Frédéric Blanchard Tribu – Chantons sous les Toits 2019 (© Claude Fèvre)

Fré­dé­ric Blan­chard Tri­bu – Chan­tons sous les Toits 2019 (© Claude Fèvre)

23 février 2019 – Chan­son tra­ver­sière en Occi­ta­nie – concert du quar­tet Fré­dé­ric Blan­chard Tribu 

Chan­son jazzique

Avec

Fré­dé­ric Blan­chard (gui­tare, pia­no, chant) Polo­nie Blan­chard (vio­lon­celle) Fleur Blan­chard (alto), Léo­paul Blan­chard (pia­no, trombone)

Pré­am­bule poé­tique de l’association Eclats de Rimes


L’Albarine – Lau­trec (Tarn)

Cette fois nous sommes au cœur du pays de Cocagne, dans ce vil­lage de Lau­trec, l’un des plus beaux de France sans l’ombre d’un doute – sans vou­loir relayer les slo­gans tou­ris­tiques – où tout natu­rel­le­ment viennent aus­si pous­ser des graines de poé­sie. Que vou­lez-vous un tel décor pousse sûre­ment à créer, à se sen­tir un jour l’âme d’un peintre, d’un écri­vain, d’un chan­teur… Nous ne sommes donc pas sur­pris de décou­vrir, à l’occasion de ce nou­vel épi­sode de la Chan­son tra­ver­sière en Occi­ta­nie, une asso­cia­tion nom­mée Eclats de Rimes… Le Prin­temps des poètes s’annonce ici aus­si et le public réuni, sous les poutres ances­trales d’une mai­son tuté­laire, bien au chaud du feu dans la che­mi­née, entend, recueilli, des mots au charme puis­sant… Un haï­ku tra­duit du japo­nais, saluant l’éclosion des pre­mières fleurs, un poème de Paul Eluard puis de Fede­ri­co Gar­cia Lor­ca, de Fran­çois Cheng… Et même une chan­son qu’un jeune mexi­cain, fraî­che­ment arri­vé en France, entonne … Ce soir c’est la poé­sie tout entière qui fait le mur.

L’enchaînement avec le concert se fait alors dans la dou­ceur et la légè­re­té au son de l’accordéon dia­to­nique de Fré­dé­ric Blan­chard… L’air dan­sant de la pre­mière chan­son que rythme le vio­lon­celle nous prend par la manche, et nous nous avoue­rons défi­ni­ti­ve­ment cap­tifs de ces petites his­toires, ces per­son­nages et ces décors que les chan­sons de Fré­dé­ric nous dessinent.

Bien sûr on ne sau­rait aller plus loin sans rap­pe­ler que nous le connais­sons, le plus sou­vent, der­rière la console son et lumière des ren­dez-vous de Chan­tons sous les Toits, ou bien en maître de céré­mo­nie de cette asso­cia­tion, Oiseau Lyre com­pa­gnie, qui pré­side à leur orga­ni­sa­tion. Une tâche immense à laquelle cet auteur com­po­si­teur inter­prète voue une très grande part de sa vie, gar­dant le plus sou­vent sous le bois­seau sa propre créa­tion. Cette soi­rée revêt donc un carac­tère d’exception. Mais ce n’est pas tout, car le quar­tet qui se pré­sente à nous ce soir a la par­ti­cu­la­ri­té d’avoir un air de famille… Nous connais­sons tous la famille Che­did, celle qui, dans le sillage d’Andrée, roman­cière et poé­tesse, se pro­dui­sit en scène, le père Louis entou­ré de ses trois enfants… Ce soir, nous décou­vrons une autre famille, plus exac­te­ment une tri­bu, sous l’égide du père, Fré­dé­ric Blan­chard – la mère, Vir­gi­nie, est cette fois à la console… Com­ment ne pas s’émerveiller de pou­voir par­ta­ger avec ces cinq là, ce lien affec­tif et ce goût pour les Arts ? Si le père écrit, com­pose et chante, Polo­nie l’accompagne au vio­lon­celle, Fleur à l’alto et Léo­paul au pia­no et au trom­bone, dans une atmo­sphère réso­lu­ment jaz­zy. C’est dire si l’ensemble donne envie de dan­ser, autre pas­sion que cette famille par­tage sous la hou­lette de Vir­gi­nie. Avouons, il y a de quoi s’ébahir et rêver, dans ce monde où l’actualité met l’accent sur les dis­sen­sions, les luttes, les différences…

