David Sire, Cadalen, 2017 (© Claude Fèvre)
14 janvier 2017 – Ouverture saison 2017 de Chantons sous les toits
Concert de David Sire
avec David Sire (guitare et tant et tant de bidules…) & Fred Bouchain (guitares)
Ferme Articole – Cadalen (Tarn)
Au départ, Bidule est une chanson. Une chanson pour voix et pompe à vélo, écrite en quelques heures avant de prendre la route pour Sète. Au fil de la route, Bidule est devenu un alter ego. Un passage secret. Un passage à secrets.
Pour bidouiller une soirée bidule on construira un petit cercle d’une dizaine de personnes. Ce cercle s’envisagera joyeux, chaleureux, ludique, poétique. On y fera quelques pichenettes à nos habitudes. Puis l’on se partagera nos bidules. Petit bouquet d’humains pour un banquet de bidules.
Un bidule peut se chuchoter, se crier, se danser, se lire, se montrer, se goûter, se chanter. Ce que vous voudrez. Il peut être drôle ou triste, droit ou tordu, maigre ou dodu, clef, clou, clown. Vivant, mouvant, souvent émouvant, il est simplement heureux de se partager. Le bidule est une étincelle.
Deuxième concert de cette ouverture au 13e Chantons sous les toits… Et quel concert ! Après la douceur et la grâce du voyage poétique de Marie Sigal, voici que se lève un vent de folie. Voici David Sire et Fred Bouchain que l’on ne peut dissocier tant ils vont l’amble dans leur jeu de guitares, leurs gestuelles, leurs regards, leurs voix. Complices, compères, copains, comparses pour une aventure sans garde fou. Une échappée belle hors de nos frontières cérébrales, que dis-je, un voyage sans bagages, juste dans nos têtes d’enfants devenus trop grands.
On comprend que nos amis d’Hexagone aient eu un tel coup de cœur pour eux qu’ils ont offert aux internautes la vidéo de l’intégralité de leur concert à la « Blakroom ».
Voici les Bidulosophes !
Dans la lignée d’autres artistes, auteurs dont ils se réclament comme Nicolas Bouvier, Jacques Réda, Jacques Prévert, Jean Rouaud, Gilles Deleuze, Boby Lapointe, Georges Brassens, Nelson Poblete, Paco Ibanez… ils rejoignent les jongleurs, les funambules, les oulipiens et pataphysiciens… Sous toute cette fantaisie débridée où les objets les plus dérisoires prennent vie, se cachent de vraies questions, et quelques réponses…Si, si ! Écoutez bien !
David Sire, cheveux en bataille, coupe Einstein, – vous voyez ? La peur sous les cheveux, ou bien l’insolence ? – portant un élégant smoking noir, chemise blanche et nœud papillon, chaussures rouges. Fred Bouchain, nous avons eu le temps de l’observer présent sur scène, jouant de sa guitare à notre entrée : élégant lui aussi, quoique plus sobre, avec cravate rouge, chemise noire. Ces détails nous laissent à penser que rien ne sera laissé au hasard.
On commence avec une chanson douce, une dédicace aux recalés de notre société, qui s’achève comme un chant amérindien avec le rythme frappé avec force sur le tambour au centre du plateau. Ce tambour serait-il le lieu de la colère, de la révolte, de l’envie de tout casser ? Le duo enchaîne avec un tête à tête, un duel fondamental auquel nous sommes vite associés « T’es qui toi ? C’est quoi moi ? Tu sais ça ? »
Mais on ne saurait trop longtemps s’attarder aux questionnements philosophiques. « Et maintenant qu’on est là /On y va ». C’est en résumé ce que fait David Sire depuis des années… Il y va ! En vélo, à pied, en chansons. Il va à la rencontre des autres, surtout et d’abord des plus démunis – les compagnons d’Emmaüs restent très présents, – et pour le spectacle il fait feu de tout bois. « Une poignée de terre ça peut devenir tout ». Il rappelle que dans la vie, il y a une règle essentielle : « J’ai besoin d’être deux pour que ça ait du goût »…
Ce spectacle est une célébration de la joie, du jeu. Une célébration de « cette vie qui nous dit, nous fait, rend si différents ». Une célébration de la beauté du petit détail qui change tout. Ce petit détail c’est la rencontre de l’autre, c’est l’amour. Il nous en offre de délicieux exemples : cette histoire, un conte en vérité, la rencontre entre « l’homme cassé » et « le petit secret sucré »…Puis dans la patrie du « Bidule » – nommons Clermont-de – L’oise – cette rencontre en maison de retraite de Jacqueline et son bidule, entendez son cabas… « Dans son petit cabas, il y a son cœur qui bat » … Une rencontre qui nous ferait pleurer de tendresse. Enfin, on ne saurait taire cette déclaration d’amour, belle à rendre jalouse : « Ma vivante /Ma riante /Mon amante /Mon émouvante »…Frissons.
Mais ce n’est pas tout ! Entre deux éclats de rire on trouve aussi une révolte contre la « gonflitude », une profession de foi de « malandrin, clandestin » pour défendre ses « terrains vagues », et même un cri poussé de concert, artistes et public. Un rugissement primal « sans avoir peur de quitter le giron ». Comme on ne peut arrêter ce flot de pensées qui nous assaillent sans cesse, « La tête ça ne se bouche pas » ! alors on rugit ! Très fort !
Que faire enfin pour rester debout ? David Sire sait, lui, ce qu’il faut faire… « Quand dans la vie tu as le cœur qui crève un peu, ce jour là c’est pratique de t’inventer une bulle »…Voilà, c’est ça ! Une bulle ! La sienne est rouge, là, sur la scène. Il l’a gonflée devant nous avec un gonfleur électrique, ou plutôt une petite bestiole affublée d’un gros bouton blanc d’acné sur lequel il appuie sans vergogne… Il s’est fabriqué « une sorte d’abri, pour abriter la vie »… et nous invite à en faire autant. « Chacun sa petite brique /Et ne me dis pas que t’as pas le temps ! »
Devant tant de tendresse et d’humour, devant tant de rigueur dans le jeu, on est littéralement époustouflés. Et quand vient enfin la chanson de rappel, toute en douceur, émerge en nous le souvenir du poète Guillevic qui dit à peu près la même chose. Lui aussi donnait des leçons de « bidulosophie » : « Devenir un caillou sans défense /Dans la carrière de l’enfance /Devenir tout ce qui vibre… devenir un désir de libellule… Devenir moléculaire… Se blottir dans l’invisible…»
Vous l’aurez compris : David Sire, chanteur ? Allons donc ! Chanteur, oui, mais sous le smoking, sous le masque, cherchez donc le « bidulosophe » !