Marin, Le Bijou, 2017 (© Michel Nino)
11 décembre 2017 – Concert de Marin en trio
avec Marin Bonazzi (chant, piano, accordéon), Guillaume Viala (vibraphone, marimba et autres percussions), Aude Bouttard (contrebasse)
Le Bijou (Toulouse)
Marin n’est pas tout à fait de l’espèce des Ah-si [Auteurs – Compositeurs – Interprètes]. C’est vrai, il a écrit le texte d’une chanson (la dernière horloge), mais c’était par accident, en tombant de sa chaise. Le plus souvent, il tombe sur des poèmes. Parfois, ce sont les poèmes qui lui tombent dessus, plouf.
Bien placés bien choisis
quelques mots font une poésie
les mots il suffit qu’on les aime
pour écrire un poème
on sait pas toujours ce qu’on dit
lorsque naît la poésie
faut ensuite rechercher le thème
pour intituler le poème
mais d’autres fois on pleure on rit
en écrivant la poésie
ça a toujours kekchose d’extrême
un poème
Raymond Queneau
Au fond, c’est vrai, on pourrait s’arrêter à ce préambule. Car il suffit d’aller sur le site web de Marin pour deviner un petit bout de l’univers de cet artiste là, fantaisiste en diable. Ou mieux encore on peut, comme il nous y invite en le chantant sur un rythme chaloupé, s’en aller lire le poème de Théophile Gautier Far-niente. Si possible assis « Sur un moelleux tapis de fougère et de mousse, /Au bord des bois touffus où la chaleur s’émousse ». Se mettre simplement à goûter le temps qui passe, à observer le monde minuscule autour de soi. S’écouter vivre. Étonnant non ? Car un concert de Marin, c’est de la poésie. Oui, de la poésie. Il nous l’offre comme une évidence, sans affectation, sans grandiloquence. Pas la poésie qui prend des airs d’importance, qui vous met à distance, vous regarde, suffisante, du haut du mont Parnasse. Quand Boris Vian vous dit « Je veux une vie en forme d’arête/ Sur une assiette bleue » vous n’y comprenez goutte, n’y piper rien ? Et alors ?
C’est un jeu. Voilà tout. C’est pourquoi nous revenons et reviendrons écouter Marin.
Peu à peu, depuis plus de deux ans, nous le voyons construire son spectacle, agencer son univers autour de son amour de la poésie tout en refusant de se prendre trop au sérieux. Alors il s’invente un personnage, un peu fou, un peu « fêlé », qui s’embarque dans des explications délirantes –hilarantes souvent – comme ces théories moyenâgeuses sur la reproduction des baleines. Il est capable aussi de s’arrêter tout bonnement de jouer, de chanter ou même de parler pour s’offrir un temps de pause car, dit-il, on a remarqué qu’en concert on donnait beaucoup, qu’on n’avait pas trop de temps pour nous… Alors le temps, il le prend… Farniente, vous dis-je…
Si cet oulipien affectionne l’humour, la dérision, les jeux de langage, ceux de Boris Vian, de Raymond Queneau… et de Manu Galure… il aime tout particulièrement nous entretenir du monde animal, de ses bizarreries, étrangetés, quitte à les inventer ! Pour mieux nous entretenir de nous, pauvre humains, bien entendu, tout comme Jacques Roubaud qui veut donner un poème à chaque animal, « des longs des courts des gras des beaux ». Ce qui nous vaut un joyeux final du trio réuni derrière le vibraphone, interprétant Animaux de tout le monde.
Mais ce n’est pas tout car Marin est diablement féru de musique aussi, au piano comme à l’accordéon. Il n’est pas seul quand il endimanche les mots offerts : deux complices ajoutent encore à son appétit de sons, Guillaume Viala au vibraphone et aux percussions – parfois tout à la fois… quelle maestria ! – Aude Bouttard à la contrebasse. Leur trio nous met lui aussi en joie. Du texte, vous l’aurez compris, on en a… Mais de la musique aussi ! C’est exactement ce rêve évoqué dans la chanson dont Marin est l’auteur – par accident, veut-il nous faire croire ! – La dernière horloge. Si les horloges cessaient de tourner, il y aurait « dans l’air des vibrations heureuses » comme celles qui nous sont offertes par ce concert. Un rêve, un songe… Une pause dans le cours de nos vies.
On retiendra tout autant des instants d’émotion et de tendresse. Un texte superbe d’Emilie Cadiou, L’oie, celle qui va à l’envers, qui vole en dehors des lois. La belle et désirable Minouche – comment l’oublier ? – Les Statues – amis de pierre « Ils ne sourient qu’à demi, /Ils ne parlent guère » – du poète Norge. La lettre du front de Guillaume Apollinaire à Lou, ces mots du « poilu » menacé par la mort, « Et sois la plus heureuse, étant la plus jolie, ô mon unique amour et ma grande folie ». Et ce moment de grâce suspendu : épure de l’accompagnement à l’accordéon qui se prolonge à ce moment là pour s’achèver au piano..
On parle souvent des liens étroits entre poésie et chanson. Ici, avec Marin, le compositeur, l’interprète, – et pourquoi pas l’auteur ? – on attend avec impatience la suite du programme où elles se confondent. Sur quels textes nouveaux viendra-t-il poser ses notes ?
On se promet déjà d’être là pour l’entendre. Pour s’écouter vivre.