Martine Rivière & Fany Porté – Clair-obscur – 2018 (©Mathias Cloetens)
8 mars 2018 – 1er album de Martine Rivière & Fany Porté
Clair – Obscur
Avec
Martine Rivière (Texte, voix) & Fany Porté (Textes, musiques, chant, piano, guitares et arrangements)
Un 8 mars il fallait une parole de femme, une parole qui prononce l’indicible, le difficile, l’impossible… C’est l’occasion de vous parler de deux artistes qui vont leur bonhomme de chemin, loin, très loin des ondes qui font l’actualité de la Chanson. Il faut descendre vers le Sud, s’en aller dans un tout petit village d’Occitanie, pas bien éloigné de Limoux, s’arrêter à ses pierres blondes, à ses toits enchevêtrés, à ses jardins qui se moquent bien des alignements de ses allées, à sa végétation quasi méditerranéenne. L’un de ces villages qui vous donnent d’emblée l’impression d’arrêter la course du temps. Il s’appelle Courtauly (Cortaulin en catalan) qualifié d’hérétique, aux temps reculés de la croisade des Albigeois… Soixante dix habitants au dernier recensement… Voilà c’est là.
Arrêtons-nous un instant dans cette maison devenue au fil du temps un havre pour les oubliés, hommes et bêtes… Un lieu où l’on se retrouve de temps à autre pour partager le spectacle vivant. Ici vit Martine Rivière, belge vivant en France depuis belle lurette. Elle s’est prise de passion pour les mots des chansons au point de s’y mettre elle aussi et de se dire un jour : pourquoi pas moi ? Alors elle a écrit, d’abord comme on parle, comme un jaillissement de son corps, de son âme. Des mots bruts qu’elle déglutit, comme venus des profondeurs de ses entrailles. Et puis, la vie lui envoie des rencontres. Elle s’engage plus avant, travaille cette chair vivante de ses mots, partage abondamment et se retrouve même un jour de printemps en atelier d’écriture avec celle qu’elle admire au-delà de tout, Anne Sylvestre. C’est assez pour s’offrir le droit de chanter en scène et de publier un album avec celle qui l’escorte de son talent de musicienne autodidacte, Fany Porté. Disons qu’elle révèle les chansons de Martine, leur offrant un écrin entre piano, guitares, percussions et multiplicité de sons créés, certains offerts par l’ordinateur sur Josette. Femme orchestre en quelque sorte.
L’album s’ouvre plutôt joyeux, souriant, sensuel… Juste le temps de comprendre que Martine aime les femmes et qu’elle sait dire cet amour là. Avec elle on « écoute tendrement le rire des roseaux »… Le plus souvent ses chansons d’amour disent la douleur d’aimer, et même le saccage. Elle en appelle à la paix, à la tendresse. Toujours en quête de cet eldorado. Martine peut même flirter avec la fantaisie – elle s’amuse souvent de sa difficulté à regarder la vie sous ce jour lumineux. Mais elle n’en fait jamais une fin en soi… Bien sûr, on le devine, la satire n’est jamais loin comme cette parole de madame Trucmuche – ou l’équivalent – qui n’aime pas cet homme noir sous ses légumes verts ou bien le portrait de la « Ninon de la chanson, jupon haut, cuisse légère » qui vivra un enfer lorsqu’elle attendra un enfant. Racisme, ostracisme très ordinaires. Parfois elle condamne frontalement et ne fait aucun cadeau comme lorsqu’elle évoque les défilés liberticides contre le mariage pour tous sur une musique faussement militaire : « Familles en avant ! » Parfois même elle nous dessine un portrait d’homme plein de compassion. « Un homme devant sa bière au col froissé qui pleurerait bien son ennui…Mais il est homme… » Subtile façon de désigner aussi le sort contraint des hommes.
Mais Martine veut avant tout chanter la parole des femmes, cette parole bâillonnée, muselée dont on parle tant depuis quelques mois… Soulignons d’emblée qu’elle n’aura pas attendu ce mouvement qui s’est emparé du monde artistique pour résonner très loin en chacune de nous. En chacune de nos sœurs, de nos filles. Avec elle on entend les mots de celle qui « n’a presque pas dit non …Un viol ça n’a pas de nom… ». De l’enfant qui vivait dans un « monde parfait » entre un père incestueux et une mère taiseuse. On écoute aussi l’hommage inattendu à ce petit bout de nous qui porte un nom de fée, notre clitoris… Texte dit, comme le récit superbe de Lilo Kambo, une rencontre entre deux mondes quelque part en Afrique… Le refrain d’une langue lointaine, une langue des dieux, le « chaoui » des Aurès… Sans aucun doute notre coup de cœur dans cet album, une chanson qui pose la question de la liberté, sur des sonorités et des rythmes différents. Enfin on regarde la femme privée de seins dans son miroir et on lui offre la caresse des mots tendres.
Avec Martine, chanteuse de Bruxelles et de Courtauly, on en appelle simplement à la vie, à la joie d’aimer… Même si c’est un combat éternellement recommencé d’oublier l’obscurité du monde et les vies des femmes mouvementées, malmenées, ou pire.
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Contact : fanyporte22@gmail.com
Pour écouter l’album : https://www.deezer.com/fr/album/53917422et