Lève ton vers 2018 – Le Bijou (© Archibald)
30 & 31 mai, 1er juin 2018 – Festival Lève ton vers
Avec
Jérôme Pinel (voix… et animation de l’atelier d’écriture) – Guillaume Farley (guitare électrique, basse, voix) & Nicolas Jules (guitare électrique, voix) – Mathieu Barbances (contrebasse, voix) & Archibald (guitare, voix)
Le Bijou (Toulouse)
Le grand charivari
Foix, septembre 2014 (texte écrit en atelier d’écriture)
« Vite, faudrait pas le manquer ! C’est une fois l’an, une fois l’an seulement le grand charivari des maîtres mots. C’est déjà exaltant d’entendre enfler au loin le tohu-bohu des tambourins, fifres et cymbales. Quand soudain apparaît au bout de la rue noire de monde, le grand escogriffe qui conduit le cortège, tout habillé de rouge et jaune. Il zigzague en criant que l’on fasse place à la meute bigarrée des mots : « Place, place à la démesure, au désordre, à l’extravagance, à la folie ! »
Alors on se plaque contre le mur des maisons, moitié joyeux, moitié peureux. On voit débouler les fariboles, légères dans leur tulle rose bonbon, les billevesées joufflues, les calembredaines coiffées de vert pomme et les balivernes qui voudraient qu’on les admire aussi. Mais décidément, on ne peut pas ! Ce collant noir sur leurs fesses rebondies, c’est d’un mauvais goût !
Une fois passé le cortège et son vacarme, on se sent tout ébouriffé de mots, prêts à rejoindre le monde échevelé des poètes, ces hurluberlus ! » Claude Juliette F.
Non, ce texte n’a pas été écrit mercredi ou jeudi dans le bar du Bijou, sous la houlette de maître Jérôme – entendez Jérôme Pinel du duo Strange Enquête – Mais il aurait pu tout aussi bien être de cette fête là… Car c’est une fête ce festival Lève ton vers, c’est une invitation à se pâmer, s’étourdir devant ce que les mots peuvent faire naître en nous, autour de nous… A voir le visage de ceux qui ont partagé ce privilège, pas de doute, il se passe quelque chose. Pendant trois jours, pour la deuxième année, le Bijou a concocté des moments peu ordinaires…
Peu ordinaire cette invitation à 9 h du matin, à l’heure du petit noir des habitués du quartier, pour écouter Jérôme dans son Monologue d’un code-barres. Le voir se transformer au gré de ses histoires, en personnages plus surprenants les uns que les autres. Je pense à l’écriture de Claude Bourgeyx qui a vu ses textes interprétés par Claude Piéplu, Bernadette Laffont, Anémone, Virginie Lemoine… Juste pour vous donner une idée du rapprochement … Jérôme et l’auteur bordelais ont cette même capacité à vous conduire au bord des larmes et du rire tout à la fois… Ils vous tricotent des histoires sans queue ni tête qui pourtant nous ramènent à la nôtre. La performance de Jérôme m’a immédiatement donné le désir de revenir le lendemain, à 13 h cette fois, dans la bibliothèque du Château d’Eau consacrée à la photographie. Le lieu offrait un espace favorable à l’écoute, à l’émergence d’un univers entre fiction et réalité, dans un silence absolu cette fois.
Peu ordinaire aussi ces rendez-vous d’écriture avec Jérôme dans l’après-midi… On vient y cueillir, débutants ou aguerris, quelques astuces, des trouvailles qui mettent les mots en ordre de marche… Histoire de les mettre à son pas, à son rythme, à son désir… Et ça marche ! Pour le vérifier il suffisait de venir au Bijou, à l’heure de l’apéro, écouter les textes écrits dans ces ateliers. Un texte dit, lu, ou même chanté…et hop un verre offert ! Dans la pure tradition du slam.
Peu ordinaires enfin ces concerts du soir où Pascale et Emma, astucieux programmateurs, ont réuni des artistes qui se connaissent certes, mais n’ont jamais ainsi mêlé leurs univers. Naissent ainsi des rencontres, des partages, des instants qui ont le charme indicible d’une première – et unique ? – fois. Ce fut d’abord le duo Guillaume Farley & Nicolas Jules. Ils avaient choisi de dialoguer, en se vouvoyant et sans se regarder. Ce jeu de scène a fait mouche : nous étions témoins indiscrets d’un échange étonnant où l’un et l’autre nous ont emportés dans leurs chansons d’amour. Car il était question d’amour, seulement d’amour, celui qui obsède, malmène, terrasse parfois…mais ne cesse de faire rêver. Il faut le dire l’instant fut magique. Tendresse, humour, douleur, le tout confondu dans la performance musicale aussi de leurs guitares électriques et de la basse de Guillaume.
Le lendemain c’était le tour de Mathieu Barbances et d’Archibald. Le duo s’est mis en place doucement, progressivement pour finir dans un total partage. Fraternel et joyeux. Cette fois encore chaque musicien a prêté à l’autre son accompagnement… On vit même Mathieu confier sa contrebasse à Archibald… Avec ces deux artistes nous étions ramenés à nos souvenirs, famille, parents, amis, pays, évènements aussi… Mathieu évoque avec un vrai talent de conteur son passé dans une famille communiste… Elle se déguste cette chanson là ! Il évoque 68, chante En Méditerranée de Moustaki… Pour Archibald, ce sera IAM, Petit frère… Et surtout la fin des Soliloques du pauvre de Jehan Rictus… Bien sûr notre monde est en écho. Toujours. Ses dérives, ses injustices insupportables à l’égard des migrants… C’est toujours avec la même émotion que j’entends Archibald chanter T’entends ça l’oiseau, prendre à témoin l’oiseau – si cher au poète Jacques Prévert – pour fustiger notre monde bancal.
Trois jours dans « la faim des mots, la soif des mots » comme l’a écrit Claude Nougaro… Trois jours au Bijou, dans la ville rose, pour lever son verre à l’amour du Verbe.