Entre 2 caisses (© Claude Vanryssel )
19 janvier 2017 – Entre 2 caisses, Sous la peau des filles
avec Dominique Bouchery (accordéon, clarinettes, chant), Bruno Martins (Contrebasse, chant) Jean-Michel Mouron (guitare, chant), Gilles Raymond (guitare, dulcimer à marteaux, chant) – livret et mise en scène de Juliette.
Le Bijou (Toulouse)
Ils voudraient bien savoir d’où vient et où va le frisson qui parcourt la peau de leurs amantes.
Vont-ils le découvrir dans cette aventure, entre les lignes de musique ?
Moi, j’ai un début de réponse, car après tout, sous la peau d’un garçon ou celle d’une fille, c’est ce frisson qui fait les chansons !
Le quartet de « Chantistes » – c’est ainsi qu’ils aiment se nommer – est maintenant bien installé dans le paysage des enchanteurs. Depuis vingt ans ils promènent en scène leur goût du mot qui fait mouche, qui fait « Crac boum hue » ou simplement « da ba da ba da… ». Ils aiment beaucoup les mots des autres – Allain Leprest, Frédéric Volovitch, Loïc Lantoine, Thibaud Defever, Romain Bouteille, Gérard Morel, Bernard Joyet ou Claude Semal – et le font savoir dans un art de la reprise bien à eux.
Voici que depuis un an ils se glissent Sous la peau des filles… Ils chantent leurs émois, leurs souffrances, leurs désirs. Chansons écrites par des hommes pour les filles, chansons écrites par les filles ! Ils mettent ainsi un grand coup de boutoir dans les mécaniques habituelles de la reprise, terriblement conventionnelles où là, comme ailleurs dans nos sociétés, se joue le sexisme, voire la misogynie…
Bien entendu, en concevant ce spectacle, ils ne pouvaient pas deviner que l’actualité de janvier 2017 allait leur donner matière à justifier plus que jamais leur propos. Le 21 janvier – c’est-à-dire demain – s’organise à Washington et dans plus de six cents villes par le monde, une Women’s March en réponse au propos racistes, sexistes, xénophobes ‑et j’en passe ! – du nouveau Président des Etats-Unis, Donald Trump.
Une fois encore on aimera souligner la place de la Chanson dans nos vies, sa promptitude à mêler nos petites histoires à la grande Histoire, parfois même sans qu’elle l’ait voulu.
Entre 2 caisses, c’est une présence dans le style café-théâtre, à la mécanique efficace, où se joue comme un écho des Frères Jacques surtout lorsqu’ils chantent a capella en bord de scène… Chaque chanson trouve ses placements, sa mise en scène, son introduction parlée, sa mise en voix, son accompagnement spécifique : guitare, accordéon, dulcimer que Gilles Raymond frappe de ses petits maillets, présence rythmique de la contrebasse de Bruno Martins qui donne la cadence. Tout cela vous donnerait l’impression qu’ils chantent et jouent le plus naturellement du monde. C’est la marque du grand art. Faire oublier le travail en amont. Donner l’illusion au public que tout se crée, là, dans l’instant avec lui, particulièrement dans les dialogues. Partie de ping-pong savamment réglée par Juliette, leur complice. Dans ce jeu là, les personnages sont typés, caractérisés. Dominique Bouchery, le petit de la bande des quatre, accordéoniste, clarinettiste, c’est par exemple celui qui assène les statistiques – véridiques ! – sur la condition féminine. Parfois on rit bien sûr de la façon dont rebondissent les partenaires… même si certaines statistiques sont assez terrifiantes, inquiétantes. Jean-Michel Mouron, le grand, aurait plutôt la répartie du « bêtasssot », souvent un peu à l’écart, un peu innocent, naïf… Les quatre sont aux prises avec les femmes, disent à voix haute ce qui souvent se tait. Les répliques fusent, rapides, juste le temps d’entendre le rire du public et avant qu’ils n’endossent la parole des filles. Transgenres le temps d’une chanson.
Alors quelle parole justement ? Par deux fois seulement –on le regrette- au début du concert, ils indiquent leur source. D’abord pour saluer Michèle Bernard auteure de la chanson éponyme, Sous la peau des filles, puis Melissmell et sa chanson pathétique « Je me souviens Maman /Des rêves qu’on avait /Je me souviens des temps /Où nous marchions ensemble /J’avais des rêves Maman… » Une façon de souligner d’emblée que le répertoire n’aura pas de limites temporelles. « De vieilles chansons pour les jeunes et de jeunes chansons pour les vieux » ont-ils prévenu.
Au fil des chansons, se dessine l’histoire des femmes, même très intime comme ce texte de l’impertinent Quartet Buccal, qui déroge à toutes les pudeurs pour évoquer le plus fidèle des compagnons de la femme, le clitoris, ou bien l’érotique Fuck Me Tender (Le Maximum Kouette). Il faut le dire c’est un plaisir neuf que t’entendre ces mots là interprétés par des hommes qui endossent la place de la femme. La compassion, l’empathie n’en sont pas exclues, surtout lorsqu’ils rappellent les violences faites aux femmes (étonnante version, très touchante, de Lettre à un rêveur de Lucid Beausonge), le traitement injuste de leurs amours (Il venait d’avoir 18 ans), de leurs combats aussi (moment émouvant accordé au souvenir de Marta Ugarte au Chili, avec la voix superbe de Bruno Martins), le long cheminement pour achever sa conquête identitaire, cette sensation d’avoir « les ailes collées » comme dans La pêche au bonheur de Chloé Lacan. Bien sûr on rit de la Ceinture – de chasteté s’entend – des 4 Barbus, d’autant plus que l’auteur de cette infamie est le cocu le d’histoire ! On rit de L’escalier (Gina et Los Carayos) où une pauvre femme remonte sans fin son ivrogne pour finir par le laisser définitivement chuter…
Bien sûr on n’est pas surpris que ce soit avec Anne Sylvestre que tout ou presque soit dit, même si elle sait par ailleurs si bien s’amuser des travers féminins (Les blondes). Une sorcière comme les autres résume tout ce que la longue chaîne des femmes porte en elle, tout ce que l’on ne devrait jamais oublier… Chantés par des hommes, quelle force revêtent ces mots là, « Et c’est ma mère/Ou la vôtre/Une sorcière /Comme les autres »… !
Le mot de la fin ? Incontestablement il se trouve sous nos peaux. Peaux de filles, peaux de garçons. Il se trouve à l’emplacement du cœur. Quand L’un part, l’autre reste (Charlotte Gainsbourg), quand on est confronté à la douleur de l’absence (Quand tu n’es pas là, Brigitte Fontaine) quand on regarde la fragilité et la brièveté dune vie dans la corole d’une rose (Mon amie la rose, Françoise Hardy)…
« Tu feras le jour /Je ferai la nuit /Je protègerai /Ta vitre qui tremble » (Chanson de Maglia, Victor Hugo/Serge Gainsbourg)
Qui prononcera ces mots ? Un gars ? Une fille ?