Cinq à Lavaur – 2018 (© Droits Réservés)

Cinq à Lavaur – 2018 (© droits réservés)

10 février 2018 – Cinq en concert

Avec
Chloé Lacan (accor­déon, san­za, voix), Valé­rian Renault (gui­tares, per­cus­sions, voix), Guil­hem Valayé (gui­tare, per­cus­sions, voix), Imbert Imbert /​Mathias Imbert (contre­basse, voix), David Lafore (gui­tare, voix) invi­té à rem­pla­cer Nico­las Jules, empêché


Halle aux grains – Lavaur (Tarn)

Et si nous remet­tions notre vic­toire 2017 toute per­son­nelle, ici, à Lavaur dans le Tarn ? Si nous fai­sions taire les inévi­tables jéré­miades du monde de la Chan­son, au len­de­main de la céré­mo­nie en direct de la somp­tueuse Seine musi­cale de Bou­logne Billancourt ?

Nous nous empres­sons d’ajouter que tout n’est pas à jeter, reje­ter dans ce genre de mani­fes­ta­tion, comme cer­tains vou­draient abso­lu­ment nous le faire croire. Outre le fait que nous pou­vons y humer l’air du temps, per­ce­voir l’incontestable influence de nou­velles esthé­tiques – que nous les aimions ou pas – nous avons eu beau­coup de ten­dresse pour l’intervention de Char­lotte Gains­bourg, pour les éton­nantes Camille et Cathe­rine Rin­ger, pour Gaël Faye, Juliette Arma­net, Albin de la Simone

Alors en arri­vant ce soir à Lavaur, dans cette halle aux grains trans­for­mée en salle de concert, sous sa haute voûte où des amis de l’association Eclats nous attendent, nous pen­sons à tous ces concerts aux­quels nous avons assis­té durant l’année écou­lée. A tous ceux qui nous ont fait rêver, ont ten­du des pas­se­relles, ren­ver­ser les fron­tières. Et s’il nous fal­lait en élire un, un seul pour lui décer­ner une récom­pense, une victoire ?

Donc sans aucune légi­ti­mi­té, ni impact aucun sur l’univers de la chan­son, ce soir Chan­ter c’est lan­cer des balles décerne sa vic­toire à ce groupe Cinq.

« Un voyage assu­ré­ment – il fau­dra du temps pour s’arracher à son emprise. Des terres mouillées de larmes qui long­temps se sont cachées, des terres fris­son­nantes du bat­te­ment de cœurs bles­sés, qui doutent, appellent, attendent… Écri­vions-nous en mai dernier.

Nous gar­dons mémoire vive de ce voyage de mai 2017 au Bijou. Nous fré­mis­sons déjà à l’idée de nous embar­quer à nou­veau, avec juste une pointe de curio­si­té : David Lafore  fera –t‑il oublier la pré­sence facé­tieuse et émou­vante de Nico­las Jules, aujourd’hui empê­ché par un superbe pro­jet du côté de la tra­gé­die raci­nienne ? Que se passe-t-il quand une si belle har­mo­nie se dégage d‘un groupe et que l’un manque à l’appel ?

Autant dire tout de suite que le charme a opé­ré avec la même force. On note­ra d’ailleurs la per­ti­nence du choix car ces deux artistes, David Lafore et Nico­las Jules, ont quelque chose en com­mun, une façon de vous dérou­ter, vous sur­prendre, d’allier la pro­fon­deur du pro­pos et la fan­tai­sie qui y fait sou­dai­ne­ment irrup­tion, pour notre plus grande joie. L’un et l’autre s’accompagnant de la gui­tare élec­trique, en tire des effets tout aus­si inat­ten­dus. David Lafore a mis un cer­tain temps à nous révé­ler ses pitre­ries irré­sis­tibles qui donnent à cette alliance de cinq uni­vers ses ins­tants néces­saires de joie, d’hilarité. Une res­pi­ra­tion salu­taire, bienfaisante.

Le concert s’ouvre sur les notes de la gui­tare élec­trique de Valé­rian Renault, sur sa voix com­pa­rable à nulle autre, dans son grain, sa puis­sance, ses déchi­rures. Bien­tôt rejoint par l’accordéon gémis­sant et lan­gou­reux de Chloé Lacan, par l’archet de la contre­basse de Mathias Imbert, la gui­tare de David Lafore et Guil­hem Valayé aux per­cus­sions. Vale­rian évoque Février « dans sa robe grise… Voi­là le mois le plus long… » La tona­li­té est don­née entre chien et loup, entre dou­leur et espé­rance… Avec cet amour qui trans­perce, tra­casse, fra­casse… « Rend un peu con » comme le chante Mathias Imbert oscil­lant dans le choix des mots entre franche tri­via­li­té et lyrisme, et récla­mant l’envie de se sen­tir vivant : « J’veux sen­tir la braise, les pleurs et les rires ».

On aura du mal à tout trans­crire ici tant le par­tage entre ces cinq là est bou­le­ver­sant, cha­cun à son tour ser­vant de son accom­pa­gne­ment, mais aus­si de sa seule pré­sence, de ses regards ten­dus, la chan­son d’un autre.

Écou­tons encore l’interrogation dou­lou­reuse de Guil­hem Valayé « Où sont pas­sés les hommes qui veillaient sur les che­vaux ? », com­ment se conso­ler ? Peut-être avec nos sou­ve­nirs « Il me reste sur la langue des petits bouts de toi qui ont la saveur douce et tendre d’une valse de Cho­pin », peut-être en fai­sant silence, en ouvrant seule­ment les bras à celui qui le réclame, comme Valé­rian l’attend de son père…

On retien­dra quelques moments forts, comme la déli­cate Pêche au bon­heur de Chloé – on pour­rait élire là notre « chan­son ori­gi­nale » – l’envolée ita­lienne de David, moment de franche rigo­lade, la voix superbe de Guil­hem quand elle s’élève haut dans la mélan­co­lie, le duo Valé­rian – Guil­hem dans l’épopée de La Mon­tal­ba­naise, et même le deuxième rap­pel où cha­cun, impromp­tu, inter­prète l’un de ses titres à l’exception de Mathias qui laisse par­ler sa contrebasse.

Point d’orgue à ce concert des Cinq et hom­mage à cet ins­tru­ment majes­tueux qui tout au long offre sa voix pro­fonde et sa cadence, comme un cœur qui bat.