Voies/voix de femmes- Lila Tamazit trio, Eskelina (©Claude Fèvre)
Janvier – Mars 2021 : parutions d’albums
Voies/voix de femmes 1
Avec
Lila Tamazit Trio chante Colette MAGNY (Lila Tamazit, chant, Vincent Viala, piano, David Georgelet, batterie)
Eskelina Le sentiment est bleu – textes et musiques (Florent Vintrigner, Christophe Bastien, Nans Vincent, Diégo Gernais, Eskelina Svanstein)
Voici donc rassemblés des albums portés par des voix de femmes, comme s’il était pertinent de parler d’une chanson féminine. L’idée même pourrait faire bondir, comme si l’écriture pouvait avoir un sexe… Très vite d’ailleurs, on s’empresse d’ajouter que toutes sont accompagnées, voire inspirées, par des hommes. Mais n’oublions pas pour autant que dans l’histoire de la Chanson, chanter des mots de femme, écrits par une femme, n’allaient pas de soi. On se souvient des interviews de Barbara qui le souligne dans son propre parcours, mettant au passage en exergue le rôle majeur d’Anne Sylvestre au siècle passé. On a depuis toujours mis le nom des femmes sous le boisseau, en Histoire, en Art. Il n’est pas vain de tenter de tempérer cette injustice.
Commençons par un album hommage à Colette Magny, à celui que Dick Annegarn accompagne de ses mots, à l’intérieur de la pochette : « J’ai connu Colette Magny revendicatrice, fumante, un cœur gros, intransportable, impossible… » Tout est dit… Et c’est Lila Tamazit trio – Tamazit veut dire « campagne » en berbère souligne l’auteur – qui s’empare de la fulgurance de ces chansons résumées en quelque sorte par le visuel de la pochette signée par Pascal Barcos : il pleut, oui, sur notre Terre et le monde, souvent immonde, est partout de gris. Mais le rêve demeure de « construire un jardin comme un arc en ciel avec des couleurs à vous éclater le cœur » (Le boa) grâce à la chanteuse, grâce à son blues, à sa voix parlée aussi souvent que chantée… Sa silhouette de « tout petit pachyderme de sexe féminin » qui en a « gros sur le cœur », qui en a tant bavé, reste gravée. On ne saurait taire notre reconnaissance pour ceux qui font revivre avec une telle puissance, une telle authenticité Colette Magny. La coléreuse, la révoltée, la tendre et esseulée dans sa douleur, dans sa hantise de la mort, celle qui en appelle à notre humanité « Frappe ton cœur, c’est là qu’est le génie », qui veut, par son chant, secouer l’apathie des « gens de la moyenne » … Celle dont les mots surprennent par leur actualité – le bouleversant titre Répression ! – tout en faisant renaître celle des années 60 – 70. N’aurions-nous donc rien appris de l’exil, des « sans papiers » qui rasent les murs, de l’enfance sacrifiée de « l’écolier soldat », de « la machine [qui] nous enlace comme un boa »… de tout ce qui donne le tournis dans nos vies et auquel on ne comprend toujours rien ? En résumé, un album essentiel pour rappeler que « sans vous, sans NOUS, on ne peut rien du tout. »
Passer de la brune à la blonde, de Lila la guerrière, à Eskelina dont le visage, sur fond de ciel bleu, disparaît derrière les cheveux sur la pochette signée Franck Loriou, comme s’il fallait aller à la découverte, comme s’il fallait s’efforcer de décrypter… Eskelina s’entoure, comme à son habitude. Elle crée textes et musiques en équipe, constituée au gré de ses rencontres, et pourtant le propos est personnel, intimement féminin. « Le sentiment est bleu » affiche le titre. On resterait curieux de connaître comment s’accomplit cette création, ce tissage entre elle et ses compagnons…
Au final, dans une tonalité très pop rock dont on reprend volontiers les refrains, la voix s’impose très claire, très pure… et très libre dans son propos. Il s’agit d’ouvrir les poings serrés, de laisser la place à l’imprévu, la disponibilité, la nudité, d’explorer le vide à la recherche de soi : « Je grandis mot à mot, pas à pas ». Plus encore que le souvenir de Calamity Jane qui contemple sa vérité à la fin de ses jours, l’image la plus sûre est sans doute celle du vent. Pouvoir dire un jour « j’ai tendu la peau de vos voiles /Fait vivre vos moulins /En bon joueur j’ai envoyé vers les étoiles /Des chapeaux des chagrins… » s’accorder, comme dans un remake de quelques scènes de Eyes wide shut de Stanley kubrick, d’être scandaleuse, sensuelle et accessible … même pas amoureuse (La cerise), de laisser place au désir d’être un homme (délicieux titre, Manquerait plus). En somme revenir à La maison de Bernes – chanson qui donne la clef ?… Revenir en enfance, « au bout du monde devant la mer » où le désir ne connaissait pas de limites : « Je savais bien que j’étais trop petite /Mais mon désir, lui, ne le savait pas… ». Conjuguer au présent : « Je me sentais belle /Je voulais être nue… »