Arrê­tons- là ce pré­am­bule hyper­bo­lique mais – ô com­bien – juste et néces­saire ! Venons –en aux chan­sons… S’il fal­lait choi­sir un mot qui carac­té­rise ce réper­toire, ce serait sans aucun doute l’humanité. Notre huma­ni­té dans ce qu’elle recèle d’indéniablement beau, sombre et fra­gile –car nous rap­pelle avec jus­tesse une chan­son « tu n’es qu’un frag­ment » – nos accords et désac­cords, nos parts d’ombre et de lumière… Mais autre trait dis­tinc­tif, c’est l’humour, ce regard légè­re­ment déca­lé, et tou­jours cet art d’écrire, de mettre en scène avec les mots, qui sauvent de la désespérance.

Le monde de Fré­dé­ric Blan­chard, por­té, subli­mé par l’orchestration de sa tri­bu, est colo­ré, vivant, joyeux… sou­vent ados­sé à un pay­sage marin, salin, quelque part en Nor­man­die, une terre qu’il garde col­lée à ses sou­liers. Nous empor­te­rons le sou­ve­nir de ces petites mai­sons qui s’ouvrent et se ferment au gré des sai­sons lais­sant « loin d’ici la mer [s’ennuyer] toute seule », loin de nos villes et de nos vies… Ce vieil homme dans son décor gris et vert pas­tel, qui s’en vient, sur la digue où la mer se déchaîne, rêver « d’être forain…montreur d’étoiles … furieux cra­cheur d’embruns… » ou bien chef d’orchestre, diri­geant une sym­pho­nie. Ce soleil aus­si auquel Les ado­ra­trices viennent rendre un culte sur la plage…

Mais Fré­dé­ric Blan­chard excelle aus­si dans l’humour, la paro­die. Pour preuve son récit inti­tu­lé Dra­cu­la, où il s’amuse avec les codes du genre, ou bien son Diplo­do­cus, où nous pour­rions bien déce­ler la pire des pro­phé­ties, celle de notre dis­pa­ri­tion… Ou bien encore la ren­contre, ô com­bien éro­tique, d’une huître et d’un citron qui s’achève bru­ta­le­ment dans le « gosier d’un Poséi­don de paco­tille ». Enfin, par­ti­cu­liè­re­ment savou­reuse, sa Valse des étrons, « tous vic­times de la chasse », d’où qu’ils pro­viennent… Où l’auteur peut pour­fendre à loi­sir la fausse gran­deur des puis­sants, la vaine déno­mi­na­tion de nos dif­fé­rences, nous rap­pe­lant à notre « sublime métis­sage dans le bras du fleuve ». Enfin, comme il ne néglige aucun thème d’actualité, sous l’apparence de la légè­re­té, dans la joie du par­tage musi­cal, il nous offre, à nous les femmes, une savou­reuse chan­son sur le genre… « Si naguère les gram­mai­riens avaient été des gram­mai­riennes… peut-être bien que le fémi­nin l’emporterait sur le mas­cu­lin… » 

C’est pour­tant tout à la fin du concert, en rap­pel, que la petite tri­bu Blan­chard nous don­ne­ra l’estocade avec une chan­son très tou­lou­saine, « Mignone allons voir si la ville rose porte tou­jours son accent en plein midi… n’a point per­du sa Garonne… et tous ses oiseaux, dont nous sommes… ». Enfin, on gar­de­ra pour conclu­sion, ce texte superbe écrit à la dis­pa­ri­tion de Claude Nou­ga­ro, La pro­phé­tie des Gar­gouilles, dans un style émi­nem­ment nou­ga­resque. Il offre un aper­çu de la dimen­sion d’auteur de Fré­dé­ric Blan­chard, qui serait bien avi­sé de publier un jour…

« Et ce fut le Grand Départ, sans bagage

Sans même un sarcophage

Tout de cendres vêtu

Il emprun­ta la voie royale : la navigable

Les berges comme haie d’honneur

Cette voie rem­plie de l’eau du ciel

Cette voie qui chante : Garonne »