verts, avec quelques verres… Bel hom­mage à nos ori­gines, si « Dieu a créé plus de rivières /​De mers, de lacs et d’o­céans / Qu’Il n’a créé de terre, /​C’est qu’Il nous vou­lait nageant… »