Erdöwsky - Le bijou, juin 2021 (©Claude Fèvre)

Erdöws­ky – Le bijou, juin 2021 (© Claude Fèvre)

22 au 25 juin 2021 – Concerts au Bijou 

Fin d’une sai­son qui com­men­çait à peine ! 

Avec

Stef, en pleines formes : Sté­pha­nie Bour­gui­gnon (chant) et Lucas Lemauff (pia­no, chant) 

David Lafore (gui­tare, chant)

Erdöws­ky, Muriel Erdö­dy (textes, musiques, chant) & Alexis Kowalc­zews­ki (cla­ri­nette, bat­te­rie, per­cus­sions, arrangements)


Le Bijou (Tou­louse)

Fin d’une sai­son qui com­men­çait à peine ! 

Ce n’est pas une plai­san­te­rie mais bien la réa­li­té. Vous le savez, les concerts ont pu avoir lieu à nou­veau, avec les res­tric­tions que l’on sait et qui ne sont pas encore abro­gées… Le Bijou, à Tou­louse, n’a pas été de reste et cette semaine avait donc lieu les concerts d’une « fin de sai­son » qui vient tout juste de com­men­cer après des mois d’interdiction.

C’est avec Stef ! « La rieuse, l’enjouée, la tendre » que com­mence la semaine.« Celle qui, ini­tia­le­ment for­mée pour le théâtre et l’art lyrique, reven­dique l’héritage d’Annie Cor­dy, avons-nous écrit dans notre Abé­cé­daire amou­reux de la Chan­son, La Chan­son une vie, publié chez Vox Scri­ba. « C’est du plai­sir pur jus. Sou­dain il se pour­rait bien que l’on ait tous sur elle les yeux du loup amou­reux de Tex Ave­ry. »

Nous per­sis­tons et nous signons : cette artiste a une soif de vivre et de chan­ter com­mu­ni­ca­tive. C’est ins­tan­ta­né­ment que l’on a envie de la suivre là où elle sou­haite nous emme­ner quand elle nous arrive dans une élé­gante com­bi­nai­son verte, une petite veste noire, grim­pée sur des escar­pins, avec son abon­dante che­ve­lure fri­sée qui a viré au blanc au cours des mois de confi­ne­ment. Elle n’a, croyez-le bien, rien per­du de son peps, de son pou­voir de séduc­tion et de son envie d’en découdre avec les sujets qui lui tiennent à cœur dès que l’on envi­sage la condi­tion fémi­nine. Même si elle troque très vite ses escar­pins contre une paire de bas­kets, elle garde son côté gla­mour. Son nou­veau com­plice en scène, le talen­tueux pia­niste Lucas Lemauff lui donne volon­tiers la répar­tie, très enclin lui aus­si à jouer, chan­ter, paro­dier… Dans des accom­pa­gne­ments swing, très jaz­zy, les chan­sons de Stef égra­tignent volon­tiers, mais ne renoncent pas à la ten­dresse. Et c’est peut-être au final ce que nous retien­drons d’elle ce soir, ces larmes qu’elle a essuyées en chan­tant pour ses deux grands-mères, Suzanne et Rachel qui lui ont lais­sé un bel héri­tage. Et l’on n’est pas dupe de son espiè­gle­rie, même quand elle avale cul sec une can­nette de bière et joue l’ivresse, même quand elle joue de ses formes qui font d’elle « un Maillol d’après nature »…

Espiègle, on peut dire qu’il l’est aus­si David Lafore. Il s’installe en scène comme dans votre salon, avec la même décon­trac­tion. D’ailleurs, il fait le choix de lais­ser la salle éclai­rée et ne branche ni micro, ni gui­tare. Le voi­ci qui entre joyeux, applau­dis­sant le public. Nous guet­tons immé­dia­te­ment la cou­leur de ses chaus­settes. Car on lui soup­çonne un soup­çon de féti­chisme côté chaus­settes… Elles sont rouges, ce soir. Qui sait, peut-être y a‑t-il chez lui un code des couleurs ?

Sa liste de chan­sons est posée au sol à côté de sa chaise. Rien de bien sur­pre­nant. Les chan­teurs en font tous autant… Mais lui, la consul­te­ra tout le temps et com­men­ce­ra par nous dire qu’il ne sait pas par quoi com­men­cer : « C’est pas facile de choi­sir… Tout est bon… » Et un peu plus tard – car il fait durer la scène : « Je sais, j’ai des pro­blèmes de rythme. J’enchaîne pas assez »… Voi­là, si vous ne connais­sez pas encore David Lafore, ce début vous met sur la piste. Tout récem­ment Marion Guil­baud sur France Inter dans Côté Club a dit de lui : « Ima­gi­nez un fils spi­ri­tuel de Des­proges, avec une allure de Bus­ter Kea­ton, un clown triste et impré­vi­sible, capable de faire hur­ler de rire une salle comme de la retour­ner avec sa poé­sie très par­ti­cu­lière (…) Une écri­ture de plus en plus mai­tri­sée, avec un sens de la noir­ceur, de la din­gue­rie, du groove qui lui accordent un sta­tut défi­ni­ti­ve­ment à part ! » Avouons, dif­fi­cile de dire mieux…

