Julie Lagarrigue (© Droits Réservés)
29 mars 2017 – Julie Lagarrigue, album Fragiles, debout, sortie février 2017
avec Julie Lagarrigue /Julie et le vélo qui pleure (Textes, compositions, chant, piano, guitares) Anthony Martin (Guitares, cavaquinho, basses /chœurs) Frédéric Dongey (Percussions sur bicyclette/chœur) Marc Mouches (saxophones) Ziad Benyoussef (Oud, percussions) Michaël Geyre (accordéon, pianos) et la participation de Marie Bry, Marine Cougoul, Cécile Arné, Aline Videau et la chorale des souscripteurs
Le nouvel album de Julie Lagarrigue /Julie et le vélo qui pleure est habillé de papier-carton dans les tons naturels… sobres donc. Une seule petite photo couleurs apparaît avant qu’on ne referme le livret. Elle est un peu floue : un visage, une fourrure blanche qui l’enserre, un cours d’eau… Pour le reste, des visages peints toujours dans le même ton sépia, des têtes baissées. Celui de la quatrième de couverture semble douloureux, il évoquerait l’Amérique du Sud.
On veut lire le texte avant d’écouter mais les caractères sont si petits que l’on renonce…
On écoute alors et là, c’est l’embarquement immédiat. On aime d’emblée les sons, la voix, parfois un petit grain doux et fragile comme celui de Carla Bruni – si doux parfois que quelques mots peuvent nous échapper- On aime le rythme… Les mots dessinent une course loin, longue… L’exil, la fuite. « Un pays embrasé, du sang, des larmes, un mur, des barbelés »… et tout au bout l’espoir d’un autre univers. « Volent, volent les oiseaux »… Une course vers la lumière. A tout prix. D’ailleurs cette idée de la course revient dans le titre On court, chanté a capella – voix et chœur – pour évoquer notre fuite éperdue. Par peur, par amour aussi… La dernière chanson referme habilement cette course : c’est une petite valse légère pour changer de vie, fuir la « robitude », faire comme les « roms », de frontières en frontières, il en faut du courage !… Mais qu’est ce que j’en sais moi de l’exil ? »… Et un chœur reprend l’air ad libitum…
Les instruments et les paysages qu’ils emportent avec eux se mêlent dans cet album. Piano et guitares sont rejoints par le cavaquinho portugais ou brésilien, par l’oud du Maghreb. Parfois les mélodies se donnent des airs latino, des airs de samba, comme dans Léon qui gronde, chanson épicurienne au domaine viticole du Château Courtey où les saveurs de vanille et d’épices du vin donnent toute la chaleur de la terre. On y parle du vin comme d’une femme que l’on désire.
Ainsi vont les chansons, comme le monde qui nous entoure, comme la vie qu’il nous faut vivre. Cette vie qui nous bouscule, nous griffe, nous chavire de la douceur du sein d’une mère – « dans le creux de tes mains je devais être bien » – à la douleur de son départ toujours prématuré (superbe chanson Septembre). Elle nous arrache à nos liens essentiels, met fin aux charmes de l’enfance, désunit, sépare cruellement le frère et la sœur. « Sans toi j’ai peur » dit la petite Julie qu’une voix enfantine appelle au début de la chanson… Ce monde qui se disloque est aussi dans nos villes. Ainsi des bruitages métalliques, le signal de recul d’un engin de chantier introduisent le titre Les hommes. Il fait entendre le soliloque d’un arbre, survivant d’une ville en proie aux pelles mécaniques. Alors on ne sera pas étonné de se sentir en déséquilibre, comme sur un sol mouvant, de s’entendre appeler « Raccrochez-moi ».
L’espoir est pourtant là. D’abord dans celui qui avance l’âme « toute nue », une âme pétrie d’amour, qui « voudrait bien soigner toutes les âmes malades et en déroute »… Julie Lagarrigue sait de quoi elle parle quand elle use de ces mots. On sait son engagement de musicothérapeute qui sans doute lui fit écrire Dans mon tambour, une courte chanson où bat le cœur de Mélissa, celle qui ne parle pas.
Enfin sans doute faut-il la croire quand elle chante le titre éponyme, Fragile, debout où l’on retrouve l’idée de la course, « droit dans le vent », face au mauvais temps. Et c’est alors que s’impose l’image des géants du sculpteur sénégalais Ousman Sow, figures emblématiques de la lutte pour la liberté. « Tu n’auras pas ma peau, j’avance la tête en haut ».
Oui, l’être humain a « empoisonné la terre, marché sur la lune, volé dans les plumes », il est fragile, « de boue et d’argile », mais « debout » quand il crée. C’est un album d’espérance que nous a livré Julie Lagarrigue, un joli nom du Sud qui fleure bon le soleil, le thym et la lavande. Elle a donc bien raison de le mettre en avant.