Nicolas Fraissinet, Le Bijou, Concert intimiste en solo, 2021 (©Claude Fèvre)
14 &15 octobre 2021, Nicolas Fraissinet de retour au Bijou
Concert intimiste en solo
Avec
Nicolas Fraissinet (textes et musiques, piano, voix) et la participation de Corinne Berlioz
Le Bijou (Toulouse)
« Je marche sur les toits du ciel les yeux grands ouverts
En moi s’éveille l’ancienne voie
Qui me ramène à mes sourdes joies »
(Somnambule)
Disons d’emblée que venir écouter Nicolas Fraissinet c’est assister à un rendez-vous de passionnés. On le devine très vite à la chaleur des premiers applaudissements, au déplacement de certains, certaines, qui n’hésitent pas à faire une longue route pour être là deux soirs à la file. Et avouons, nous sommes aussi de ces passionnés là…
Au temps de son premier album, en 2008, ce temps où nous l’avons connu sur la scène de notre festival en Ariège, il chantait « Je ne suis qu’un vent, un chanteur d’air /Pressé par le temps, je brasse de l’air /Les gens oublieront ma voix … » Chanson, ce n’était que chanson bien sûr… Car nous aurions très envie de prendre les mots au pied de la lettre et de démentir en disant combien cette voix nous a touché définitivement, inscrite dans notre mémoire et reconnaissable entre toutes.
Dix ans plus tard, en février 2018, nous écrivions « Fraissinet joue, chante de tout son corps, bien qu’amarré au piano. » Nous l’avions qualifié alors d’« homme-piano », dans le sillage de ses modèles féminins. Et nous citions la première, de fiction, la bouleversante Ada, interprétée par Holly Hunter, dans La leçon de piano (film de Jane Campion), la seconde, Tori Amos, rockeuse au piano dont elle mêle la rugosité, l’authenticité des sons à l’électro, au jazz. Enfin la troisième, Barbara… Avec cette dernière citation, nous le savons, vous aurez compris… Ecoutons-le dans son interprétation délicate, subtile, du titre mythique : Dis, quand reviendras-tu ?
Tout près de la petite scène intimiste du Bijou, nous avons deux soirs de suite observé, à nouveau, cet amarrage, d’autant plus que l’homme-piano a laissé une large place à des longs arpèges, à des plages instrumentales, enchaînant à plusieurs reprises deux chansons sans pause ni applaudissements. Il faut le voir dans cette posture familière, légèrement déhanché, jambe gauche repliée, prompt à se tourner vers son public. Il faut observer son mouvement du front pour écarter promptement le micro quand les blanches et les noires sous ses doigts agiles deviennent son essentiel, son langage premier… Le piano anticipe ou prolonge, caresse ou rudoie les mots. Tantôt ils vont l’amble, tantôt ils luttent et se battent et nous avons tant de joie alors à l’accompagner, quand il le souhaite, de nos claquements de doigts, de mains, de pieds aussi : « Mais j’entends le bruit de ce manque à ma vie /Qui tonne et résonne que personne n’envie » (Silence)
S’il n’hésite pas, dans l’urgence d’un monde qui nous assaille avec sa « turpitude, sa noirceur et ses vices » ainsi qu’il le dit au spectateur, à mettre en exergue nos égoïsmes, nos petitesses, nos faiblesses, nos « humeurs carnassières » c’est toujours dans une langue nourrie d’images, souvent animalières… Il privilégie en effet l’imaginaire, le rêve ou le cauchemar, c’est selon. Mais surtout il chante tout ce que l’Amour peut faire naître en nous et hors de nous, il chante la rencontre, celle qui nous apprend à vivre : « Apprends –moi… Je ne sais rien de là-haut /Je ne sais rien de là-bas /Je ne sais rien je l’avoue /Et comment vivre au-delà. » « Devenir cigale dans les champs au soleil » ouvrir son cœur « à double tour », chanter, danser dit une nouvelle chanson… Il s’autorise à rêver et nous invite à le suivre : « Un groupe de gens te poursuit, toi, tu n’avances pas… ça dure très longtemps… couloir… musée où se dresse une immense toile bleue… à droite un couple à l’automne de sa vie… » Et lui de chanter : « Je veux grandir avec toi, regarder ensemble vers le prochain rivage… Qui pourrait m’offrir mieux que ça… » Rêver d’un amour sans limite donc, sans fin, honorer ceux et celles qui nous ont permis d’aborder ce rivage là, le sourire d’une mère (chanson inoubliable !), celui qui vient du bout du monde et que l’on n’attendait pas, celui ou celle qui vient avec la tendresse « Si la vie touche à cette sœur ci /tout mon bonheur est en sursis ». Aller loin, s’autoriser le voyage vers l’Autre … « Je n’avais pas cru la longueur du voyage qui me sépare de ton image… » En appeler enfin à l’urgence d’aimer : « Je veux vite t’aimer avant d’hiberner /Donne moi encore la douceur, le soleil… »
Privilégiés nous le sommes décidément ces deux soirs au Bijou, car un duo superbe nous a offert de voir, de sentir ce prix de la rencontre… Femme à la robe rouge, Corinne Berlioz l’a rejoint en scène pour interpréter Nos erreurs… « Je t’aimais encore hier /Mais un coup de serpe hier /M’a tranché au cœur par dedans … » Chanson de départ, chanson de rupture et pourtant, à l’instant même, d’une grâce infinie. Le deuxième soir ils ont choisi de prolonger leur duo dans Fragile et ses « abimes bipolaires ».
Avec les chansons de Nicolas Fraissinet, laissons le rêve s’immiscer en nous, rompons avec les maléfices, les malédictions comme celles qui ont séparé à jamais Orphée et Eurydice. Cessons de nous retourner…
« Lève-toi encore avant le jour
Lève-toi plus fort, encore un détour
Regarde devant, le sommet nous attend
Si l’on revient nous irons loin »
(Lève-toi)