Et pour­tant sous cette din­gue­rie appa­raissent des textes éton­nants, la dou­ceur, la ten­dresse, la dou­leur aus­si. La dou­leur d’aimer, la peur d’être aban­don­né… « Ne dis­pa­rais jamais », dit la pre­mière chan­son. L’amour s’exprime avec une infi­nie déli­ca­tesse, un matin au lever du soleil « Ne te lève pas avant le soleil… Je te chan­te­rai dans ton som­meil tous les mots d’amour… ». Mais on per­çoit sou­vent un si pro­fond mal de vivre comme dans une chan­son du futur album « Tout s’effondre en moi, ça ne fait pas de bruit… » ou bien « Caché dans la foule, je suis tran­quille … Alors j’ai fait comme si j’attendais quelqu’un … » « Tu es par­ti mais je te garde encore sous mes pau­pières closes… » Et c’est cette chan­son où perlent les larmes qui sou­dai­ne­ment se mue en scène hila­rante quand il se met à chan­ter en ita­lien, entraî­nant le public dans un éclat de rire. Des éclats de rire il y en aura, croyez –moi, avec la petite culotte de coton blanc bien sûr ou le cun­ni­lin­gus à 20 F que lui réclame le public… En somme, tout pour­rait se résu­mer dans son geste fami­lier au moment où il achève une chan­son : de sa main droite, il fait faire un tour sur elle-même à sa gui­tare… Et hop, le tour est joué !

Pour­tant c’est lorsqu’il annonce une longue poé­sie, qu’il nous sur­prend le plus et nous emporte défi­ni­ti­ve­ment : « Comme je des­cen­dais des Fleuves impassibles,/ Je ne me sen­tis plus gui­dé par les haleurs…On recon­naît aus­si­tôt les pre­miers vers du Bateau Ivre, Arthur Rim­baud Dans le silence du public, l’émotion est pal­pable. C’est un moment inou­bliable qu’il pro­longe avec une bal­lade irlan­daise. Déci­dé­ment cet artiste est impré­vi­sible… Défi­ni­ti­ve­ment à part !

Voi­ci que s’achève la semaine avec le duo Erdöws­ky.

On ne dira jamais assez l’importance d’une petite salle comme Le Bijou – abri, refuge de la Chan­son – pour nous ser­vir sur son pla­teau des décou­vertes… Celle-ci est de taille. On n’oubliera pas, c’est cer­tain, la force, l’énergie, la beau­té aus­si de ce que nous avons enten­du. Une ren­contre entre la Chan­son et les musiques du monde. Quand s’ouvre le concert, Muriel s’assoit côté jar­din avec l’une de ses gui­tares et Alexis s’empare de sa cla­ri­nette, une cla­ri­nette enve­lop­pante, cares­sante. La chan­son dis­tille l’un de ces textes qui vous happent aux pre­miers mots… « Te sou­viens-tu du monde /​Tel qu’il se reflé­tait dans tes yeux d’enfant… de la cha­leur de la peau de ta mère… » Com­ment résis­ter à ce sou­ve­nir là ? Bien sûr que nous nous sou­ve­nons, bien sûr que sui­vrons cette voix où qu’elle nous entraîne, du mur­mure au cri. Et très vite nous com­pre­nons qu’il sera ques­tion d’une quête uni­ver­selle, celle du bon­heur qui par­fois est sim­ple­ment « dans la rue d’à côté »… Mais bien enten­du, ce n’est pas si simple et le duo nous entraîne dans d’autres atmo­sphères, plus élec­triques, plus vio­lentes même par­fois, dans des zones de com­bat, dont il est dif­fi­cile d’exprimer l’originalité.

Côté cour trône une bat­te­rie ruti­lante dont Alexis s’empare avec fer­veur, y asso­ciant de mul­tiples per­cus­sions… L’ensemble s’en va dans de vastes espaces indé­fi­nies, en Orient – la gui­tare offrant alors les sons d’un oud – en Afrique quand Alexis joue du pia­no à pouce – dans des danses tri­bales comme dans le titre Les Etoiles… celles qui « brillent aus­si vio­lem­ment que leur désir d’aimer » … mais « rentrent seules au petit matin… » On retien­dra la force et l’émotion de la chan­son consa­crée au drame du peuple syrien… « Vois-tu les yeux des inno­cents éba­his face à la vio­lence ? Si tu ne les as jamais vus alors écoute le silence… » On retien­dra aus­si que même si « nous croyons tout savoir et ne savons rien »… dans notre demi-conscience de pauvres ter­riens, pour peu que nous soyons soli­daires, l’espérance est là : « Laisse –toi por­ter par des mains qui s’avancent… Un pas après l’autre… Avec le geste simple d’un bat­te­ment de cœur » …

Et pour finir nous dirons que le duo Erdöws­ky a bien des atouts côté voix, côté ins­tru­men­tal, côté éner­gie et conni­vence pour s’attaquer à de vastes salles, pour entrai­ner le public, le faire dan­ser si l’on en juge par celui du Bijou qui n’a pas caché son enthou­siasme, l’acclamant lon­gue­ment debout.

Une fin de semaine à vous don­ner l’im­pa­tience de vivre les fes­ti­vals d’été.